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Développement économique : l’autre rôle de l’État

Depuis la sortie du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le capital immatériel, les observateurs, tout en saluant le travail, n’arrivent pas à en trouver l’utilité en termes d’orientation des politiques économiques du pays. Or, à notre humble avis, le rôle de ces organes constitutionnels est moins de proposer que d’expliquer ; et s’il y a une valeur ajoutée que ce rapport contient entre ses lignes et sur laquelle il faut s’arrêter longuement est qu’il nous permet de comprendre l’une des raisons pour lesquelles nous tardons toujours à décoller.

Développement économique : l’autre rôle de l’État
Les rapports de la Banque mondiale sur les nouvelles mesures de la richesse des nations insistent sur l’importance du capital immatériel dans la création de richesses et plus particulièrement le capital institutionnel.

Aux origines du divorce entre capital et morale
Jusqu’aux années 1970, les économistes accordaient très peu d’importance à la dimension institutionnelle dans le développement. Ils ont ainsi limité le rôle de l’État à la sphère purement économique. L’intervention de l’État devait être selon eux (i) soit régalienne de laissez-faire (ii) soit ponctuelle pour ramener l’économie à une situation de plein emploi quand le marché n’arrivait pas à s’autoréguler (iii), soit structurelle de définition des secteurs prioritaires pour le développement d’un pays et de dotation de ceux-ci en facteurs de production en quantité et en qualité suffisantes. Cette dernière conception est celle d’un État stratège et pour laquelle le Maroc a opté depuis l’indépendance avec plus ou moins de succès. Ainsi, suite à l’échec de la politique protectionniste et de préférence nationale dite de l’import-substitution menée dans les années 1960 et 70, le pays s’est engagé dans les années 1980 et 1990, sous le poids d’un lourd endettement et sur injonction de ses créanciers, dans une politique d’ajustement structurel et d’ouverture de son économie aux échanges internationaux. À partir des années 2000, l’État, tout en maintenant les choix de la décennie précédente en termes d’ouverture et de préservation des équilibres macroéconomiques, s’est engagé dans un vaste mouvement de relance de l’économie, en développant les infrastructures de base (routes, autoroutes, ports, aéroports et télécommunications) et en identifiant les secteurs prioritaires pour l’investissement (tourisme, agriculture et pêche, industries de transformation et offshoring entre autres). Cette décennie a également permis de jeter les premiers jalons de l’internationalisation des entreprises marocaines. En d’autres termes, tous les ingrédients étaient réunis pour mettre le Maroc sur la voie de l’accélération de la croissance, d’autant plus que la décennie 2000 coïncidait avec un environnement international particulièrement favorable (croissance forte de l’économie mondiale et prix faibles des hydrocarbures). Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné alors ?   

Le rôle de l’État ne peut être qu’économique
À partir des années 1970, les économistes ont compris que l’économie ne fonctionne pas dans un vase clos indépendant des autres déterminants culturels, sociaux et politiques d’un pays. Autrement dit, avant d’élaborer une stratégie de développement, il faut définir et organiser les liens au sein du triptyque : État, société et marché (à partir du moment où le capitalisme s’impose comme modèle économique quasi universel). Avant de faire des choix économiques, il faut mettre en place un appareil d’État fort et d’administration moderne capable de définir des politiques publiques (gouvernement), les mettre en place (administration) et contrôler leur exécution (représentation nationale, organes constitutionnels et opinion publique). Sans une doctrine forte à ce niveau, et qui est à définir comme priorité indispensable, les choix économiques, aussi pertinents soient-ils, buteront immanquablement sur une piètre exécution et un insuffisant contrôle et pilotage. Ceci se traduit, non seulement par un gaspillage inutile des ressources, somme toute limitées pour un pays comme le nôtre, mais également par un retard de développement qui devient irrattrapable, au fur et à mesure que les autres pays font les bons choix. Ainsi, selon l’étude du HCP sur les sources de croissance de l’économie marocaine, «en l’absence de politique forte et agressive, et si la tendance actuelle de croissance se maintient, il faudrait au Maroc 31 ans pour atteindre le niveau actuel de développement de la Tunisie, 65 ans pour atteindre celui de la Malaisie, 129 ans pour celui de la Corée du Sud et près de 2 siècles pour atteindre celui des États-Unis. Évidemment, ceci ne signifie pas un rattrapage, parce qu’au moment où le Maroc atteindrait ces niveaux, ces pays auraient déjà creusé davantage le fossé et il sera de plus en plus difficile de réduire l’écart, pour rattraper, ou du moins réduire l’écart, il faut donc emprunter un sentier de croissance plus rapide». Cette étude a été effectuée en 2005 et depuis l’écart s’est encore creusé avec ces pays ! D’ailleurs, les rapports de la Banque mondiale sur les nouvelles mesures de la richesse des nations insistent sur l’importance du capital immatériel dans la création de richesses, et plus particulièrement, le capital institutionnel. En effet, le bon fonctionnement des institutions est non seulement un facteur d’attraction des capitaux étrangers et des talents, mais c’est également la garantie que les règles et les lois du marché s’appliquent à tous, sans autre discrimination que la capacité des agents économiques à créer de la valeur. La construction d’un État de droit et l’ancrage de la pratique démocratique sont des processus permanents, même dans les plus vieilles démocraties. La séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs et l’équilibre entre ceux-ci assurent la meilleure affectation des ressources au sein de l’économie, de telle sorte que le profit devient fonction de la prise de risques et des qualités managériales et empêche toute situation de rente indue. Il y va non seulement de la liberté des citoyens, mais également pour la bonne conduite des affaires. Si le rapport sur la richesse immatérielle du Maroc élaboré par le CESE ne devait avoir que la seule vertu d’établir le lien entre la richesse de notre pays et son capital institutionnel, il aurait largement mérité les trois ans d’attente ! 

Par Nabil Adel 
Nabil Adel est chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

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