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Du panafricanisme de libération au panafricanisme de développement

Le 31 janvier 2017 aura été indiscutablement un jour mémorable qui fera date dans les annales de l’histoire du Maroc contemporain. En effet, après une absence ayant duré plus de 30 ans de l’Organisation de l’unité africaine, devenue entre-temps l’Union africaine, le Maroc reprend légitimement sa place au sein de cette institution.

Du panafricanisme de libération  au panafricanisme de développement
La nouvelle approche géoéconomique pratiquée par le Maroc consiste à s’ouvrir aussi sur les pays anglophones se situant en Afrique de l’Est et Australe indépendamment de leur position vis-à-vis du dossier de l’intégrité territoriale du Maroc.

Le soutien massif et inconditionnel de 39 chefs d’État africains à ce retour et la dernière visite royale effectuée au Sud-Soudan, adossée à la nouvelle approche humanitaire basée sur la conciliation entre urgence et développement, fera adhérer, assurément et concrètement, un nouveau partenaire à la nouvelle idéologie panafricaniste du Maroc, fondée sur les vertus de la coopération Sud-Sud, le co-développement, la valorisation des ressources via la création de la valeur ajoutée, l’exploitation des complémentarités et la coopération entre pays africains pour vaincre la pauvreté et faire de la croissance démographique une véritable aubaine (croissance alimentée par une population jeune et mieux formée, autonomisation des jeunes, accroissement de l’épargne nationale, positionnement de l’Afrique dans l’économie numérique).

Une nouvelle diplomatie marocaine agissante et proactive conduite par le Souverain
Ce retour traduit, par conséquent, à bien des égards, les mutations de la gouvernance de la diplomatie marocaine qui devient multi-secteurs (agriculture, banques, assurances, industrie, logistique, énergie, aménagement, expertise, social, humanitaire, etc.), multi-niveaux (national, bilatéral, régional, continental et mondial) et multi-acteurs (Souverain, diplomates, organisations patronales, entreprises privées, entreprises publiques, partis politiques, universités, instituts de recherche, société civile, etc.). De ce point de vue, S.M. le Roi, a réussi, grâce à ses orientations stratégiques et au nombre de visites concluantes effectuées dans de nombreux pays africains et asiatiques (les nouvelles puissances) à faire de la nouvelle diplomatie marocaine un levier de développement du pays et de rééquilibrage des rapports de force en faveur du Royaume par le biais de la diversification de la structure économique et celle des partenaires.
Dans le même ordre d’idées, les banques marocaines, présentes en Afrique de longue date, ont développé une connaissance approfondie des réalités africaines et des opportunités d’investissement dans le continent ainsi que les possibilités de développement des partenariats stratégiques avec les pays africains, européens, asiatiques, américains et du Golfe, basés sur le principe du gagnant-gagnant. En effet, la diplomatie multi-niveaux associée à la stratégie de développement du pays en plus de sa position géographique ont fait du Maroc une véritable plateforme de coopération entre l’Afrique et le reste du monde.

Une stratégie de coopération Sud-Sud construite en dehors de l’Union africaine
De surcroît, malgré son absence de l’Union africaine, le Maroc a développé des relations privilégiées et pragmatiques avec de nombreux pays du continent. En témoigne le nombre d’accords et de conventions signés durant la période allant de 2000 à 2017, qui approche les 1.000. Ce qui représente un record mondial. D’ailleurs, rien que pendant les trois dernières tournées royales en Afrique de l’Est, de l’Ouest et Australe, plus de 200 accords ont été signés. Ces fondements institutionnels ont donné lieu à un renforcement des relations économiques, financières, techniques, sociales et humanitaires entre le Maroc et plusieurs pays d’Afrique centrale, occidentale, orientale et australe. Le modèle de coopération Sud-Sud prôné par le Maroc interpelle l’Afrique : qu’avons-nous fait de notre indépendance ?
En outre, la nouvelle approche géoéconomique pratiquée par le Maroc consiste à s’ouvrir aussi sur les pays anglophones se situant en Afrique de l’Est et australe, indépendamment de leur position vis-à-vis du dossier de l’intégrité territoriale du Maroc. Une nouvelle approche qui interpelle les dirigeants africains et les invite à choisir entre un panafricanisme suranné basé sur l’idéologie de libération (qui n’a plus lieu d’être étant donné les changements conséquents qui se sont produits à l’échelle planétaire et régionale) et l’idéologie de développement qui invite l’Afrique à saisir une opportunité historique, marquée par la diversification des partenaires intéressés par le continent, les mutations de l’économie mondiale, le déclin des puissances classiques, le relâchement des conditionnalités rendant possible la conception des politiques autonomes de développement, en plus du potentiel de croissance, au regard des ressources humaines et naturelles du continent.

