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Les Marocains boudent les chaînes nationales

Des téléspectateurs, des professionnels des médias et des défenseurs des droits des consommateurs critiquent les programmes présentés par Al Aoula et 2M en ce mois sacré.

Les Marocains boudent les chaînes nationales

C’est le marronnier du Ramadan au Maroc : chaque année, les téléspectateurs se plaignent des programmes proposés par les chaines de télévision nationales. Mais cette année, les critiques sont encore plus piquantes et grinçantes. Sur les réseaux sociaux et dans la rue les Marocains confirment leur désamour pour les grilles ramadanesques des télévisions publiques : «Les programmes de télévision sont nuls», «Il n’y a rien d'intéressant, comme les capsules de Kabbour par exemple», «C’est une déception»… les témoignages des téléspectateurs se multiplient, mais convergent tous pour dénoncer le manque de qualité et de créativité. Pour eux, les programmes télévisés du Ramadan insultent l’intelligence du citoyen marocain. Il faut dire que cette situation dure depuis plusieurs années, mais les doléances des consommateurs n’ont, semble-t-il, jamais trouvé une oreille attentive. Les chaines de télévision nationales continuent, aux yeux de beaucoup de spectateurs, d’imposer le même contenu insipide, si ce n’est pire cette année. «Les émissions programmées à l'heure du ftour sont plus médiocres que celles des Ramadans précédents.

Elles sont comme une barrière psychologique qui nous empêche de regarder la suite de la programmation», souligne Ghizlane Azar de Casablanca. Pour Imane Oukheir, une autre téléspectatrice déçue, «la plupart des gens boycottent les chaînes marocaines, tellement elles les ont habitués à la déception. Nos chaînes ne répondent malheureusement plus à nos attentes, vu qu’elles ne tiennent pas compte de notre diversité et notre richesse culturelle et sociale, ce qui nous pousse à satisfaire notre curiosité intellectuelle par le Net ou les chaînes étrangères».Face à ce constat, plusieurs familles boycottent Al Aoula et 2M, d’autres ont renoncé au divertissement de la télévision. «Vu toutes les déceptions des années précédentes. Nous avons arrêté de regarder les chaînes marocaines», nous confie Ilham Lamrani. «Nous n'avons jamais allumé la télévision depuis le début du Ramadan», rétorque Laïla Dibaji, une citoyenne qui refuse de se laisser piéger par les grilles nationales ridicules du Ramadan. Plusieurs professionnels du secteur de l'audiovisuel boycottent également la télévision cette année en encourageant la lecture au lieu du bavardage agaçant.

«Dégradation des programmes de 2M»

De l'avis général, les humoristes marocains sont en panne d'idées. «Je ne sais pas pourquoi ils insistent à faire de la comédie !» affirme Issam, un autre téléspectateur déçu. À en croire notre micro-trottoir, cette année, les critiques émises par le public sont sans équivoque et provoquent un phénomène de «zapping». Un constat confirmé par Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC) : «Beaucoup de citoyens nous ont contactés pour dénoncer la programmation minable des deux chaines nationales. Ce Ramadan, on a constaté une dégradation honteuse des programmes de 2M, alors qu’Al Aoula continue à faire du surplace. L’État devrait réagir pour mettre fin au gaspillage de l'argent pour produire des navets». Pour lui, la redondance dans nos chaines est pitoyable par rapport aux chaines de pays voisins comme la Tunisie où on remarque de la créativité. À part la série de Driss Roukh, «El Khawa», la majorité des programmes diffusés en prime time sont critiqués. Malgré la polémique soulevée par le langage utilisé par Sakina Drabil (Soukaïna), cette sitcom a été bien accueillie comparée aux autres productions. Au fil des émissions, le personnage de Soukaïna est devenu très apprécié par les Marocains. «L’idée de tourner une sitcom à Safi et de mettre en valeur l’art de la poterie est très appréciable, de même que l’utilisation de la Aïta dans le jingle. Malheureusement, je n’ai pas suivi la sitcom à cause de la présence de quelques artistes qu'on retrouve partout comme Dounia Boutazout», explique Hassan Habibi, universitaire spécialiste en journalisme et média.

«Hdidane à Guéliz» est aussi apprécié par certains téléspectateurs, des fans de Kamal Kadimi. Sur Al Aoula, la capsule «Babou Ala Babi» est également tolérée par des consommateurs qui disent «chercher une ambiance marocaine pour meubler leur ftour». Les thèmes abordés dans les émissions du Ramadan 2017 se veulent proches des soucis socioéconomiques du citoyen, mais le langage utilisé est souvent celui de la rue.

