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Mettre sérieusement la main à la pâte

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Mettre sérieusement la main à la pâte
Les investisseurs étrangers, que nous cherchons à attirer, fondent leurs décisions d’investissement sur des critères objectifs et des calculs froids d’optimisation du couple risque/rentabilité.

Les investissements directs étrangers (IDE) dans le monde représentaient en 2014 un flux annuel de 1,23 trillion de dollars de capitaux. De cette manne, l’Afrique attire 4,4% et le Maroc 0,29% ! Autant dire une part négligeable. Alors que les pays se mènent une guerre sans merci pour l’attraction de ces capitaux, nos politiques en la matière aboutissent à des résultats maigres et, plus inquiétant, fortement volatiles. Il va sans dire que nos efforts n’ont pas encore atteint le point de rupture nous permettant d’accélérer la cadence et d’espérer un peu mieux que les 6,6% des 54 milliards de dollars drainés par l’Afrique.

M. Elalamy, ministre de l’Industrie et du commerce, a fait de l’attraction des IDE le cheval de bataille de sa politique d’émergence industrielle, en ciblant soit des pays prometteurs, tels que la Chine ou la Russie, soit de grandes multinationales dans les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Dont acte ! Plus globalement, le Maroc tente de se présenter aux investisseurs étrangers comme une destination politiquement stable, à l’environnement macroéconomique maîtrisé (déficit budgétaire, endettement et inflation) et aux infrastructures de bonne qualité (autoroutes, ports, aéroports, TGV, télécommunication). Outre ces atouts, le pays offre des avantages fiscaux, de changes et des facilités administratives pour «boucler la boucle». Son avancement dans les classements annuels de «Doing Business» atteste une certaine réussite que personne ne peut nier.

Toutefois, au-delà de ces classements qui flattent notre fierté nationale, seules l’évolution du nombre de projets réalisés et de la valeur des investissements effectués attesteront de la réussite de cette politique et, en la matière, nos réalisations restent très modestes et stagnent d’une année sur l’autre. Car si nous évoluons positivement, les autres pays avancent beaucoup plus rapidement ; et les quelques réformes que nous menons, en faisant beaucoup de tapage médiatique, sont un minima entrepris, il y a plusieurs années sous d’autres cieux. En un mot, les autres font mieux et plus rapidement. En fait, nous sommes à peine au début d’un long processus de réformes qui avance, certes, mais très lentement. Et pour cause, les investisseurs étrangers, que nous cherchons à attirer, fondent leurs décisions d’investissement sur des critères objectifs et des calculs froids d’optimisation du couple risque/rentabilité.

À la recherche de rentabilités toujours plus élevées à risque acceptable, les capitaux privés mondialisés jettent leur dévolu sur une économie, si elle leur permet soit d’accéder à un gros marché (cas des pays développés ou ceux à revenus élevés par habitant), soit de réduire les coûts de production (cas des pays émergents ou en transition), soit de mitiger leur risque, en se diversifiant géographiquement (cas des autres pays n’offrant ni le premier ni le second avantage). Les deux premières motivations sont donc les plus déterminantes dans les décisions d’IDE. Les pays qui caracolent en tête des classements internationaux ont soit un marché intérieur important soit une dotation factorielle élevée (couple coût/productivité du capital humain par exemple).

C’est ainsi que dans le classement des 10 premiers pays, en termes d’attraction des IDE (ils représentent 70% des IDE dans le monde), on trouve soit des pays représentant de gros débouchés comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada ou l’Australie, soit des pays aux avantages coût/productivité très intéressants, comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Autrement dit, on ira investir en Chine ou en Inde, car elles offrent des coûts de main-d’œuvre qualifiée tellement faibles que le reste devient secondaire.

De même, si l’Europe, les États-Unis, le Canada et le Japon attirent l’essentiel des IDE dans le monde, c’est qu’ils offrent d’importants marchés pour l’écoulement des produits des entreprises qui s’y implantent. Si, en revanche, un pays n’offre aucun de ces deux avantages (débouchés et/ou coût des facteurs), il devient candidat à la troisième motivation de l’IDE, à savoir la diversification du portefeuille.

Le Maroc, n’offrant pas encore les possibilités d’un gros marché de consommation, doit se positionner sur les avantages coûts/productivité que peut lui procurer une population jeune (mais dont il faut améliorer le niveau de qualification) et la proximité du marché le plus riche du monde (Union européenne). Ceci suppose une intervention forte de l’État pour infléchir le modèle d’investissement dans ce pays. Contrairement à l’approche menée par le gouvernement, il ne faut pas être bon partout, mais plutôt imbattable sur un critère et dans la moyenne sur tous les autres. Pour ce faire, trois axes importants doivent être développés d’urgence.

• la refonte de notre modèle d’administration pour la rendre plus «investment friendly». En effet, il ne sert à rien de créer une entreprise en trois jours et consacrer le tiers de sa vie aux déclarations, aux autorisations, aux légalisations de documents et à la valse entre différentes administrations pour un seul papier.

• la réalisation de grands bassins industriels intégrés (et non se limiter à la seule dimension foncière). Ces bassins doivent contenir toute la chaîne de valeur d’une industrie (de la formation jusqu’à l’acheminement des marchandises).

• La mise en place d’infrastructures de qualité, non seulement dans leur réalisation, mais surtout dans leur fonctionnement au quotidien.
Ces priorités ne doivent en aucun cas escamoter d’autres réformes qui ne sont que timidement entreprises aujourd’hui, à savoir la flexibilité du marché de travail, la prévisibilité juridique, la qualité et la stabilité des institutions et l’environnement macroéconomique. Autrement dit, au-delà des effets de manche, il est temps de mettre sérieusement la main à la pâte.

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