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C’est génétiquement irréconciliable

Dans un documentaire sur les grandes banques internationales, les journalistes furent choqués par l’ampleur des pratiques immorales, mais tout à fait légales de celles-ci. Dans ce même documentaire, un expert a expliqué que les marges de ces banques sont réalisées grâce à l’exploitation décomplexée des pays en développement, maintenus par les multinationales du Nord dans la misère et la violence. Ainsi, à chaque crise de grande envergure, le même débat sur la moralisation du capitalisme revient avec force. Mais c’est peine perdue. Le Capitalisme n’est pas immoral, il est plutôt amoral.

C’est génétiquement irréconciliable
À chaque crise de grande envergure, le même débat sur la moralisation du capitalisme revient avec force.

Aux origines du divorce entre Capital et morale
Dans le sillage de la conquête de l’Andalousie par les Royaumes d’Aragon et de Castille et du lancement de la découverte des Amériques, un courant de pensée économique vit le jour et se développa du 15e au 18e siècles. Les historiens l’appellent le mercantilisme. Selon les maîtres penseurs de cette école, la richesse d’une nation n’est pas dans la quantité de biens et de services qu’elle produit pour son marché interne et pour le reste du monde, mais dans l’accumulation des réserves monétaires en argent métal ou en or. En effet, aux débuts de l’économie en tant que science, les économistes confondaient sources et manifestations de la richesse. Si de nos jours, cette pensée semble simpliste, car même la valeur de la monnaie n’est plus adossée à des métaux précieux, elle marqua néanmoins durablement les courants économiques qui lui succèderont (y compris le communisme). En effet, c’est la première fois que l’on dissocie morale et économie. L’économie devint dès lors régie par des lois naturelles que l’on peut modéliser et/ou observer. Elle devient surtout organisée par des règles échappant aux instructions divines. Avec l’arrivée au pouvoir de la bourgeoisie (classe sociale qui doit sa fortune à l’industrie, au commerce et surtout à la finance), il fallait définitivement couper le cordon ombilical avec deux institutions dont le pouvoir certes déclinant gênait l’ascension de ceux qu’on appellera plus tard les capitalistes. Ces deux institutions étaient les empires absolus (détenteurs du pouvoir politique) et l’Église (pouvoir moral). 
À partir de la Révolution française et l’indépendance des États-Unis à la fin du 18e siècle, et pour la première fois dans l’histoire, l’économie prendra l’ascendant sur le politique et le religieux. Ce renversement des rapports de force, suite au renversement des rapports de production, donnera naissance à une trinité qui prévaut jusqu’à nos jours : Laïcité, Démocratie et Capitalisme. Ainsi, les lois seront désormais élaborées par les Hommes et non par l’Église (on comprend aisément que c’est la nouvelle classe dominante qui fixera le licite et l’illicite). D’autre part, l’application de ces lois ne sera plus le fait du prince, mais se fera dans le cadre d’institutions élues. Enfin en matière économique, le Capitalisme imposera les trois libertés que sont la libre propriété, la libre concurrence et la libre entreprise, avec une seule finalité : la maximisation du profit pour les actionnaires (pour atténuer la charge idéologique, on parlera de création de valeur). En résumé, sans démocratie qui protège les fortunes du fait du prince ; et sans laïcité qui lui donne les mains libres dans la fixation des lois orientées vers la maximisation du profit, le capitalisme n’aurait pas pu se développer à une si grande échelle, notamment dans les pays de la triade (États-Unis et Canada, Europe occidentale et Japon). 

Chronologie de l’amoralité ou de l’immoralité
Les largesses que prend le capitalisme avec la morale peuvent faire l’objet de très longues publications. Nous citerons, à titre d’illustration, quatre situations ayant toutes eu lieu dans la décennie 2000. Le 01/01/2000, les systèmes d’information du monde passèrent sans aucun problème la première année du troisième millénaire. 
Les gens ont alors découvert l’ampleur de la supercherie ayant précédé l’évènement présenté comme apocalyptique. À l’époque, certains «experts» prédisaient même la fin du monde, suite à des bugs informatiques dans les dates pouvant déclencher une guerre nucléaire, car les missiles deviendraient incontrôlables. 
En 2001, la 7e capitalisation économique mondiale «Enron», alors modèle de bonnes pratiques de management et d’innovation, fait une faillite retentissante, en raison de fraudes massives dans sa comptabilité. Celle-ci devait faire ressortir un lourd endettement que les dirigeants du géant énergétique avaient tenté, par des moyens frauduleux, de cacher aux actionnaires.
En 2003, les États-Unis envahissent l’Irak, détenteur de la deuxième réserve de pétrole dans le monde, permettant ainsi aux multinationales américaines d’engranger des profits records grâce à la manne pétrolière sur lequel l’oncle Sam venait de mettre la main. 
Les marchés allaient de la confection de manuels scolaires jusqu’à la construction d’hôpitaux ou encore la reconstruction de l’armée irakienne. Dans la version la plus aboutie du capitalisme, la guerre n’est plus la poursuite de la politique par d’autres moyens, comme l’affirmait Von Clausewitz, mais la poursuite du profit par d’autres moyens.
En 2008, la plus grande crise financière depuis un siècle frappa le monde entier. Là encore, on découvrit que la cause racine fut la quête, sans freins moraux, du profit, au point de confectionner par les banques d’investissement (échappant à tout contrôle des régulateurs) des produits toxiques pour une clientèle insolvable et les distribuer à des investisseurs crédules attirés par l’appât d’un gain facile. La suite de l’histoire est connue de tous : une dépression sans précédent dont nous souffrons des conséquences jusqu’à aujourd’hui.
La bourgeoisie, pour asseoir sa mainmise sur l’économie, a dû reprogrammer les logiciels de fonctionnement des sociétés. Alors que le capitalisme a mené des guerres sans merci pour s’affranchir de la tutelle de l’Église et du pouvoir absolu, dépositaires de la vertu et de la morale, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il intègre dans son fonctionnement, aujourd’hui, ce contre quoi il a lutté depuis sa naissance. Si vous voulez un système plus moral, changez de système ! 

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

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