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Le pouvoir disciplinaire du libre-échange

Beaucoup d’entreprises marocaines redoutent la concurrence internationale, car les producteurs étrangers offrent des produits de meilleure qualité et/ou à prix plus compétitifs qu’ils n’arrivent plus à soutenir. Cette situation n’est pas propre à notre pays. Des partis dits souverainistes en Europe commencent à appeler à la restauration du protectionnisme. Ils justifient cette position extrême pour demander leur «exit» par le fait que les frontières européennes ne les protègent plus, ni contre la concurrence qu’ils qualifient de déloyale, ni contre les flux migratoires. Mais, le libre-échange est-il le seul responsable de leurs malheurs ?

Le pouvoir disciplinaire du libre-échange

Des économistes et pas des moindres commencent à s’élever d’une seule voix pour réclamer un retour au protectionnisme, soit à l’échelle nationale, soit à l’échelle continentale. Ils expliquent cette position radicale par l’incapacité, disent-ils, des règles actuelles du commerce international à protéger les tissus économiques et les emplois dans leurs pays. Selon eux, la «concurrence déloyale» en provenance des pays à bas coûts détruit leurs industries ; et l’immigration de masse pèse à la baisse sur les salaires et «vole» le travail des nationaux. Ils ajoutent que le financement des déficits extérieurs résultant de ces échanges les endette sur plusieurs générations futures. La restauration des protections douanières et la maîtrise des frontières semblent donc les solutions idoines pour parer à ce péril en provenance des pays pratiquant le «dumping sous toutes ses formes». Qui peut prétendre le contraire ? Ces réflexions à l’emporte-pièce émanent hélas d’économistes sérieux censés maîtriser un tant soit peu leur discipline. Rappelons tout de même que ce sont ces pays-là, dont les économistes viennent proposer un retour pur et simple au protectionnisme, qui ont forcé le reste du monde par les guerres et par les règles du droit international (qu’ils ont façonné à leur guise) au libre-échange. S’ils ne sont plus capables de tenir tête aux pays qu’ils méprisaient il y a quelques décennies, le problème est à chercher chez eux et non chez leurs partenaires commerciaux. Les avantages sociaux disproportionnés donnés par ces pays par rapport à leurs niveaux réels de productivité, ainsi que le coût exorbitant de leur État providence sont à mettre en cause, et non le niveau de salaire des pays émergents qui correspond davantage à leur réalité économique. En d’autres termes, ce ne sont pas les pays exportateurs qui font du dumping, mais ce sont les pays importateurs d’occident qui ont un niveau général de salaires injustifié par rapport à leur productivité réelle. C’est ce qui explique les délocalisations en masse des pays industrialisés vers les pays émergents.

D’autre part, bien naïf celui qui pense que le protectionnisme se traduira par une hausse des salaires et des créations d’emplois dans les pays protecteurs. Tout ce qu’il permettra, c’est un transfert de richesses des consommateurs (qui payeront leurs produits plus cher) vers les actionnaires (qui pourront pratiquer des prix élevés et engranger de grosses marges). L’armée de réserve que constituent les chômeurs et les travailleurs étrangers pèsera toujours à la baisse sur les salaires, ou au meilleur des cas, permettra des augmentations, mais toujours largement inférieures à celles des prix. Ne pas voir cette réalité, c’est faire preuve soit d’ignorance soit de mauvaise foi. Les expériences des pays ayant opté pour la politique de l’import – substitution (dont le Maroc) ont montré que les protections douanières profitent à une minorité de privilégiés, ne permettent pas de moderniser l’économie, car le pouvoir disciplinaire de la concurrence ne joue pas et finit pas tuer les emplois que, paradoxalement, cette politique cherchait à protéger. Le protectionnisme structurel est équivalent à l’éducation d’un enfant gâté. Aucun bien ne peut en sortir sauf par miracle. Or, l’économie a besoin d’éléments tangibles et rationnels et non de délivrances messianiques. La confrontation à la dureté de la concurrence internationale, même si elle est risquée dans un premier temps, exerce un pouvoir disciplinaire sur un pays et le pousse à se réformer profondément pour survivre et se développer. Un pays doté d’une richesse naturelle en quantité abondante (pétrole par exemple) n’a pas besoin de se réformer pour dégager des excédents et les redistribuer (sous forme d’achat de paix social). C’est l’effort qui crée et pérennise la richesse aussi bien des individus que des nations. Si cet effort n’est pas acquis, il faut le provoquer, car la peur de la perte pousse plus au travail que l’appât du gain. Le libre-échange est, à ce titre, l’un des meilleurs moyens de créer ce sursaut de stress salutaire.
À l’échelle de l’entreprise, la concurrence nationale ou étrangère l’oblige à remettre continuellement en cause sa stratégie et à refondre en permanence ses modes de management. On a vu dans beaucoup de secteurs de notre économie le pouvoir magique de la concurrence agir, au grand bénéfice des consommateurs, qui se retrouvent gagnants tant sur la qualité des produits et services que sur leurs prix. Le profit facile, obtenu par des situations de monopole ou des protections douanières, au nom de la préservation de l’intérêt national a, par le passé, montré ses limites, voire ses dangers sur notre économie qui s’est retrouvée, après plusieurs années de protectionnisme, incapable de créer des richesses et des emplois, car elle n’a pas développé à temps les bons réflexes. Le salut de nos entreprises se trouve en dehors de nos frontières dans des marchés autrement plus gros et plus prometteurs.
Pour pouvoir les conquérir, elles doivent repenser leurs modèles économiques et moderniser leurs méthodes de management. Ce n’est pas facile, mais elles n’ont malheureusement plus le choix.

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