La caméra cachée critiquée

La palme d’or de la médiocrité revient cette année au programme de caméra cachée «Mchiti fiha 2». «Cette caméra cachée est produite d’une façon incroyable. On y insulte l’intelligence des Marocains», souligne Hassan Habibi. Un constat confirmé par les téléspectateurs interrogés par notre journal : «Un enfant de 5 ans devine que c’est truqué», «Il y a d’autres moyens de faire rire les gens que les explosions, les courses-poursuite et les super pouvoirs», «Il aurait mieux valu acheter un concept étranger, plutôt que de diffuser cette émission de torture», «Ramadan n’est pas un mois où on a besoin de plus de caméras cachées et de sitcoms, mais plutôt d'émissions culturelles».

Selon Hassan Habibi, on voit souvent les mêmes têtes sur les écrans au mois du Ramadan, car certains annonceurs exigent leur présence. En effet, les producteurs ne se soucient pas de la qualité de leurs produits, du moment que les chiffres de Marocmétrie sont toujours rassurants. «Sur l'ensemble de la journée (de 3 h à 23 h), 2M s'impose avec 47,6% de parts d’audience, suivie des autres chaînes (39,2%), d'Al Oula (7%), d'Al Maghribia (3,7%) et les autres chaînes de la SNRT (2,6%)», indique un communiqué de l'entreprise de mesure d'audience télé. Bizarrement, selon Marocmétrie le programme «Mchiti fiha 2» est le plus regardé avec 11,233 millions de spectateurs durant la journée du 1er juin, soit 77,4% de part d’audience. Sur la chaîne Al Aoula, le programme «Anissa Farida» a été regardé par plus de 2,19 millions spectateurs le 31 mai (23,6%), suivi de la série «Dar El Ghozlane 2» avec 1,79 million spectateurs durant la journée du 1er juin (13,8%).

Par ailleurs, les téléspectateurs qui ont suivi la «météo» (1,72 million de personnes) le 27 mai dépassent les fans de l’émission «Lalla Laaroussa» (1,56 million de spectateurs). Selon certains Marocains, ces chiffres représentent peut-être les téléspectateurs qui laissent la télévision allumée sans la regarder ou l’utilisent comme bruit de fond. Une chose est certaine, ces pourcentages attirent les annonceurs qui intéressent la majorité des producteurs. Pourtant, on peut associer la publicité à la créativité. «Le Maroc est un champ fertile de talents dans le domaine de l’audiovisuel, mais malheureusement on ne fait pas appel à ces jeunes. On les rend invisibles à cause des magouilles», témoigne l’universitaire Hassan Habibi. Pour le président de la FMDC, le boycott reste le meilleur moyen de booster de nouveaux talents et de lutter contre les textes creux, le manque de créativité et de professionnalisme. À bon entendeur salut ! 


Réponse du ministre de la Culture

Interpellé par des parlementaires à propos des programmes télévisés au mois du Ramadan, le ministre de la Culture et de la communication, Mohamed Laâraj, a déclaré que la SNRT et 2M font des efforts afin de répondre aux attentes du public marocain. Le ministre a également insisté sur le rôle de la commission de sélection des programmes. Dans ce cadre, Mohamed Laâraj a affirmé que la programmation de la SNRT est à 90% marocaine. «La sélection des programmes se fait en respectant les cahiers des charges qui assurent la diversité et la qualité des émissions diffusées». Selon le ministre, environ 58,3 millions de DH ont été réservés par la SNRT aux productions externes.
S’agissant de 2M, Mohamed Laâraj a souligné que la chaine table sur le produit national qui représente 85% de sa grille. La deuxième chaine a alloué un budget de 45 millions de DH pour financer les productions externes.


Questions à Hassan Habibi spécialiste en journalisme et médias

«La grille de cette année est sans consistance»

Que pensez-vous des programmes de télévision du Ramadan sur les chaines nationales ?
La grille de cette année est sans consistance, avec des comédiens récidivistes vus et revus ! Ces programmes proposent les mêmes visages, attitudes, grimaces et thématiques des années précédentes. On doit toujours rigoler sur le blédard, il n’y a pas d’humour de circonstance. C’est comme si je regardais les programmes de l’année dernière.

Pourquoi à votre avis cette redondance ?
Les émissions télévisées sont des propositions qui passent par des cahiers des charges. Ce sont les mêmes sociétés qui se partagent le gâteau chaque année. À titre d’exemple, cela fait plusieurs années qu’on critique la caméra cachée diffusée sur la deuxième chaine, mais le programme revient quand même. On devrait comparer ce programme avec «The Shock» qui coûte un budget largement inférieur à «Mchiti fiha» et transmet des messages de sensibilisation. Dans la caméra cachée du Maroc, on brûle, on fait exploser des engins pour justifier les dépenses, alors qu’il s’agit d’argent public qui doit être contrôlé.

Que peuvent faire les téléspectateurs face à ce constat ?
Il faut être un collectif pour réagir. Dans d’autres pays, on boycotte la télévision. Il faut savoir que la télévision doit soigner le langage. Son rôle est l’éducation au sens large du terme, notamment pour l’enfant qui est un être très vulnérable. Le téléspectateur doit savoir qu’il y a d’autres moyens de divertissement, comme la lecture.

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