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Les professionnels RH s'invitent dans le débat

À quelques mois de la fin du mandat de l’actuel gouvernement, la loi organique devant régir le droit de grève se fait toujours attendre. Les professionnels des ressources humaines, garants de la paix sociale dans l’entreprise, tirent la sonnette d’alarme en s'invitant dans le débat autour de ce texte que le patronat réclame depuis de longues années.

«Le problème n’est pas dans le texte, mais dans le contexte», a signalé d’emblée Abdellah Chenguiti, président de l’Association nationale des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF). Ce constat dressé en marge d’une conférence-débat sur le droit de grève, tenue le 6 avril à Casablanca par l’AGEF, en dit long sur l’importance du sujet et ses enjeux socioéconomiques. En effet, le droit de travail s’invite de plus en plus dans les pratiques RH et les professionnels ont voulu, à travers cet événement, tirer la sonnette d’alarme en interpellant les partenaires sociaux et les institutions impliquées dans ce débat. Notons que cette initiative s'inscrit dans la nouvelle dynamique de l'association pour renforcer le rôle des RH dans l'écosystème. Le président de l’AGEF a ainsi tenu à rappeler que «chaque année, le Maroc perd, à peu près, 300.000 journées de travail dues à 300 mouvements de grève. Même si, en 2015, le nombre d’arrêts de travail a baissé de 8%, celui des journées perdues a connu une augmentation de 21%», a-t-il indiqué.

Selon lui, le droit de grève est certes un droit constitutionnel et un moyen légitime de défense des intérêts des travailleurs, mais il ne peut s’exercer sans le respect de règles qui le régissent. La grève ne devrait pas être une fin, mais constituer le dernier recours : avant toute tentative d’arrêt de travail, il est recommandable d'épuiser la procédure de règlement des conflits collectifs prévus dans le Code du travail, les conventions collectives et les pactes sociaux. Et c’est là le rôle principal des responsables de la gestion des ressources humaines qui devront favoriser un dialogue social transparent et permanent pour préserver un climat social sain à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. C’était aussi l’occasion pour M. Chenguiti de donner un aperçu sur le projet de loi organique qui selon lui permet de renforcer les syndicats les plus représentatifs, vu que la décision de déclenchement de la grève au niveau de l’entreprise ou de l’établissement est prise par le ou les syndicats les plus dominants au sein de l’entreprise.

Le président de l’AGEF s’est également penché sur l’intérêt du préavis, une procédure qui ne limite pas ce droit, mais laisse la place à la négociation et au dialogue.
Il a d’ailleurs appelé, à ce propos, tous les partenaires à relancer le dialogue non seulement au niveau des structures patronales, mais également à l’échelle nationale, à lever les blocages notamment ceux relatifs à la ratification de la convention de l’OIT sur les libertés syndicales et l’abrogation de l’article 288 du Code pénal ou seulement sa révision. Sans omettre d’insister sur la nécessité d’appliquer le Code de travail dans sa globalité. «Les deux tiers des grèves déclenchées sont dus à la violation des règles juridiques. Comment alors faire appliquer une législation sur la grève dans des entreprises qui se montrent peu soucieuses d’appliquer la législation du travail ?», s'est-il interrogé. Dans le même ordre d’idées, Jamal Rhmani, l’ex-ministre de l'Emploi, a souligné que le problème ne réside pas dans la rédaction des textes de loi, mais dans l’instauration d’un climat social propice à la négociation et à la discussion de ces textes. Autrement dit, «c’est la panne du dialogue social qu’il faudra gérer avant de commencer par les textes». Par conséquent, il est grand temps de se pencher sur le rôle des syndicats qui doit être renforcé et consolidé.

