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Volonté populaire extragénérationnelle : de l’appel de Tanger du 29 avril 1958 aux «printemps maghrébins»

Volonté populaire extragénérationnelle : de l’appel de Tanger du 29 avril 1958 aux «printemps maghrébins»

Il y a cinquante-huit ans, se tenait l’historique «Conférence de Tanger» pour l’Union du Maghreb. Les dirigeants des partis de l’Istiqlal (Maroc), du Néo-Destour (Tunisie) et du Front de libération nationale (Algérie) se sont réunis du 27 au 29 avril 1958 pour appeler à «la concrétisation de la volonté unanime des peuples maghrébins à unir leur destin, dans le cadre d'institutions communes afin de leur permettre d'assumer le rôle qui leur incombe au sein du concert des nations».

Durant le 20e siècle, deux étapes majeures symbolisent le tumultueux parcours de l’unification du Maghreb : l’Appel de Tanger et la Conférence de Marrakech du 17 février 1989 (création de l’UMA). Il va sans dire que le chantier est bloqué. La preuve, nous en parlons plus au passé que pour relater des actions concrètes pour l’actualité ou l’espoir d’une Union maghrébine.

Plus récemment, une lueur est apparue à l’occasion des «printemps maghrébins». Ainsi, en fonction du contexte propre à chaque nation, la jeunesse et les peuples du Maghreb ont fait montre d’une volonté, surprenante, mais rafraîchissante, de voir les systèmes bouger vers plus de démocratie, de solidarité et de fraternité. Et la communauté du destin des peuples maghrébins n’a jamais été très éloignée des attentes populaires durant ces mouvements. Ébahi, le monde a assisté à une vague virale, au Maghreb, d’évolution(s) des systèmes de gouvernance. L’analyse de l’historicité de cette période serait biaisée si l’on n’y greffait pas la volonté des peuples du Maghreb de s’unir autour d’un projet civilisationnel commun : un Maghreb démocratique et uni. La célébration, cette semaine, par les peuples et les sociétés civiles du Maghreb du 58e anniversaire de l’Appel de Tanger est la preuve de la survie de ce rêve dans l'esprit des peuples et de la jeunesse maghrébine en particulier.

En effet, notre ère vit profondément la mondialisation et la superpuissance des grands ensembles régionaux. La seule réponse possible à cette réalité est l’aspiration des maghrébin(e)s à l'intégration dans le cadre d'un bloc régional à même de leur permettre de relever les défis économiques, politiques et sociaux.
Le fait que l’Appel de Tanger de 1958 soit le fruit d’une initiative marocaine est fort en symbole. Le peuple marocain a toujours nourri une forte identité maghrébine et le Maroc a souvent été une locomotive pour les initiatives d’unification.

À l’époque (1956-1962), l'établissement d'une Union pour renforcer davantage les relations existant entre les peuples du Maghreb et réaliser une intégration économique et politique était une décision stratégique des États maghrébins existants, tout en luttant ensemble pour l’indépendance de l’Algérie et la stabilisation, plus tardive, des autres pays maghrébins, la Libye et la Mauritanie en l’occurrence.
L’Appel de Tanger a proposé «l'institution d'une assemblée consultative du Maghreb, issue des assemblées nationales de Tunisie, du Maroc et du Conseil national de la révolution algérienne, avec pour mission l'étude des questions d'intérêt commun». Il proclama également «le droit imprescriptible du peuple algérien à la souveraineté et à l'indépendance et décida que les partis politiques apporteront au peuple algérien, en lutte pour son indépendance, le soutien total de leurs peuples et l'appui de leurs gouvernements». Il a aussi appelé «les gouvernements et les partis politiques à coordonner leurs efforts pour prendre les mesures qui s'imposent pour la liquidation des séquelles de la domination coloniale».

Malgré le contexte géopolitique qui a fortement évolué depuis la chute du mur de Berlin, nous constatons que les idées-forces de cet appel historique demeurent d’actualité, et elles constituent toujours une œuvre fondatrice pour la traduction politique de la solidarité effective entre Maghrébins et leur développement économique et social.

