Aux origines du divorce entre capital et morale
Le rôle de l’État ne peut être qu’économique
À partir des années 1970, les économistes ont compris que l’économie ne fonctionne pas dans un vase clos indépendant des autres déterminants culturels, sociaux et politiques d’un pays. Autrement dit, avant d’élaborer une stratégie de développement, il faut définir et organiser les liens au sein du triptyque : État, société et marché (à partir du moment où le capitalisme s’impose comme modèle économique quasi universel). Avant de faire des choix économiques, il faut mettre en place un appareil d’État fort et d’administration moderne capable de définir des politiques publiques (gouvernement), les mettre en place (administration) et contrôler leur exécution (représentation nationale, organes constitutionnels et opinion publique). Sans une doctrine forte à ce niveau, et qui est à définir comme priorité indispensable, les choix économiques, aussi pertinents soient-ils, buteront immanquablement sur une piètre exécution et un insuffisant contrôle et pilotage. Ceci se traduit, non seulement par un gaspillage inutile des ressources, somme toute limitées pour un pays comme le nôtre, mais également par un retard de développement qui devient irrattrapable, au fur et à mesure que les autres pays font les bons choix. Ainsi, selon l’étude du HCP sur les sources de croissance de l’économie marocaine, «en l’absence de politique forte et agressive, et si la tendance actuelle de croissance se maintient, il faudrait au Maroc 31 ans pour atteindre le niveau actuel de développement de la Tunisie, 65 ans pour atteindre celui de la Malaisie, 129 ans pour celui de la Corée du Sud et près de 2 siècles pour atteindre celui des États-Unis. Évidemment, ceci ne signifie pas un rattrapage, parce qu’au moment où le Maroc atteindrait ces niveaux, ces pays auraient déjà creusé davantage le fossé et il sera de plus en plus difficile de réduire l’écart, pour rattraper, ou du moins réduire l’écart, il faut donc emprunter un sentier de croissance plus rapide». Cette étude a été effectuée en 2005 et depuis l’écart s’est encore creusé avec ces pays ! D’ailleurs, les rapports de la Banque mondiale sur les nouvelles mesures de la richesse des nations insistent sur l’importance du capital immatériel dans la création de richesses, et plus particulièrement, le capital institutionnel. En effet, le bon fonctionnement des institutions est non seulement un facteur d’attraction des capitaux étrangers et des talents, mais c’est également la garantie que les règles et les lois du marché s’appliquent à tous, sans autre discrimination que la capacité des agents économiques à créer de la valeur. La construction d’un État de droit et l’ancrage de la pratique démocratique sont des processus permanents, même dans les plus vieilles démocraties. La séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs et l’équilibre entre ceux-ci assurent la meilleure affectation des ressources au sein de l’économie, de telle sorte que le profit devient fonction de la prise de risques et des qualités managériales et empêche toute situation de rente indue. Il y va non seulement de la liberté des citoyens, mais également pour la bonne conduite des affaires. Si le rapport sur la richesse immatérielle du Maroc élaboré par le CESE ne devait avoir que la seule vertu d’établir le lien entre la richesse de notre pays et son capital institutionnel, il aurait largement mérité les trois ans d’attente !Par Nabil Adel Nabil Adel est chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.