Droit de grève et liberté syndicale

Le traitement juridique de la question a été confié à Mohamed Jamal Maatouk, conseiller juridique et professeur universitaire spécialisé en droit, qui a commencé son intervention par la présentation de la définition de la grève. «Il s’agit de la cessation collective de travail pour faire des revendications professionnelles», a-t-il expliqué. Et de poursuivre que toute cessation de travail implique la suspension du contrat du travail. Ce qui produit automatiquement des effets juridiques, notamment la rémunération qui ne peut être servie pendant cette période. Par la suite, l’expert a souligné l’importance d’introduire l’éthique et la responsabilité dans le droit de grève. «Quand un droit est exercé sans aucun respect de l'éthique, c’est un droit qui devient creux et stérile», a-t-il commenté. Face au contexte actuel, l’expert appelle à la «moralisation» de ce droit. Il a par ailleurs rappelé que la loi organique relative au droit de grève devra voir le jour avant la fin du mandat actuel conformément aux dispositions de la Constitution.

Par ailleurs, le droit de grève suppose aussi le respect des libertés syndicales, deux concepts qui sont, de l’avis de Mohamed Alaoui de l'Union marocaine du travail (UMT), intimement liés. «Il est fondamental de mettre en place les mécanismes qui protègent les libertés syndicales et qui sanctionnent ceux qui les violent», a-t-il noté. Le deuxième aspect sur lequel le représentant syndical a insisté porte sur la revendication d’une loi qui ne limite pas et ne restreint pas ce droit légitime et fondamental. De son côté, le représentant de la Confédération démocratique du travail (CDT) n’a pas caché son mécontentement face au contexte actuel. Pour lui, deux raisons principales expliquent le pourquoi de la grève : des raisons qui sont liées à la liberté syndicale et au droit d’organisation. Il rejoint aussi l'idée selon laquelle «le problème n’est pas dans le texte, mais dans le contexte». 


Abdellah Chenguiti, président de l’AGEF nationale- DRH de Sews Cabind Maroc

«La solution n’est pas dans la gestion des conflits mais dans leur prévention»

Éco-Emploi : Quelle est votre lecture du climat social dans l'entreprise ?
Abdellah Chenguiti : Le tissu économique marocain est affecté annuellement par plus d’un millier de conflits collectifs du travail, qui engendrent quelque 250 mouvements de grève et près de 300.000 journées de travail perdues. En 2015, le nombre de mouvements de grève a baissé de 8% comparativement à 2014 (265 grèves contre 289 en 2014), mais ces grèves ont été de plus longue durée, impliquant ainsi une hausse de 21% du nombre de journées de travail perdues (267.656 journées, contre 220.927 en 2014).
Certes, la grève est un droit constitutionnel et un moyen légitime de défense des intérêts des travailleurs. Mais quand ce droit n’est pas utilisé à bon escient, il peut devenir une menace pour la pérennité de l’entreprise, une entrave à l’attractivité du pays à l’international et un frein à l’investissement, à la création de richesse et d’emplois.
Comme tout autre droit, le droit de grève doit s’exercer dans le respect des règles qui le régissent. Tel est l’objet du projet de loi devant fixer les modalités d’exercice de ce droit.

Pourquoi l’AGEF veut-elle relancer le débat ?
Il est grand temps de débattre de cette thématique. Et c’est pour cela que l’Association nationale des gestionnaires et formateurs en ressources humaines (AGEF) a accueilli plus de 300 adhérents et sympathisants de l’Association, issus de divers horizons socioprofessionnels :ex-ministres, DRH et cadres de la fonction RH, magistrats, chefs d’entreprises, leaders syndicaux membres des bureaux nationaux des syndicats les plus représentatifs à l’échelle nationale, avocats, experts en relations sociales, directeurs régionaux de l'Emploi, inspecteurs du travail, consultants, professeurs universitaires, jeunes ministres du gouvernement parallèle, journalistes, présidents d'Associations et autres acteurs de la société civile. Tous se sont donné rendez-vous à cette grand-messe de l’AGEF nationale pour apporter leur contribution au débat autour de cette problématique de portée nationale puisqu’ils sont tous concernés.

