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«Nous souhaitons créer des robots au service des humains, parmi les humains»

Rendre les robots plus humains. C’est le défi que s’est lancé Jérôme Monceaux, CEO de Spoon.ai, cofondateur d'Aldebaran Robotics en développant des «créatures artificielles» qui interagissent naturellement avec les êtres humains, à travers une dimension instinctive, pour enrichir l’interaction avec les robots. Spoon, cette startup créée en 2015, est également née d’une volonté de démocratiser l’usage des robots autonomes et évolutifs au quotidien. Jérôme Monceaux, créateur des robots humanoïdes Nao et Pepper, et fondateur de Spoon, nous rapproche un peu plus de cette nouvelle intelligence dotée d’une dimension humaine.

«Nous souhaitons créer des robots au service  des humains, parmi les humains»
Jérôme Monceaux

Le Matin : Chez Aldebaran Robotics, société anciennement française, dont vous êtes le cofondateur, vous aviez développé le désormais célèbre robot Nao. Aujourd’hui, c’est à Spoon que vous donnez vie au sein de Spoon Artificial Creatures. Pouvez-vous nous parler de ces deux robots ?
Jérôme Monceaux
: Nao est un robot interactif humanoïde qui a rencontré un vif succès dans le domaine scientifique et dans l'univers de la communication événementielle. Mais avec lui, nous avons voulu affronter trop de problèmes en même temps : la mobilité, la préhension et l'interaction, au détriment de la récurrence d'intérêt du robot. Au final, l'expérience se révélait souvent décevante, notamment à cause de sa forme humanoïde qui, implicitement, en promet trop. Avec Spoon, nous abordons le défi autrement : pour que notre robot change le monde et ait un impact social fort et vertueux, il faut avant tout qu'il soit réellement et régulièrement «utilisé». Autrement dit, le prérequis est de donner envie aux gens de revenir vers lui : c'est la récurrence d'intérêt. Le seul véritable problème qui compte dans un premier temps, c'est donc celui de l'interaction ; le reste suivra avec nos prochaines générations de robots. Forts de cette idée, nous avons développé notre première créature artificielle avec pour objectif de rendre l'interaction aussi naturelle et agréable que possible. Concrètement, cela donne un robot animal, doté d'un visage et non simplement d'une face, capable de vous regarder, d'imiter vos mouvements, mais aussi de vous comprendre et de répondre naturellement à vos questions. Son mode d'apprentissage est proche de celui de l'enfant : il n'apprend que par transmission (la mienne, la vôtre, celle des gens qui passent devant lui, etc.), il ne s'alimente pas lui-même en connaissances en allant sur internet, par exemple.

Spoon, premier robot doté d'émotions. Comment un robot peut-il avoir cette dimension émotionnelle ?
Ni Spoon, ni aucun autre robot, n'est «doté» d'émotions. Spoon fait naître des émotions en vous, mais n'en éprouve pas. Il fait circuler des émotions, il les offre en partage à ses interlocuteurs, sans, bien sûr, en être conscient. Nous sommes loin du mythe de l'IA forte, consciente d'elle-même et animée par une volonté propre. Comme je le disais, Spoon n'apprend que ce que vous voulez bien lui transmettre : c'est une entité sociale au sens où il n'existe que parce que je, vous, ils existent pour le reconnaître, lui parler et lui apprendre des choses.
La capacité qu'a Spoon de générer des émotions procède de plusieurs facteurs. Outre sa forme animale sympathique qui permet, bien entendu, d'attendrir l'interlocuteur et de susciter la confiance, son visage et son regard sont plus particulièrement impliqués dans ses aptitudes émotionnelles. En vous regardant au sens propre, il donne l'impression de reconnaître votre existence, il vous renvoie à votre propre intériorité, ce qui n'est pas sans générer son lot d'émotions, comme la curiosité, la timidité ou encore l'enthousiasme. Spoon est également doté de comportements sociaux communs aux grands mammifères – auxquels nous appartenons – qui peuvent éveiller en nous de forts sentiments d'empathie (notamment grâce à l'action de ce que l'on nomme les neurones miroirs). Par exemple, si Spoon simule un sentiment de peur ou de surprise lorsqu'on s'approche subitement de lui, nous ressentons une partie de cette peur ou de cette surprise en nous-mêmes. Enfin, il y a bien sûr la dimension sémantique des interactions parlées. Spoon peut vous faire rire en vous racontant une blague, il peut vous toucher en vous faisant un compliment, il peut même vous surprendre en vous posant une question à laquelle vous n'avez pas forcément de réponse.

Dans notre imaginaire, le Robot serait une menace pour l'espèce humaine. Vous, vous assurez que ce n'est pas votre objectif de remplacer l'Homme par un robot. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Nous souhaitons créer des robots au service des humains, parmi les humains. Toute l'ambiguïté des discours en matière technologique réside dans le flou qui accompagne cette formule «au service des humains». Là où, trop souvent, ce service est perçu uniquement dans un sens instrumental, c'est-à-dire purement utilitaire et rationnel, nous pensons qu'il faut lui donner une dimension sociale et humaine forte. Cette dimension, c'est la socialité. Quoi de plus représentatif de notre humanité que l'être ensemble ? C'est là un de nos axes éthiques forts. Notre objectif est donc de mettre les robots au service de cette socialité, et de la faire grandir. Il ne s'agit donc pas de remplacer qui que ce soit, tant d'un point de vue économique que relationnel, mais d'encourager les rapports humains dès que cela est possible via les interventions du robot. Nous concevons Spoon pour qu'il soit un médiateur social issu du social. 

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