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Marine marchande : le Maroc est-il une île ?

L’avion c’est pratique, le ferry c’est magique ! Traverser le détroit de Gibraltar, sauf à la nage, est une des plus belles expériences de voyage possibles pour entrer au Maroc. J’en arrive à me trouver des prétextes pour aller en Espagne afin de pouvoir vivre trente minutes de croisière pas chère et spectaculaire. Ce qui est moins féérique, c’est de me rendre compte que les ferrys desservant le Royaume ne sont plus marocains, encore moins leurs équipages. Où est donc passée la marine marchande marocaine, outil de développement économique indispensable ?

La flotte marchande marocaine a disparu 

La descente aux abymes de la flotte marchande marocaine est générale. Au contraire de la Marine Royale, dont la santé est heureusement au beau fixe, la flotte commerciale marocaine a disparu, en quelques années, des ports du Royaume. Plus de ferrys à Tanger-Med, certes, mais aussi plus de phosphatiers à Jorf-Lasfar, pas de porte-conteneurs à Casablanca non plus, pas de paquebot à Nador. Paradoxalement, alors que les ports marocains et le trafic commercial enregistrent une croissance continue depuis deux décennies, le fret et les passagers sont obligés de recourir aux pavillons de navires étrangers, au capital grec ou italien et aux équipages serbes. Peu importe les raisons ou la gestion qui ont conduit à cet état de fait, mais le constat est réel.

Il est de bon ton chez quelques intellectuels d’emprunt de nier la composante maritime du Maroc, mais si les corsaires de Rabat et Salé ont connu leur heure de gloire, ce n’est pas tant par le côté guerrier de leur action que par leur capacité à revendre les produits des captures et les exporter jusqu’aux Pays-Bas. Moulay Hassan dans les années 1860 insistait sur la nécessité pour le Maroc de disposer d’une flotte tant militaire que marchande pour sortir des griffes commerciales des Britanniques et de la piraterie institutionnelle du voisin du nord.

Les premiers ports d’Afrique

L’allitération «marine marchande marocaine» est, hélas, devenue un souvenir du passé. Les ports qui faisaient le charme du Maroc d’antan ont pour certains succombé aux caprices de l’ensablement ou de la profondeur de leur chenal, incompatible avec la taille des navires actuels. Exit les ports d’Essaouira, Larache, Rabat et Kénitra. Mais de l’autre côté, Casablanca est devenu le premier port d’Afrique, Tanger-Med la première plateforme d’échange méditerranéenne. Alors pourquoi ce contraste, dont le côté obscur est au profit de l’étranger ?
La présidente de la CGEM a très justement tiré la sonnette d’alarme sur le statut de pays émergent du Maroc le 2 juin dernier. La sous-industrialisation du pays sur laquelle elle attire l’attention est un autre problème parallèle et convergent, mais parallèle à celui de sa capacité de transport maritime. 
J’ai fait le même constat que Miriem Bensalah, l’investissement en capital au Maroc ne manque pas, mais il est dirigé vers l’immobilier et le tertiaire.

Le Maroc est-il une île ou seulement isolé ?

Le Maroc est virtuellement une île. Entouré par l’océan Atlantique et la mer Méditerranée sur deux façades, clos par l’infranchissable frontière algérienne sur une grande partie et bloqué par le pléonastique rivage sahélien et son insécurité pour le reste. Impossible de sortir du pays en voiture ou en camion. La renaissance d’une marine marchande contrôlée par le Maroc est indispensable à la poursuite du développement économique du pays. De quoi vit le Royaume ? du tourisme, une partie, notamment les MRE, arrive massivement par la route les mois d’été, si chargés que le prix de l’avion est prohibitif pour eux.
Les phosphates ? la cargaison idéale pour le rail et surtout le transport maritime en vrac. Les fruits et légumes frais ? les grands ports européens ne sont qu’à quelques jours de navigation. Les automobiles Dacia à Tanger        ? aujourd’hui ces voitures, la première exportation du pays, partent de Tanger-Med sur des navires-rouliers en Afrique et en Europe.

