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La crise agricole, un frein de plus pour le commerce extérieur

L'agriculture et l'industrie agroalimentaire, qui contribuent habituellement à redresser la balance commerciale de la France, risquent de voir leur rôle d'amortisseurs se réduire, alors que 2016 s'annonce comme une annus horribilis aux répercussions potentiellement durables.

La crise agricole, un frein de plus pour le commerce extérieur

«L'agriculture aujourd'hui (...) est au carrefour de crises économiques, de crises de marchés, de crises sanitaires, de crises environnementales», résumé Thierry Pouch, responsable du service économie et prospective de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. «Elle conjugue à peu près les trois types de crises et la difficulté c'est que les réponses de type politique publique ne sont pas forcément efficaces lorsqu'elles sont là.» L'agriculture et l'industrie agroalimentaire, secteurs dans lesquels sévit déjà une guerre des prix depuis plusieurs années, pâtissent du ralentissement de la croissance des pays émergents et de la croissance molle en Europe, qui pèsent sur la demande, ainsi que de la reconduction de l'embargo russe sur les produits agricoles et agroalimentaires européens. Sans compter qu'à cette combinaison délétère sont venus s'ajouter la perspective de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et de nombreux aléas météorologiques (inondations, gel, orages de grêle, sécheresse).
Le coup de frein dans ces deux secteurs, qui, combinés, représentent le troisième excédent commercial de la France – derrière le secteur aéronautique et spatial et celui de la chimie, des parfums et des cosmétiques – fait planer une ombre supplémentaire sur un déficit commercial déjà pénalisé par la remontée des cours de l'énergie et de renchérissement de l'euro.
Le déficit commercial de la France a touché en 2015 un plus bas depuis 2009, à 45,7 milliards d'euros. Mais il «risque de se creuser à nouveau» en 2016 , prévenait début août le secrétaire d'État au Commerce extérieur, Matthias Fekl. À la mi-2016, le déficit cumulé s'élevait à 24,0 milliards contre 22,4 milliards un an plus tôt, soit une détérioration de 1,1 milliard d'euros par rapport au deuxième semestre 2015.

Double peine pour les céréaliers

D'après les Douanes, l'excédent pour les secteurs agricole et agroalimentaire s'est établi à 3,5 milliards d'euros au premier semestre 2016, contre 4,4 milliards un an plus tôt. Sur le même intervalle, les céréales – qui constituent à elles seules le quatrième excédent sectoriel, derrière l'aéronautique, les vins et spiritueux, et le secteur de la chimie, parfums et cosmétiques – ont vu leur excédent se réduire de 336 millions d'euros.
La suite de l'année ne s'annonce pas meilleure pour cette filière principalement portée par le blé, qui a été lourdement affectée par les inondations du printemps. La société de conseil spécialisée Agritel, qui anticipe une chute de 30% de la production de blé cette année, estime ainsi que le recul de l'excédent céréalier amputera la balance commerciale de trois milliards d'euros. «Le grand problème c'est que cette année on a une double peine pour les producteurs de blé en France : non seulement leur récolte n'est pas bonne en raison d'un épisode climatique défavorable, mais comme la récolte mondiale est encore une fois record, les prix sont relativement bas», explique Sébastien Abis, du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes. Pour Thierry Pouch, «c'est surtout l'état des débouchés qui préoccupe aujourd'hui».
Faute de quantité et de qualité, des clients traditionnels de la filière céréalière française risquent de se tourner vers d'autres fournisseurs comme la Russie ou l'Allemagne, souligne-t-il. Et certains pays trop dépendants des prix du pétrole ou du gaz, comme l'Algérie par exemple, pourraient voir s'amoindrir leur capacité à importer des produits agricoles alimentaires pourtant indispensables, ajoute-t-il.
Sébastien Abis se montre un peu plus optimiste, expliquant que les conditions météorologiques exceptionnelles ont certes pesé sur les quantités produites, mais ont aussi entraîné des récoltes aux qualités atypiques qui pourraient permettre de «remporter des appels d'offres là où elle ne les emportaient pas les années précédentes».

Ces deux spécialistes se rejoignent en revanche sur la nécessité d'actions publiques fortes pour soutenir la filière et de déployer des stratégies commerciales performantes pour lui permettre de reconquérir rapidement le terrain perdu. Pour Sébastien Abis, cette situation met aussi en évidence la nécessité pour la France de s'adapter au changement climatique, avec une évolution de la gestion des stocks ou le développement de systèmes assurantiels adaptés, par exemple. «Cette catastrophe climatique, ce n'est pas parce qu'elle va rester exceptionnelle par rapport à d'autres régions du monde que la France va être à l'abri d'accidents climatiques peut-être plus récurrents et plus forts dans les années à venir», dit-il.

Problèmes de compétitivité

Dans le secteur agroalimentaire, la situation n'est pas plus reluisante. L'Association nationale des industries alimentaires (Ania) estime que les six premiers mois de l'année constituent le semestre le plus faible depuis 2010, après la crise financière. «On a des performances déficitaires sur des secteurs qui portent habituellement le solde commercial», relève Stéphane Dahmani, économiste de l'Ania. C'est notamment le cas pour les boissons, avec un solde commercial cumulé du premier semestre en recul de 46 millions d'euros, mais aussi pour les produits laitiers et glaces, qui affichent une baisse de près de 150 millions d'euros, note-t-il.
Pour le secteur des boissons, qui inclut les vins et spiritueux, traditionnelles locomotives de l'exportation agroalimentaire française, il s'agit d'une véritable «rupture de tendance», relève l'économiste en notant que l'année 2015 s'était soldée par un excédent de 867 millions d'euros.

Pour Stéphane Dahmani, ces baisses des performances commerciales sont certes exacerbées par des facteurs ponctuels comme les aléas météorologiques, mais elles traduisent avant tout des problèmes structurels de compétitivité qui se reflètent par un solde commercial davantage entretenu par la dynamique des prix que par l'évolution des quantités exportées. «Les carnets de commandes augmentent de manière graduelle depuis le début de l'année 2016 dans un contexte où les stocks sont jugés inférieurs à leur niveau moyen et où la production fléchit, donc tout cela concourt à un surcroît d'importations qui va mécaniquement participer à une baisse du solde commercial dans le secteur agroalimentaire», note-t-il.
Une autre filière exportatrice, celle du foie gras, anticipe aussi une dégradation de ses résultats après avoir été confrontée à une série de cas de grippe aviaire en début d'année. Le Cifog (Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras) table sur un résultat nul cette année, après un excédent de 56,3 millions d'euros en 2015.

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