Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

«Dépatriarcaliser» la tradition musulmane pour réhabiliter la femme

Qui mieux que Asmae Lamrabet peut parler de la femme en Islam, sans choquer les conservateurs, ni se mettre à dos les libres penseurs. Engagée, depuis plusieurs années, dans la réflexion sur cette question, à laquelle elle a consacré plusieurs ouvrages, Mme Lamrabet était l’invitée de l’Université internationale de Rabat, à l’occasion du démarrage de son cycle de conférence «Mercredis de Sciences Po». Pour elle, entre la soumission aveugle à certaines traditions et la dénégation de soi, il y a une troisième voie pour réhabiliter la femme : «dépatriarcaliser» la tradition musulmane.

«Dépatriarcaliser» la tradition musulmane pour réhabiliter la femme

Partout, la question de la femme et l’Islam est au cœur des débats contemporains. Le Maroc ne fait pas exception et cette question ne cesse d’alimenter les discussions. C’est ce que confirme Asmae Lamrabet, la directrice du Centre des études féminines en Islam au sein de la Rabita Mohammadia des oulémas. Invitée de l’Université internationale de Rabat, à l’occasion du démarrage de son cycle de conférence «Mercredis de Sciences Po», Mme Lamrabet a affirmé que le discours au religieux se cristallise davantage, de nos jours, autour de la question de la femme. En témoignent, les polémiques sur l’héritage, l’avortement et récemment le débat autour de l’interdiction de la burqa. Tout en reconnaissant la complexité de ces thématiques, cette médecin biologiste estime que la question de la femme dans l’Islam continue d’être prise en tenaille entre, d’une part, des islamophobies «médiatisées et mondialisées» et, d’autre part, «un patriarcat culturel avéré des sociétés musulmanes».

Une situation aggravée par l’instrumentalisation politique de la question.
En effet, la question de la femme est dominée par deux discours essentialistes. Selon cette auteure de plusieurs ouvrages s’intéressant à la femme et l’Islam, en Occident, on parle de la libération de la femme musulmane, parce qu’elle est victime du patriarcat et de l’homme arabo-musulman, alors que dans le monde musulman, critiquer le patriarcat culturel ou les interprétations religieuses est considéré comme une sorte de trahison. Comment s’y retrouver alors ? Asmae Lamrabet estime qu’il existe une troisième voie entre les deux. «Entre la soumission aveugle à certaines traditions et la dénégation de soi, il y a une troisième voie consistant à “dé-patriarcaliser” la tradition musulmane». S’agissant des questions relatives à la femme et qui font polémique comme la polygamie, elle s’interroge : «Ces règles sont-elles transcrites dans le texte coranique lui-même ou s’agit-il d’une interprétation humaine reproduite dans les compilations juridiques à travers l’histoire ?» La réponse à cette question se trouve, selon Asmae Lamrabet, dans la distinction entre l’Islam spirituel, celui qui vient des sources révélées, et l’Islam institutionnel que nous avons hérité des oulémas des théologiens, des muftis, des différentes écoles juridiques, etc. «Ce n’est pas l’islam en tant que message spirituel qui opprime les femmes, mais bien les différentes interprétations et dispositions juridiques entérinées depuis des siècles par des idéologies savantes, qui, faute d’avoir été réformées, ont fini par supplanter le texte sacré, et se transformer en des lois religieuses immuables». De son point de vue, le texte doit être lu et réinterprété par chaque génération à l’aune de son propre contexte et à la lumière des vécus et des défis. Sur ce chapitre, l’anthropologue Farid El Asri estime judicieux de revenir vers la théologie profonde et de prendre de la hauteur et de la profondeur par rapport à l’objet et au contexte, et d’opter en faveur d’une approche pluridisciplinaire. Car d’après lui, «le Coran s’est intéressé à la notion de l’âme et de l’humain au-delà de toute approche genre».

En tout cas, Asmae Lamrabet considère que la question de la femme est en décalage incroyable par rapport au message spirituel et la majorité des lectures interprétatives, notamment le Fiqh, sont discriminatoires. Pour elle, le problème qui se pose est le «vide théologique» qu’elle a qualifié de tragique. Ce vide est dû à un refus, presque structurel du monde musulman de toute lecture réformiste de la tradition musulmane. À cela s’ajoute le refus des théologiens et des grandes institutions religieuses d’affronter les vraies questions qui fâchent, telles que les châtiments corporels, la laïcité et l’égalité homme-femme et les libertés individuelles. Engagée, depuis plusieurs années, dans la réflexion sur la problématique des femmes dans l’Islam, Asmae Lamrabet juge nécessaire d’initier une réforme de la pensée musulmane et d’élaborer une nouvelle approche concernant cette question de la femme. Ce travail peut être mené, selon elle, à partir des valeurs éthiques du Coran, comme la justice et l’équité. «La réforme de la pensée islamique est une obligation éthique et morale qu’on devrait commencer à appliquer. Il faut offrir au musulman de nouvelles grilles de lecture». Asmae Lamrabet préconise une lecture contextualisée et «la lecture finaliste» pour comprendre le Coran. C’est le seul moyen qui peut nous sauver, a-t-elle dit. D’après elle, cette lecture est dominée par trois grands principes, à savoir l’intérêt général, la levée de toute contrainte et la mise en œuvre de la justice.

Lisez nos e-Papers