Un investissement stratégique à la portée du Royaume

Quel est l’intérêt pour le Maroc de disposer d’une flotte marchande ? L’époque n’est plus au protectionnisme, ni naval ni commercial, même si la formule fit la richesse de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas il y a quelques siècles.
Entre partager des capacités commerciales et les abandonner aux navires étrangers, la différence est de taille. L’intérêt du Royaume, c’est de récupérer une marge importante, le coût du fret est éminemment volatil et passe de tarifs «dépressifs» à des profits insolents d’une année à l’autre. Sans compter la capacité d’une flotte marocaine à créer des emplois et récupérer des devises.

L’absence d’une marine marchande marocaine n’est pas une fatalité. Les moyens sont pourtant là. Une capacité décisionnaire et une vision stratégique à moyen terme ? Le Royaume l’a démontré et le fait encore dans l’énergie solaire. Des ressources humaines ? les villes côtières et leurs écoles d’ingénieurs sont présentes et le coût de la main-d’œuvre n’est pas supérieur à celui des pays concurrents du Maroc sur les routes océaniques commerciales. Du capital ? il existe, marocain ou d’importation, mais orienté vers la construction, immobilière pas navale. Le cadre juridique maritime ? il est un peu embrumé et n’a pas subi de dépoussiérage depuis l’Indépendance.

Le Maroc a tous les éléments pour créer un pavillon de complaisance pour réduire les coûts : on prend un îlot, habité ou pas, une boite aux lettres suffit pour héberger une compagnie maritime hors taxes, hors charges et hors contrainte.
Un dahir, un site Internet et un employé suffisent à transformer une des îles de la côte en port franc virtuel, sur l’îlot de Sidi-Abderrahmane à Casablanca ou à un jet de ballon d’Essaouira.
Le prix d’un navire marchand est de l’ordre de quelques dizaines de millions de dollars, du car-ferry, le moins cher au navire gazier, le plus cher, en passant par le porte-conteneurs, les trois formules couvrant 90% des besoins estimés.
Le capital peut être marocain, réorienté avec une simple disposition fiscale d’exonération, et/ou étranger en créant un véhicule financier ad hoc coté sur les marchés boursiers étrangers et de Casablanca.
À titre de comparaison, le coût d’un ferry est similaire à celui d’un hôtel de moyenne catégorie de la palmeraie de Marrakech ou d’une tour de bureaux de la Marina de Casablanca ou de Casa-Anfa Finance City.

Un équipage marin de nos jours est d’abord composé de cadres, les officiers, dont la formation est celle d’ingénieurs, si Royal Air Maroc arrive à attirer de jeunes talents des deux sexes, le défi n’est pas insurmontable. Le reste de l’équipage est composé d’une main-d’œuvre qui accepte des conditions de vie difficiles, des salaires faibles, mais beaucoup plus importants que ce qu’ils peuvent recevoir chez eux. Hélas ou tant mieux, mais cette dernière condition existe aussi, tant dans les faubourgs de la mégalopole Casablanca-Rabat que dans l’arrière-pays rural.

L’espoir à l’horizon

Quelques initiatives, hélas trop rares, ont vu le jour au Maroc, et montrent timidement l’exemple, comme le lancement de la Sultana, le paquebot de croisière de luxe du groupe hôtelier du même nom de Marrakech, voué à la croisière côtière entre les rivages atlantiques et méditerranéens et les pays riverains.
La question culturelle, savoir si le Maroc est un pays maritime ou pas est un faux débat. Dans mon prochain livre «Route d’Anfa» (Ndlr, à paraître chez Casa-Express en août de cette année), un roman dont l’intrigue se déroule à Casablanca, je n’ai pu faire autrement que d’inclure l’énorme dimension portuaire de la ville, elle s’est imposée d’elle-même.
La marine marchande n’est pas affaire d’investissements gigantesques ou de haute technologie, mais de réflexion, d’attention et de décision. La réflexion appartient aux groupes financiers du pays, charge à eux d’attirer l’attention du Pouvoir pour que les décisions soient prises et appliquées. 

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