Écœuré par le traitement inhumain qui fut réservé au dictateur libyen, l’auteur avait pris sa plume, le soir même de la disparition de Kadhafi, pour dénoncer le spectacle pitoyable, voire bestial de ses compatriotes qui exultaient autour de sa dépouille. Yasmina Khadra raconte l'histoire du Chef de l'État libyen à la première personne du singulier. Une manière de s’approprier le personnage pour accéder à ses états d’âme, à ses ressentiments et à ses colères les plus intimes. L’auteur ne voulait pas prendre du recul pour, précisément, ne pas le juger. Il voulait juste voir le monde à travers les yeux d’un homme que seule l’histoire pourrait juger. En ayant recours au «je», l’écrivain voulait se mettre littéralement dans la peau de Kadhafi en vue de comprendre sa mégalomanie, voire sa pathologie et sa schizophrénie.
À cet effet, l’éditeur de «La dernière nuit du Raïs» parle d'«une plongée vertigineuse dans la tête d'un tyran sanguinaire et mégalomane». Ce passage du livre illustre la fiction introspective de l’auteur sur son sujet : «Longtemps j'ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J'étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd'hui, je n'ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence. Lequel, du visionnaire tyrannique ou du Bédouin indomptable, l'Histoire retiendra-t-elle ? Pour moi, la question ne se pose même pas, puisque l'on n'est que ce que les autres voudraient que l'on soit.» Cette rencontre littéraire a été l'occasion pour l’écrivain d’inviter l’assistance à découvrir une autre facette de sa vie que certains n’hésiteraient pas à qualifier d’exceptionnelle. Son père était un officier de l'ALN qui fut blessé en 1958. Il envoie son fils, dès l'âge de neuf ans, dans un lycée militaire afin d’en faire un officier. Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, effectua toutes ses études dans des écoles militaires avant de servir comme officier dans l'armée algérienne pendant vingt-cinq ans. Durant la guerre civile algérienne, dans les années 1990, il était l'un des principaux responsables de la lutte contre l'AIS puis le GIA, notamment en Oranie.
Le choix de son pseudonyme d’écrivain est un hommage à sa femme. «Mon épouse m'a soutenu et m'a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie. En portant ses prénoms comme des lauriers, c'est ma façon de lui rester redevable. Sans elle, j'aurais abandonné. C'est elle qui m'a donné le courage de transgresser les interdits. Lorsque je lui ai parlé de la censure militaire, elle s'est portée volontaire pour signer à ma place mes contrats d'édition et m'a dit cette phrase qui restera biblique pour moi : Tu m'as donné ton nom pour la vie. Je te donne le mien pour la postérité».
Rappelons que Yasmina Khadra est l'auteur de la célèbre trilogie comprenant «Les Hirondelles de Kaboul», «L'Attentat» et «Les Sirènes de Bagdad». Ses livres sont vendus à des centaines de milliers d'exemplaires. Ses titres «Ce que le jour doit à la nuit» et «L'Attentat» ont été adaptés au cinéma. Le succès littéraire de Yasmina Khadra n’a pas fait que des heureux. Il regrette que certains médias freinent ou étouffent son ambition et sa portée d’écrivain de renommée mondiale. Il refuse d’être une simple curiosité exotique, une idée confinée et passéiste de la francophonie.