Quelles sont les pistes de réflexion que vous proposez ?
Le principal motif de grève reste le non-respect du Code du travail. Les deux tiers des grèves déclenchées en 2015 l’ont été, en effet, en raison de violations des dispositions de la loi (retard ou non-paiement des salaires, licenciements abusifs, défaut de déclaration à la CNSS, non-respect des libertés syndicales, etc.).Le problème réside donc non pas dans le texte du projet de loi, mais dans le contexte. La loi en elle-même même n’est pas la panacée. Quand le mot d’ordre de grève est lancé, le mal est fait. Au mieux, la loi sur le droit de grève servirait à «limiter les dégâts». La solution n’est pas dans la gestion des conflits, mais dans leur prévention. Une démarche de prévention requiert un changement des mentalités, tant chez les employeurs que chez les centrales syndicales. De la part des employeurs, l’application du Code du travail et le respect des libertés syndicales constituent les facteurs clés de prévention des conflits. Quant aux centrales syndicales, il est essentiel qu’elles considèrent l’exercice du droit de grève non pas comme une finalité, mais comme un dernier recours, une fois que les outils de règlement des conflits collectifs prévus dans le Code du travail, les conventions collectives et les pactes sociaux (dialogue, négociation, conciliation, médiation, arbitrage) sont utilisés. 

Les syndicats gagneraient également à encadrer et à former les bureaux syndicaux qui les représentent au sein des entreprises, notamment sur les outils nécessaires à l’exercice de leurs missions (rôle des instances représentatives, techniques de négociation, gestion des conflits…), sur les conventions de médiation sociale (contenu et modalités de mise en œuvre) et les sensibiliser sur leur rôle en matière d’encadrement des
salariés.

Un autre élément du contexte, que j’estime peu favorable à la prévention des conflits collectifs, réside dans le fait que le Code du travail institue l’obligation de négociation collective pour les seules entreprises comptant au moins 100 salariés et où existent des représentants syndicaux. Or, seuls 3% des entreprises déclarées à la CNSS remplissent cette condition d’effectif. Il en découle que la négociation collective reste, dans l’écrasante majorité de nos entreprises, un vœu pieux et les conditions du travail et de l’emploi sont dictées par le patron, qui embauche, congédie, récompense et sanctionne selon son humeur et son bon vouloir. Cette absence d’obligation d’engager des négociations collectives, facteur de prévention des conflits, explique, du moins en partie, le fait que 41% des entreprises touchées par les grèves en 2015 comptent moins de 100 salariés. 


Avis de l'expert Omar Benbada, Consultant en relations professionnelles

«La loi devra interdire à l’employeur de faire obstruction à l’exercice du droit de grève»

«Le projet de loi sur la grève et la protection des intérêts des parties L’article 29 de la Constitution a prévu la promulgation d’une loi organique pour définir les conditions d’exercice du droit de grève. Cette loi qui doit renforcer l'arsenal juridique social est intimement liée à la liberté syndicale, à la liberté d'entreprendre et à la justice sociale. De ce fait, le projet de loi organisant le recours à la grève aura pour objectif l'atteinte d'un meilleur équilibre dans la relation de travail en établissant les conditions et les modalités de l'exercice de ce droit et de le protéger.
Elle doit surtout prendre en considération et protéger les intérêts légitimes de toutes les parties concernées.
•La protection du droit de grève pour le salarié gréviste : Le recours à la grève dans le respect de la loi doit être protégé. La loi interdira clairement toute sanction à l'encontre du salarié gréviste en raison de sa participation à la grève. Elle interdira également à l’employeur de faire obstruction à l’exercice du droit de grève, notamment par la délocalisation totale ou partielle de l’activité de l’entreprise ou de l’établissement durant la période de grève, ou par le recours à de nouveaux salariés, aux entreprises de travail temporaire, ou aux entreprises de sous-traitances durant la grève, en vue de remplacer les salariés grévistes.
•La protection de la liberté de travail pour le salarié non gréviste : La loi devra prendre en considération les intérêts des salariés non grévistes en interdisant toute atteinte à leur liberté de travail et en les protégeant contre toute menace ou violence durant la grève.
•La protection des intérêts de l'employeur ou de l'entreprise : En plus de l'interdiction sans équivoque de toute forme de menaces, ou de violence, physique ou verbale, contre l’employeur ou ses représentants, la loi devra interdire le recours à l’occupation des lieux de travail, ou à l’atteinte aux biens et équipements de l’entreprise. La loi doit aussi permettre l'élaboration d'accords permettant d'assurer, chaque fois qu'il est nécessaire, un service minimum pour répondre aux besoins vitaux des usagers ainsi que le maintien des services indispensables à la sécurité de l’entreprise et à la poursuite de l’activité.
•La protection de l'intérêt du citoyen : Il ne faut pas oublier que la grève peut impacter fortement le citoyen. De ce fait, la loi doit permettre la continuité du service dans les secteurs essentiels «dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne» (BIT,1983b, paragr. 214).
D'une manière générale, la loi ne doit pas revêtir un caractère liberticide, et doit favoriser plutôt la négociation au sein de l'entreprise pour la mise en place de chartes internes de concertation sociale, le développement d'une nouvelle culture de dialogue social et la promotion du champ conventionnel.» 