Le soutien massif de pays tels que le Nigeria, l’Éthiopie, le Rwanda et la Tanzanie au retour du Maroc à l’UA en dit long sur l’attrait qu’exerce le modèle de coopération Sud-Sud défendu par le Maroc, et donc le triomphe de panafricanisme de développement. Ceci est d’autant plus vrai que le Maroc, après avoir élaboré une politique africaine multisectorielle (agriculture, finance, banque, microfinance, assurance, logement, logistique, infrastructures, énergies renouvelables, gouvernance urbaine et aménagement du territoire, etc.), cherche désormais à jouer le rôle de pays fédérateur pour l’émergence d’une stratégie africaine de développement et de négociation sur la scène internationale. Le Sommet africain tenu en marge de la COP 22 de Marrakech en dit long aussi sur le rôle que le Maroc ambitionne de jouer pour une Afrique dominante dans le monde et influente sur la marche du monde. Il est temps que l’Afrique tire profit de ses ressources incommensurables, qu’elle les valorise moyennant des stratégies d’industrialisation, que les importations africaines qui ont évolué de plus de 400% pendant les dix dernières années pour s’établir à plus de 500 milliards de dollars en 2016, se fassent, du moins en partie, entre pays africains.
En la matière, le Maroc, fort de sa diplomatie économique, emprunte du pragmatisme et du sens de solidarité agissante avec les pays de l’Afrique de l’Ouest, centrale, de l’Est et australe, est déterminé, comme le montre amplement la dernière tournée royale dans certains pays africains anglophones (le Rwanda, la Tanzanie, l’Éthiopie, le Nigeria et le Sud-Soudan), à jouer le rôle de locomotive et d’acteur important dans la quête du renforcement du rôle de l’Afrique sur la scène mondiale et de l'émergence d’une stratégie agricole, industrielle et de développement humain propre à l’Afrique et au service de sa population.

Le Gazoduc Nigeria-Maroc associant plus de 13 pays d’Afrique de l’Ouest
L’accord stratégique signé entre le Maroc et le Nigeria, visant la mise en place d’un gazoduc pour l'acheminement du gaz nigérian jusqu’en Europe, en passant par 13 pays africains riverains de l’Atlantique, traduit la maturité de la diplomatie économique marocaine et l’intérêt grandissant des dirigeants africains pour le renforcement de l’intégration économique entre les pays du continent. Il peut constituer un précédent et servir de toile de fond en matière d’intégration africaine et de rapprochement stratégique entre les communautés économiques régionales africaines. Ledit accord donnera lieu à la mise en place de pôles de compétitivité dédiés à l’agriculture (les engrais), l’agro-alimentaire et la logistique. Ce qui veut dire que la dimension géographique du projet sera mise en avant pour donner lieu à des dimensions plus stratégiques ayant trait à la transformation des ressources et la valorisation des complémentarités. Autant dire que ce projet est en train de donner naissance à un nouveau mode de coopération interafricaine, basé sur le principe de «destin partagé».

Ce qui reflète la valeur ajoutée que le Maroc peut apporter au sein de l’Union africaine pour la concrétisation et l’amélioration des programmes économiques, sociaux et sécuritaires portés par les commissions de cette instance panafricaine.

Vers une convergence de la politique africaine du Maroc et celle de l’Union africaine
Le modèle de coopération Sud-Sud défendu par le Maroc repose sur quatre fondements :
1. La transformation des ressources naturelles.
2. Le développement humain.
3. L’émergence de l’Afrique comme nouvel acteur de la gouvernance mondiale.
4. une approche humanitaire basée sur le triptyque urgence, réhabilitation et développement.
Par rapport à ce dernier point, la dernière visite royale effectuée au Sud-Soudan, un État de création récente, déjà dévasté par une guerre civile qui dure depuis 2003, soit seulement 2 ans après la séparation des deux Soudan, est l’illustration parfaite de la nouvelle approche marocaine basée sur la diversification des partenaires et le rapprochement stratégique et mutuellement bénéfique de tous les pays africains, y compris ceux hostiles au Maroc. Une politique à laquelle croit de plus en plus la majeure partie des dirigeants africains qui semblent en passe d’abandonner l’ancienne idéologie basée sur la dichotomie : bloc de l’Est, bloc de l’Ouest, qu’ils troquent contre une nouvelle idéologie qui met l’homme au centre des préoccupations de l’action politique et diplomatique et prônant la valorisation des ressources et l’exploitation des complémentarités, à savoir l’idéologie de développement.
Somme toute, un nouveau vent semble souffler sur le continent africain et partant l’Union africaine. Ce n’est pas par hasard que le nouveau président de l’Union africaine, Alpha Condé, a souhaité que le 28e Sommet de l’Union africaine d’Addis-Abeba, qui a vu le Maroc retourner à sa maison africaine et retrouver sa place au sein de cette organisation, soit le synonyme d’une renaissance africaine. D’où l’importance de s’interroger sur l’avenir du continent et ce que le Maroc peut apporter pour que l’Union africaine puisse se remettre sur la voie de la prospérité et de l’émergence.
Comprendre la valeur ajoutée que le Maroc peut apporter à l’Union africaine devrait se faire à la lumière de l’analyse des défis auxquels l’Union africaine, comme gouvernement continental, se doit de faire face. Ces défis sont au nombre de quatre et, pas des moindres :

