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Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Vers des modèles de développement potentiellement intégrables, gages d’un progrès social mutuellement stabilisé

À l’approche de la fin de l’année 2016, les institutions internationales distillent ici et là plusieurs rapports thématiques sur les situations socio-économiques des différentes zones de notre planète. La tenue de la COP 22 à Marrakech et l’élan de solidarité qu’il l’a accompagné ne dissimuleront pas pour longtemps la réalité inquiétante du climat social et économique dans plusieurs parties du monde. Celle du Maghreb restera particulièrement alarmante, pour 2017 et au-delà, si nos gouvernants ne font pas preuve de sagesse historique et d’esprit de révolution dogmatique pour accompagner les évolutions sociales et démographiques de nos jeunes populations et de nos pays encore sous-développés.

Depuis les années 2000, les rapports des institutions internationales réitèrent les mêmes chapitres d’analyse sur la situation sociale et économique des pays du Maghreb, sans que cela suscite une quelconque avancée dans les modèles d’élaboration des politiques économiques de nos pays. À titre indicatif, pour 2016, analyse-t-on suffisamment le taux de chômage des jeunes Marocains vivant en milieu urbain qui atteint 38,8%, ou bien les 4 millions d’Algériens qui vivent dans une situation de précarité et risquent de basculer sous le seuil de la pauvreté, ou encore les 31,2% des jeunes diplômés tunisiens qui n’ont aucun débouché sur le marché du travail ? Les modèles économiques des trois pays du Maghreb historique continueront de reproduire les mêmes effets régressifs tant que nos gouvernements s’enfonceront dans des réflexes hérités de la période de la Guerre froide ou bien celle des ajustements structurels.
De fait, les pays maghrébins sont toujours en quête d’un modèle de développement. Leurs économies sont alourdies par des dépendances extérieures ou conjoncturelles, pour l’importation (agricole en particulier) comme pour l’exportation (en hydrocarbures). Ils souffrent malheureusement de maux semblables ou issus de déficits structurels naturellement proches.

Doit-on rappeler ad vitam aeternam que le Produit intérieur brut (PIB) marocain non agricole ne dépassera jamais les 3% tant que l’économie du Maroc est fortement tributaire de sa pluviométrie et que sa gouvernance économique connait des faiblesses d’ordre structurel ? La fluctuation du PIB marocain en fonction des campagnes agricoles ne permettra guère une base solide pour la création, la répartition et la stabilisation des richesses nationales. Comment arrivera-t-on à atteindre les objectifs de la Stratégie nationale pour l’emploi (200.000 emplois nouveaux) ou ceux du Plan d’accélération industrielle (500.000 postes), si l’on renvoie aux calendes grecques la réalisation effective et efficace des réformes logiques et pragmatiques tant attendues ?
Et puis, moderniser le cadre d’action des partenaires économiques et sociaux ne doit pas se faire au détriment des acquis sociaux des classes moyennes ou précaires. Améliorer l’environnement des affaires ou réformer les dispositifs de compensation est encore plus pertinent quand l’équité fiscale et l’équilibre territorial sont garantis par des mesures efficaces. Et l’encouragement de l’entreprise comme le comportement économique citoyen n’atteindront leur vitesse de croisière que si les déficits qui rongent l’administration publique sont résorbés.Pour tirer parti socialement et économiquement de la stabilité politique et sécuritaire marocaine, il est temps d’accélérer la cadence de la modernisation du cadre juridique économique, des services publics de base, tels que l’éducation et l’enseignement, de la justice, de la politique fiscale, et de la mise en place de dispositifs de contrôle et de suivi intrinsèques et éthiquement irréprochables pour évaluer sur le terrain les effets de telles réformes. L’on ne peut prétendre à une économie compétitive, une croissance rapide et stable et des emplois suffisants si le niveau élevé des investissements publics et privés ou les processus d’intégration dans les marchés mondiaux ne sont pas accompagnés par le renforcement de la gouvernance publique et la diversification économique dans un cadre réellement juste et concurrentiel.

