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Le piège de l’analyse des écarts

M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Le piège de l’analyse des écarts
Les dirigeants doivent instaurer une culture qui encourage l’éclosion de nouvelles pratiques budgétaires indispensables à un niveau élevé de performance.

Après l’épuisant exercice d’élaboration des budgets, commence un autre, d’un ennui mortel, consistant en le suivi de leur réalisation. Les gourous du contrôle de gestion l’appellent le contrôle budgétaire. Ce nom stalinien, fortement révélateur du contenu par ailleurs, se limite bien souvent à l’analyse des écarts entre le prévu et le réalisé, dans un langage pour le moins indigeste et n’incitant à aucune action pertinente de management. Le contrôle budgétaire, tel que nous le pratiquons aujourd’hui, ajoute la désorientation à l’ennui. Comment ?

La mauvaise boussole

La pratique classique du contrôle de gestion, notamment celle héritée de l’école française dont nous nous inspirons fortement, limite le contrôle budgétaire à un simple exercice de comparaison des réalisations aux prévisions et de mise en place d’actions correctives, en cas d’apparition d’écarts défavorables. Le suivi se résume donc à une série de tableaux d’analyse autour d’indicateurs essentiellement financiers (ventes, coûts de revient, frais généraux, marges, etc.). Cette approche est néfaste, car elle détourne l’attention du management des véritables sources de la contreperformance, confondant ainsi les manifestations du problème (apparition d’écarts défavorables) et ses origines profondes (stratégie inadéquate ou mauvaise implémentation de celle-ci). D’autre part, le langage utilisé, lors du contrôle budgétaire, ne signifie rien pour les managers opérationnels, car il est financier dans son essence et nécessite souvent une formation ad hoc pour être compris. En effet, qu’attendons-nous d’un manager à qui on parle «d’un important écart négatif sur volumes» ? Ne serait-il pas plus pertinent de discuter avec lui d’un retard de lancement de son produit qui s’est traduit par une perte de 3 mois de ventes ? En effet, le suivi doit se focaliser sur les éléments en amont de ce que nous voulons piloter : il doit porter sur les inducteurs et non sur les indicateurs. Cette vision mécaniste et quantitativiste de l’entreprise datant de l’environnement stable et prédictible des années 50 du 20e siècle s’adapte très mal au contexte frivole et capricieux dans lequel évoluent les entreprises aujourd’hui.

Passer de la carte au territoire

Les managers gagneraient à adapter leurs outils de contrôle budgétaire à leur époque. La nouvelle génération d’outils de pilotage favorise l’alignement stratégique. En d’autres termes, au moment même de l’élaboration des budgets, il faut déterminer, par un cheminement ininterrompu, les liens entre les objectifs stratégiques, les leviers d’actions et les résultats escomptés. Ainsi, au moment du contrôle budgétaire, les discussions porteront davantage sur les leviers d’actions et leur pertinence par rapport aux résultats observés, que sur une triviale analyse des écarts. Nous avons vu des réunions de contrôle budgétaire transformées en de simples rencontres de comptage, au lieu d’être un lieu d’échange fructueux sur la stratégie et les moyens de son amélioration. Du coup, ce qui était censé être des objectifs à réaliser deviennent de simples prévisions à commenter. Au lieu de favoriser l’action, on encourage l’étude et l’analyse passives. Les nouvelles approches de pilotage, telles que le Balanced Scorecard (tableau de bord stratégique) ou la méthode OVAR (objectifs, variables d’actions et responsables), permettent aux managers de s’affranchir de la logique traditionnelle de simple analyse des écarts et de disposer de puissants instruments de réalisation, de formalisation et de pilotage de leurs stratégies et de leurs budgets.

Du contrôle budgétaire au management budgétaire

Le contrôle budgétaire est au contrôle de gestion, ce que la paie est à la gestion du capital humain, c’est-à-dire un élément parmi d’autres. Pour exercer un pilotage effectif, il faut passer du contrôle au management budgétaire. Les managers doivent s’approprier et animer le processus budgétaire, au lieu de le confier au contrôleur de gestion. Les dirigeants doivent instaurer une culture qui encourage l’éclosion de nouvelles pratiques budgétaires indispensables à un niveau élevé de performance. Ces pratiques incluent :

• La motivation : le manager doit partager avec ses collaborateurs la vision et les grands axes stratégiques de l’entreprise (objectifs, principaux leviers d’actions et résultats escomptés) et en obtenir l’adhésion et, idéalement, l’enthousiasme. Il faut qu’il leur explique ce que l’atteinte des objectifs changera pour eux.

• La mobilisation : le manager doit s'assurer que chaque membre de son équipe a un rôle dans la réalisation du budget et qu’il l’a bien compris. Il doit veiller à assurer une bonne communication et coordination entre ses collaborateurs, en conduisant et en maintenant un rythme régulier de réunions de suivi.

• Le management : le manager doit organiser les processus de décision et de délégation au sein de son équipe. Il doit garantir le respect des plans d’action contenus dans le budget en termes de délais, de coûts, de qualité des livrables et de disponibilité des ressources.

• Le pilotage des hommes : cette mission suppose pour le manager d’embaucher et de garder les meilleurs, de les former et les encadrer, de les motiver et de les récompenser et les sanctionner.

• La communication : le manager doit effectuer des présentations régulières de l’état d’avancement de son budget. Il doit, par ailleurs, instaurer un dialogue formel et informel avec ses équipes et se tenir rapidement informé, surtout des mauvaises nouvelles.

Le management budgétaire restera lettre morte, tant qu’il ne se traduira pas dans la rémunération des managers et de leurs collaborateurs. En effet, les primes (partie variable de la rémunération) doivent être indexées sur les taux de réalisation des objectifs (TRO) et représenter une part motivante de la rémunération globale, tout en veillant à l’équilibre.

Si la part variable est faible, elle n’incitera pas à fournir des efforts, surtout si les objectifs sont ambitieux. Si, en revanche, elle est importante, elle développera une culture de mercenariat et de détachement vis-à-vis de l’entreprise. Enfin, il faut que les managers puissent calculer eux-mêmes, par lien direct et mesurable, leurs primes en fonction de leurs TRO. Après tout ce qu’on exige d'eux, on leur doit au moins cette transparence !

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