Le Matin : Philip Morris International fait partie des opérateurs privés ayant participé à la deuxième édition de l'Africa Security Forum. Quel lien pourrait avoir un industriel du tabac avec la problématique de sécurité ?
Pouvez-vous nous brosser un tableau du phénomène du commerce illicite au Maghreb ?
Le commerce illicite est une activité transfrontalière qui constitue une composante importante de l’économie. Cette activité porte principalement sur la production, le transport, la vente, à titre illégal, de produits présentés comme légaux dans le pays de production. Dans la région du Maghreb, le trafic comprend une gamme variée de marchandises répondant à une demande des deux côtés de la frontière. Il s’agit dans le détail des cigarettes, des produits pharmaceutiques, de l’alcool, des véhicules, des matières premières, du bétail, des engrais, de la céramique et des équipements électriques. La plupart de ces marchandises sont subventionnées par les gouvernements. Ce qui signifie que la contrebande entraîne une énorme perte en termes de revenus du gouvernement, mais aussi des investissements.Quelles sont les principales causes du développement de ce phénomène dans la région ?
Les subventions des produits et les fluctuations des cours des matières premières jouent le rôle de catalyseurs du commerce illicite dans la région. Le pouvoir d’achat, les écarts de prix entre les pays de la région, mais aussi la disponibilité des produits jouent également un rôle important dans la définition des produits à introduire dans le circuit de la contrebande. En revanche, le facteur capital favorisant ce phénomène réside dans les faibles pénalités appliquées à l’encontre des personnes impliquées dans ces activités. Mieux encore, dans certaines zones de la région, la contrebande de matières premières est dépénalisée à titre informel. En parallèle, on note une tolérance sociale à l'égard de ce commerce illégal. Autrement dit, un grand nombre de citoyens qualifient cette activité de «contrebande innocente». Dans la région, ces activités sont rarement considérées comme «criminelles». Elles font partie d’une forme de stratégie de subsistance essentielle dans des zones dépourvues d’investissement. En somme, dans un contexte économique difficile, le commerce illicite représente, pour un grand nombre de citoyens, la seule source de revenus viable.Quel impact ont le trafic illicite et la contrebande en général sur les pays de la région ?
Le commerce illicite accapare les ventes de l’activité légale et implique par conséquent un énorme manque à gagner en matière de recettes fiscales. À titre d’exemple, selon un rapport publié par KPMG (réseau international de cabinets d’audit et de conseil) sur «le commerce illicite de cigarettes dans la région du Maghreb», en 2016, près de 13 milliards de cigarettes provenant du circuit illicite ont été consommées au Maghreb, représentant ainsi plus de 565 millions de dollars de perte de recettes fiscales. Outre les recettes fiscales, la contrebande du tabac est fortement préjudiciable sur le plan sécuritaire. En effet, ce sont principalement les réseaux terroristes et criminels qui contrôlent cette activité puisque le produit est très rentable, facile à transporter et soumis à des sanctions moins sévères que celles appliquées au trafic de stupéfiants, à titre d’exemple. La preuve en est que, selon le département d'État américain, Mokhtar Belmokhtar, un dirigeant d'Al-Qaïda au Maghreb, est populairement connu sous le nom de M. Marlboro, en raison de son implication dans le commerce illicite du tabac. Une activité dont les revenus servent au financement de l’organisation terroriste.Le Maroc souffre de ce phénomène, notamment dans ses zones frontalières, tout particulièrement avec l’Algérie ? Quel effet cela peut-il avoir sur l’économie marocaine ?
Historiquement parlant, les subventions de produits de grande consommation favorisent les flux illicites de produits, principalement les produits pharmaceutiques, les denrées alimentaires et le fuel. Ce flux illicite impacte les économies des deux pays. Cette situation implique une baisse des ventes légales des industriels qui sont fortement concurrencés par le circuit illégal, une suppression des postes d’emploi, mais surtout un manque à gagner en matière de recettes fiscales. Concernant l'industrie, un rapport publié par KPMG sur «le commerce illicite de cigarettes dans la région du Maghreb» souligne que le commerce illicite a coûté au gouvernement un manque à gagner fiscal de l’ordre de 143 millions de dollars en 2016. En revanche, il est important de noter que, depuis 2014, les flux de marchandises illicites sont en régression grâce aux efforts fournis par les autorités marocaines et algériennes, principalement en matière de renforcement des contrôles aux frontières.Avez-vous des propositions pour combattre cette contrebande en général et celle relative aux produits du tabac en particulier ?
Combattre le commerce illicite, particulièrement en matière de cigarettes, impose la mise en place et le déploiement d’une stratégie globale faisant de la lutte contre le commerce illicite une priorité. Cette stratégie doit aboutir au renforcement de la législation, en prévoyant, entre autres, des peines d'emprisonnement dissuasives pour les commerçants illicites du tabac. L’investissement en matière de formation des équipes chargées du contrôle et la mise à leur disposition de tous les moyens et outils nécessaires pour la réussite de leurs missions. À cela s’ajoute également le développement des collaborations entre les autorités et les industriels en matière de lutte contre le commerce illicite.Par ailleurs, Philip Morris International a même lancé en 2016, «PMI Impact», une initiative mondiale visant à soutenir les organisations publiques, privées et non gouvernementales dans le lancement de projets qui permettent de combattre le commerce illicite, pour une enveloppe de financement globale de 100 millions de dollars sur trois ans.
Entretien réalisé par Brahim Mokhliss