Et puis, jusqu’à quand les gouvernements algériens continueront-ils de doubler les déficits budgétaires, d’augmenter la production des hydrocarbures et d'augmenter sans cesse les dépenses publiques (60% en 2016) pour atteindre virtuellement des taux de croissance insuffisants (3,9% pour 2015 et 3,6% pour 2016) ? Est-ce en augmentant chaque année de 4% l’impôt sur le revenu ou de 36% les prix de l’essence, ou encore par la hausse des taxes sur l’électricité et les immatriculations des véhicules ? Avoir l’ambition d’une économie moderne répondant à des exigences sociales croissantes doit s’accompagner logiquement par des réformes d’assainissement budgétaire, de politique monétaire pertinente, de modernisation du secteur bancaire, de bonne gouvernance des établissements économiques publics, de diversification limitant la dépendance aux exportations des hydrocarbures bruts.

La rationalisation des politiques de subvention n’atteindra pas les objectifs escomptés tant que les déficits en termes de services sociaux de base persisteront et les mécontentements populaires seront alimentés par des injustices sociales et un développement territorial déséquilibré. Sans oublier les dispositifs de protection des plus fragiles (femmes et jeunes) souffrant de coupes budgétaires de plus en plus fréquentes. Par ailleurs, une économie compétitive sans un état moderne est un non-sens. Il est temps que les réformes économiques algériennes soient l’apanage d’un élan de modernisation de toutes les institutions du pays. Une réforme centrale et territoriale des services régaliens de l’État est de l’ordre du vital pour une économie forte, concurrentielle et créatrice de richesse. La stabilité sociale et la répartition équitable des richesses communes étant les fondements basiques d’un climat économique propice.

La Tunisie, quant à elle, est encore loin des objectifs tant scandés lors de sa révolution d’il y a cinq ans. Ses performances économiques sont en deçà des attentes de la population et la croissance est trop faible pour améliorer le taux de chômage ou lutter contre la pauvreté et les inégalités. Le PIB a atteint 0,8% en 2015 et devrait atteindre 2% en 2016, grâce à une hausse de 10% de la consommation publique, des augmentations de salaire de 4,5% et une légère amélioration sécuritaire tributaire de la situation du voisin libyen. Le tourisme a pris un coup de frein considérable en chutant de 34,1 et de 25% par rapport aux niveaux respectifs de 2014 et 2015. Les attaques terroristes n’étant pas étrangères à cette situation. Le taux de chômage atteint des niveaux élevés chez les jeunes avec 32%. Cette situation inquiétante persistera de plus en plus si les climats social et sécuritaire ne vont pas en s’améliorant. Et si le gouvernement d’union nationale qui vient d’être nommé ne lance pas des réformes structurelles, la stimulation de la croissance du secteur privé, principal créateur d’emplois, tardera encore à venir. Il est temps pour l’économie tunisienne de permettre aux investisseurs des conditions d’accès au marché justes et équitables, par la modernisation des réglementations et l’uniformisation des règles du jeu dans tous les secteurs, par la transparence et la réforme de l’administration publique, et par le renforcement du dialogue social et la prévention des conflits.

L’on constate, encore une fois dans ces colonnes, que les économies de nos principaux pays maghrébins partagent de nombreuses caractéristiques. L'agriculture est importante pour les trois économies, mais l'État domine à des degrés divers les politiques économiques et le régime du commerce extérieur est tributaire du niveau d’ouverture de chaque pays, malgré la dépendance de l’Union européenne et les relations économiques étroites établies avec cet espace. Si l’Algérie se distingue en étant avant tout un pays exportateur de pétrole, la baisse des prix des hydrocarbures a provoqué dans ce pays des altérations considérables de son modèle économique. Le Maroc et la Tunisie disposent d’économies plus ou moins diversifiées, mais pas assez résilientes pour la création des richesses et des emplois à même de répondre à des attentes sociales grandissantes.
Par ailleurs, lorsqu’on regarde de plus près le taux de coopération entre les trois économies, l’on est effrayé par la faiblesse des échanges bilatéraux qui ne représentent que moins de 2% des échanges totaux de chaque pays. Et leurs marchés fragmentés encouragent les investisseurs étrangers à opérer en Europe pour réaliser des économies d'échelle et exporter vers chaque pays en profitant des accords bilatéraux séparés avec l'Europe.
Nous représentons ainsi un marché de 90 millions de consommateurs profitable à des économies et des possibilités d’emplois étrangères.