Déclaration Ali Serhani, consultant RH, directeur associé Gesper Service

«La paix sociale n’a aucun prix»

«L’attente d’une loi régissant la grève me fait penser à l’attente qu’avaient tous les employeurs concernant les indemnités de licenciement avant l’adoption du Code du travail. Avant 2004, tout était anarchique. Par exemple, en cas de cessation d’un contrat de travail, il n’y avait pas de barème ni de règles en matière de paiement de dommages et intérêts. Aujourd’hui, il y a des procédures claires et nettes et chacune sait ce qu’il a à faire. Donc cette transparence a été d’un grand apport dans les relations employeurs – salariés et inspection du travail. C’est pratiquement la même chose en ce qui concerne le droit de la grève. Il suffit d’évoquer la grève pour penser à la casse et aux dérapages. Mais quand l’encadrement des syndicats est bien organisé, il n’y a pas ce problème et les responsabilités restent identifiées. D’où la nécessité d’avoir une loi pouvant encadrer la grève en conformité avec la Constitution. Il ne faut pas oublier que nous attendons cette loi depuis la Constitution de 1962 soit plus de 50 ans. Cette loi est importante, elle peut ne pas être parfaite, mais elle reste nécessaire.

Elle délimitera les responsabilités des parties prenantes (employeurs et syndicats). Il faudra bien sûr qu’elle soit équitable. Lors du colloque de l’Agef, j’ai constaté la maturité de nos syndicats. Tous ont parlé de manière très responsable et à mon avis ont démontré leur ouverture à trouver un terrain d’entente quant à ce projet de loi. Il est vrai que certains ont marqué des réserves, mais ils sont dans leur rôle qui reste fondamental. La paix sociale n’a aucun prix, mais elle se doit d’être bâtie sur du solide à savoir les intérêts des uns et des autres (Employeurs et salariés). D’ailleurs, à la lecture des rares projets qui ont circulé jusqu’à ce jour, y compris celui de la CGEM, l’encadrement de la grève est le point essentiel pour garantir la paix sociale et surtout identifier la responsabilité des parties prenantes.» 


Bon à savoir

Article 29 de la Constitution
«Sont garanties les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique. La loi fixe les conditions d’exercice de ces libertés. Le droit de grève est garanti. Une loi organique fixe les conditions et les modalités de son exercice». 

Article 288 du code pénal
«Est puni de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 120 à 5000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque, à l'aide de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, a amené ou maintenu, tenté d'amener ou de maintenir, une cessation concertée du travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail. Lorsque les violences, voies de fait, menaces ou manœuvres ont été commises par suite d'un plan concerté, les coupables peuvent être frappés de l'interdiction de séjour pour une durée de deux à cinq ans.» 

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