1. Les défis démographiques. Le taux de croissance démographique en Afrique est parmi les plus élevés du monde. En effet, à en croire les statistiques prospectivistes des institutions internationales, la population africaine qui s’élève actuellement à 1 milliard et 200 millions habitants, serait de 1 milliard et 650 millions d’ici 2030 et 2 milliards et 400 millions d’ici 2050. C’est dire que dans quelques années, 25% de la population mondiale sera issue de l’Afrique. Cette démographie galopante est à la fois une opportunité et une menace. Elle serait une opportunité, si l’Union africaine devient réellement une instance de développement au sein de laquelle se concevrait une stratégie africaine pour la modernisation de l’agriculture, l’industrialisation, l’emploi et la valorisation des ressources humaines. Une menace dans la mesure où l’absence d’une stratégie dans ce sens équivaudrait à plus de chômage parmi les jeunes (manque à gagner pour l’économie en termes de productivité et pour la collectivité moins de revenus et donc moins d’impôt). Nous savons que le chômage des jeunes sur une longue durée fournit le terreau fertile à la prolifération de l’extrémisme et l’intensification de l’émigration clandestine. L’importance des jeunes âgés de 15 à 25 ans est une opportunité qui devrait être saisie par les pays africains pour une croissance économique vigoureuse, tirée par la productivité, l’innovation et les start-ups numériques. Pourvu que l’Union africaine fasse de l’éducation et de la formation une de ses préoccupations principales afin de tirer profit du dividende démographique.

2. Les défis de la sécurité alimentaire. L’évolution démographique interpelle aussi l’Afrique au niveau de la sécurité alimentaire. D’où l’importance de renforcer la coopération entre pays africains et au sein de l’UA dans le domaine de l’agriculture. Quelle place pour le développement rural et l’agriculture de subsistance ?
Le Maroc, dans ce domaine, a apporté la preuve tangible du rôle qu’il veut jouer dans la sécurité alimentaire en Afrique (un enjeu de taille dans le continent aussi bien dans le monde rural qu’urbain). Les conventions signées avec plusieurs pays africains font la part belle à l’agriculture, conçue dans le cadre d’une chaine de valeur agricole (partage d’expérience acquise par le Maroc dans le domaine de l’agriculture, production des engrais adaptés aux spécificités des sols africains par la valorisation de la recherche et développement et l’exploitation des complémentarités, l’importance accordée à l’agriculture de subsistance par l’accompagnement des petits agriculteurs, le financement et l’assurance des récoltes). Le projet de mise en place d’une plateforme en Éthiopie dont le coût est estimé à 3,5 milliards de DH, dédiée à la production des engrais, grâce à la combinaison des ressources des deux pays (le Maroc apporte l’acide phosphorique et l’Éthiopie le gaz), en plus de celui recouvrant le même aspect que l’OCP mettra en place au Nigeria, en disent long sur la place importante qu’occupe le Maroc en Afrique et l’attrait que le panafricanisme de développement qu’il appelle de ses vœux exerce sur les puissances africaines (Éthiopie, Nigeria, Tanzanie, Rwanda, etc.).

3. Les défis de l’industrialisation. L'Afrique, en dépit des efforts déployés, est restée prisonnière de l’exportation des matières premières. Les modèles de croissance basés sur l’exportation des matières premières semblent être à bout de souffle. Ce n’est pas par hasard que plusieurs pays africains ont élaboré de nouvelles stratégies de développement, basées sur la diversification par le biais de l’industrialisation. Quels modèles d’industrialisation, quel modèle de développement pour l’Afrique, comment faire converger les stratégies d’industrialisation des pays africains et celle de l’UA ?

4. Les défis de la pauvreté et l’insécurité. Plusieurs pays africains sont exposés à des problèmes d’insécurité liés aux conflits politiques, au terrorisme et à l’extrémisme. La résolution de ces problèmes nécessite la mise en place d’un cadre continental de coopération. Que peut faire l’Union africaine en matière de résolution des crises et de leur prévention ? Comment concilier urgence et développement ? Et comment agir sur l’urgence récurrente qui empêche le développement en Afrique ?
De même, comment transformer les dynamiques économiques actuelles que connaissent les pays africains en développement humain ? L’UA serait-elle le cadre d’élaboration d’une stratégie africaine de développement humain ? Quelles devraient être les principales composantes de la nouvelle stratégie du Maroc au sein de l’Union africaine ? Un ensemble de questions auxquelles le prochain article tentera d’apporter des éléments de réponse.

Echkoundi Mhammed & Hicham Hafid Enseignants-chercheurs à l’institut des études africaines

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