N’est-il pas temps pour nos gouvernements de changer de dogme économique et de penser à coordonner les réformes économiques, institutionnelles et juridiques au sein de chaque pays ? Nos indicateurs économiques et sociaux alarmants devraient nous encourager à mettre en place les institutions de coopération nécessaires pour atteindre des objectifs communs et partager les meilleures pratiques. Les réformes bancaires, fiscales et commerciales pourront se faire dans un cadre de coopération maghrébin en vue d’une intégration fluide et des marchés et des tissus économiques. Et l’intégration économique du Maghreb encouragerait ainsi l’investissement extérieur et réciproque entre et dans les pays de la région. C’est ainsi que l’on pourra être capable ensemble de créer une dynamique, saine et durable, de croissance.

Dans ce même contexte, nos gouvernements pourront faire preuve de cohérence, en profitant des accords de voisinage avec l'Europe, et s’offrir la volonté et les moyens d'harmoniser les institutions et les cadres juridiques des pays du Maghreb avec les normes européennes. Ils pourront également élaborer ensemble des politiques de développement communes avec leur prolongement africain au sein de l’Union africaine. Le Maghreb reste la région africaine la moins intégrée. N’est-ce pas une aberration historique, géographique et culturelle ?
Face aux menaces de déstabilisation internes et externes, et aux défis sociaux, économiques, sécuritaires et environnementaux que doivent affronter nos pays maghrébins, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de jouer la montre et entretenir la divergence. La communauté de destin des populations et des jeunes du Maghreb et la fragilité de nos situations sociales et économiques, prises séparément, exigent une plus grande clairvoyance pour qu’enfin nos modèles de développement prennent la voie de la modernisation et de l’intégration au sein d’un Maghreb uni et démocratiquement constitué. 


Le Maghreb et l’Afrique : un destin partagé

L’Afrique connaît depuis quelques années un essor économique enviable. Une croissance soutenue et une volonté visible d’intégration. Les sous-régions africaines australes et de l’Est, organisées dans la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), et le Marché commun des états d'Afrique australe et de l'Est (Comesa), ont déjà lancé une nouvelle Zone tripartite de libre-échange (TFTA). Il s’agit là d’une dynamique intéressante pour l’avenir économique, politique et social de l’Afrique. Les pays maghrébins doivent ainsi s’inspirer de cette verticalité des coopérations pour l’intégration du Nord-Ouest africain. Nous avons toujours appelé à faire du pragmatisme économique le principal moteur de l’intégration maghrébine. Si l’Afrique doit nous montrer la voie, nous sommes preneurs. Par son action volontariste, le Maroc redonne de l’espoir aux épris d’union pour voir la dynamique d’intégration prendre de nouvelles formes. Espérons que sa réintégration au sein de l’Union africaine et un nouvel élan maghrébin s’entremêleront pour la pacification et la prospérité de notre Maghreb et le développement de notre Afrique.

Défis sociaux communs

Les enjeux pour le développement des pays maghrébins sont colossaux. Il nous faut trouver l’efficacité économique nécessaire pour harmoniser les attentes populaires, les exigences environnementales et les priorités macroéconomiques. Nos gouvernants tardent à prendre conscience de l’exigence de s’engager dans une nouvelle voie. La portée sociale devra être le moteur stimulant pour une stratégie économique commune. Même si nos pays sont parvenus à réduire relativement la pauvreté absolue, ils sont toujours confrontés à des défis multiples : l’insuffisance des politiques de prévoyance sociale, les faibles création et répartition des richesses, des déficits en termes d’habitat digne et de santé, un chômage des jeunes qui s’installe durablement et des disparités sociales et territoriales qui s’accentuent : plus de 60% de la population pauvre vivent en zones rurales ou montagnardes (enclavement, sécheresse, déficits sociaux…). Une grande partie des populations maghrébines demeure ainsi vulnérable. Et la jeunesse est inactive à des pourcentages alarmants. Cela dépasse les 30% dans certains cas pour les jeunes diplômés et surtout la jeune femme qualifiée. Les États doivent donc inclure dans leurs tableaux de gouvernance la nécessité d’opérer un tournant économique d’ordre structurel et dogmatique visant la coopération et l’intégration.

Par Rabii Leouifoudi
Chercheur en économie territoriale et en géopolitique.
Président fondateur de l’Union des Jeunes Euro-Maghrébins au Maroc.

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