Le Matin : Quel est votre sentiment alors que vous êtes sur le point de quitter le Royaume au terme de votre mission ?
Michaela Fronkova : J’étais ravie d’être parmi vous pendant 4 ans et 4 mois. Le temps est passé extrêmement vite au Maroc. C’est une expérience inoubliable. Mais il est temps de partir. Car le travail d’un diplomate consiste à rester objectif et garder un certain recul pour construire une base solide pour les relations entre les deux pays. J’ai commencé à vous aimer trop, et à me sentir comme chez moi. Ce qui n’est pas toujours une bonne chose vu la nature de mon travail. Il faut assumer cette nouvelle étape. J’avoue que je le fais avec beaucoup de regret.
Quels sont les moments forts qui ont marqué votre séjour au Maroc en tant que diplomate ?
Les rencontres avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI. La première, quand je lui ai présenté ma lettre de créance et la deuxième lors de la Fête du Trône de cette année, quand Sa Majesté m’a décorée du Wissam Alaouite de classe exceptionnelle. Parmi les moments forts aussi, il y a la visite du Roi à Prague, une visite qui a donné une énorme dynamique aux relations entre les deux pays. L’autre moment fort est quand notre résidence a ouvert ses portes aux élèves d’une école publique de Rabat. Les visites que j’ai effectuées dans certains hôpitaux de Fès étaient aussi touchantes pour moi.
Vous avez été accréditée à Rabat en 2012. Quels sont les changements, vécus par le Royaume, qui vous ont marquée le plus ?
Je suis impressionnée par ce que fait le Maroc sur le plan politique, économique et social. La politique étrangère du Royaume vis-à-vis de l’Afrique est intéressante, notamment dans le domaine de la sécurité. Le Maroc est un bon exemple pour tout le continent. Le Royaume est aussi un partenaire incontournable de l’Union européenne, dont la République tchèque est membre, et j’espère que l’UE restera aussi un partenaire principal du Maroc. L'autre réforme que j’observe avec grand intérêt est le lancement de la régionalisation avancée qui aura un impact positif sur l’économie du pays. À cela s’ajoute la mise en œuvre du Ramed (Régime d'assistance médicale) qui est très important sur le plan social.
Récemment, le Maroc a annoncé sa décision de réintégrer l’Union africaine. Comment voyez-vous cette initiative ?
C’est un pas nécessaire et utile pour l’Afrique. C’est une chose tout à fait naturelle. Je pense qu’il est nécessaire pour le Maroc de revenir à l’UA.
Quelle lecture faite-vous des relations entre les deux pays ?
En 2012, nous avons choisi avec nos partenaires marocains cinq secteurs primordiaux de coopération, en l’occurrence l’énergie, l’agriculture, la santé, l’innovation technologique et l’industrie. Ce sont là des secteurs où la République tchèque et le Royaume du Maroc disposent d’une bonne expertise et peuvent donc se rendre utiles l’un à l’autre. D’ailleurs, plusieurs entrepreneurs tchèques, issus de ces secteurs, avaient effectué des visites de travail au Maroc.
Qu’est-ce qui a été concrétisé dans ces domaines ?
Plusieurs accords sont prêts à être signés, notamment un accord dans le domaine économique et industriel. Ce dernier a été finalisé et il ne reste que la signature définitive de nos ministres respectifs.
Il y a aussi un mémorandum dans le domaine de la santé qui est prêt à être signé. Sur le terrain, notamment dans le domaine de la santé, plusieurs missions ont été effectuées et d’autres sont en cours. Dans ce sens, des médecins tchèques vont opérer gratuitement, le 16 septembre prochain au CHU de Fès, 30 enfants, issus de familles défavorisées, souffrant de maladies cardiaques.
Les médecins marocains du CHU de Fès ont aussi effectué des visites de travail en Tchéquie pour profiter de l’expertise de la République en matière d’orthopédie, de cardiologie et de maladies de cancer. Ces trois spécialités sont importantes pour le Maroc et la Tchéquie jouit d’une expertise reconnue dans ces secteurs. Toujours dans le domaine de la santé, notre ambassade a contribué à la modernisation des urgences de la clinique Beauséjour à Rabat. Il y a un autre projet concret de coopération qui concerne le hockey sur glace. Il s’agit d’un sport naissant au Maroc et la Fédération tchèque de hockey sur glace soutient la fédération marocaine pour encourager les jeunes Marocains qui le pratiquent. Un bus a été offert à la Fédération marocaine pour assurer les déplacements des joueurs pour les entrainements et les compétitions.
Quels sont les domaines où selon vous la coopération devra être renforcée davantage ?
Je pense que la coopération entre les deux pays doit être renforcée dans des domaines comme la santé, la sécurité et la formation. Aujourd’hui, le Maroc est reconnu pour son expertise dans le domaine de la sécurité. Pour la République, c’est extrêmement important de coopérer avec le Maroc dans ce domaine. Nous essayons aussi de promouvoir la coopération au niveau de l’enseignement supérieur afin d’accueillir des étudiants marocains et vice versa. Mais le problème de la langue se pose toujours, car l’anglais est la langue des études dans les écoles et universités tchèques. En tout cas, la présence des étudiants marocains est de plus en plus importante dans nos universités. Et aujourd’hui, quelque 272 Marocains vivent en Tchéquie contre une cinquantaine de Tchèques au Maroc. Autre secteur qui mérite une plus étroite coopération, le tourisme.
L’absence d’une liaison aérienne directe entre les deux pays est un grand obstacle. J’ai milité pour que cela change, mais sans succès pour le moment. Je reste cependant convaincue qu’il est nécessaire que cette liaison soit rétablie, car elle existait dans les années 1990. Elle reste incontournable pour la promotion du tourisme et des échanges économiques et commerciaux. Selon nos estimations, 25.000 touristes tchèques visitent le Royaume chaque année. De manière générale, beaucoup de choses ont été faites, surtout avec le soutien et le travail remarquable de l’ambassadeur du Maroc à Prague, mais un grand travail reste à faire pour le renforcement des relations entre nos deux pays.