L’on pourrait, à titre analytique, faire le diagnostic de ce que le Maghreb a de plus stable depuis des siècles. Nous sommes les héritiers d’un espace géo-historique basé sur un seul «ADN» socioculturel fécondé par les mêmes civilisations riches par leur diversité. Cette osmose se manifeste de nos jours par des similitudes culturelles, linguistiques, artistiques, sociales et culinaires d’une clarté incontestable. Les peuples maghrébins ont jadis proclamé et ressentent de nos jours cette nécessité de transformer ces atouts en un construit institutionnel et civilisationnel. Ils ont exprimé, lors des derniers soulèvements de 2011, des attentes considérables au niveau économique et social, et des appels virulents pour une meilleure gestion de la chose publique et commune. Qui pourra pallier tous ces dysfonctionnements en misant uniquement sur l’État-nation et ses propres moyens ? Toutes les analyses sérieuses tendent vers l’urgence de l’intégration maghrébine économique et, plus tard, politique. À l'heure de la consolidation des blocs régionaux en Europe, en Amérique, en Asie et même en Afrique, le Maghreb reste, hélas, la sous-région la moins intégrée du Globe. Il contient l’unique frontière terrestre fermée entre deux pays voisins. Il traine encore un des conflits territoriaux les plus vieux de la période de la guerre froide (Sahara).

Nous ne cessons de rappeler, encore et toujours, dans ces colonnes les défis colossaux que doivent relever les États maghrébins. La désunion les rend encore plus insurmontables. L’Appel de Tanger a présidé à la communauté des destins des peuples du Maghreb dans un contexte différent, mais également complexe. Les États maghrébins doivent par conséquent avoir à l’esprit que les conflits et les handicaps peuvent être considérés comme des atouts. Ils peuvent nous contraindre à faire preuve de créativité et à proposer des pistes innovantes vers la résolution définitive des crises et des autres différends dans un cadre et un climat maghrébins.

Sortons alors de l’insularité des esprits vers la clairvoyance de l’intelligence collective. Cela rendra plus aisée l’entame d’une véritable marche volontariste vers le Maghreb uni et démocratique proclamé par les peuples et transcendant les générations et les périodes. 


Le Maroc : locomotive de l’action maghrébine

Rappelons-nous de l’action conjointe des partis politiques nationalistes maghrébins pour l’indépendance de leurs pays. N’y a-t-il pas eu mobilisation générale du peuple marocain, de son Roi feu Mohammed V et des partis nationalistes pour l’indépendance de l’Algérie ? La jeunesse marocaine fut aux avant-postes à cet égard. Les Jeunes nationalistes tunisiens ont également organisé à leur niveau une chaîne de soutien logistique pour la résistance algérienne face aux forces d’occupation. L’histoire gardera que les chants nationalistes de l’époque ont été maghrébins et non propres à un seul pays, et que la jeunesse casablancaise s’est spontanément insurgée lors de l’annonce de l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hachad, en décembre 1952 à Radès, par les forces coloniales. Par bien des aspects, on assistait à cette époque à une véritable foi de la part des jeunes en une Union maghrébine basée sur l’émancipation des peuples, la démocratisation de la vie politique et la communauté du destin. Revisitons pour cela les documents de la Conférence de Tanger organisée par le Parti de l’Istiqlal marocain, entre le 28 et le 30 avril 1958, et à laquelle ont assisté tous les partis nationalistes maghrébins et les représentants de la lutte algérienne pour l’indépendance. Les participants ont déclaré en guise de clôture de leur rassemblement : «la Conférence de Tanger est consciente d'exprimer la volonté unanime des peuples du Maghreb d'unir leur destin, convaincue que le moment est venu de concrétiser cette volonté d'union dans le cadre d'institutions communes afin de leur permettre d'assumer le rôle qui leur incombe dans le concert des nations».


L’Union maghrébine : un rêve qui transcende les générations

Il est des luttes qui en cachent d’autres. Car en filigrane et depuis les indépendances, la lutte des peuples maghrébins pour la démocratie, la liberté et la justice sociale n’a jamais cessé ; et la jeunesse y a toujours joué les premiers rôles. Pour sortir le Maghreb de sa léthargie, la Jeunesse du Maghreb prévint dès les années 2000 contre les maux qui la guettent : faibles moyens destinés à son éducation, chômage massif croissant, mouvances jihadistes prônant la violence au sein des sociétés, immigration clandestine de masse. Au total, un tableau inquiétant et l’éloignant de tout épanouissement chez elle à cause de l’immobilisme des États et faute d’alternative crédible à lui proposer.
La période 2010-2011 est celle où le printemps maghrébin a pu, selon les pays, renverser, changer ou bousculer le paysage politique dans la région. Cela a, de nouveau, suscité l’espoir de la jeunesse du Maghreb d'être intégrée en tant qu’acteur politique à part entière dans la chose publique maghrébine. Démocratie, liberté et justice sociale sont les maîtres mots qui persisteront encore longtemps tant que le Maghreb ne connaîtra pas une vraie mutation vers l’Union irréversible, la démocratisation de ses instances et des institutions des États qui le composent et naturellement l’émergence d’une jeunesse à qui reviendrait un rôle prépondérant dans la construction d'un avenir commun.

Par Rabii Leouifoudi, chercheur en économie territoriale et en géopolitique.

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