Dimanche, à Bab El Makina, le maître malien de la Kora, Toumani Diabaté, et le groupe espagnol de flamenco-fusion, Ketama, ont fêté leurs retrouvailles après une trentaine d’années de séparation, où chacun a mené sa carrière de son côté. Comme au bon vieux temps, les guitaristes José Miguel et Juan Carmona, accompagnés du contrebassiste Javier Colina et du musicien Toumani Diabaté ont investi la scène et ressuscité leur célèbre projet musical «Songhaï», devant un public enchanté par cet étonnant dialogue instrumental où les rythmes du flamenco espagnol revisité se marient harmonieusement avec la kora africaine. Leur histoire a commencé quand un heureux hasard les a réunis en 1987 à Londres où ils ont été encouragés à travailler ensemble par l’ethnomusicologue et producteur Lucy Duran. Et comme le hasard fait bien les choses, leur collaboration fut fructueuse qui s’est traduite en 1988 par un premier album intitulé «Songhaï», suivi d’un deuxième du même nom en 1994. C’est alors que naquît une splendide fusion entre la musique mandingue et gitane qui a rencontré un vif succès au niveau mondial.
Questions à Toumani Diabaté, musicien malien
«Nous sommes les pionniers de la World Music»
Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec le groupe espagnol Ketama
C’est en 1987 que j’ai rencontré Ketama, lors d’une fête à Londres à laquelle je n’étais même pas invité. J’accompagnais une amie à cette fête et le groupe espagnol y était aussi. Je jouais avec Ali Farka Touré quand ils se sont joints à nous. Et là, nous avons tout de suite commencé à jouer ensemble. Quelques jours plus tard, nous nous sommes de nouveau rencontrés quand mon amie les a invités à manger chez elle la paella africaine, un plat d’origine sénégalaise. Ce soir-là, c’était un samedi, nous avions chacun de son côté un concert. J’ai fait le mien avant d’aller les rejoindre. Ils m’ont présenté et nous avons joué un titre ensemble. Nos deux producteurs à l’époque, qui se trouvaient dans la salle, ont décidé de faire un album avec nous. Ils étaient amis : ma maison de disques vendait les albums de Ketama en Angleterre et leur maison de disques vendait les miens en Espagne.
Depuis ce temps-là, la communication entre nous s’est faite à travers la musique. C’est la musique qui a toujours parlé. Les membres du groupe Ketama ne parlent pas français et moi je ne parle pas espagnol, et ce problème persiste à ce jour. Mais, Dieu merci, nous avons quand même réussi à faire deux albums ensemble sans communiquer. La musique n’a pas de frontières. Le choix du titre, «Songhaï», a été fait par le producteur qui voulait exprimer cette idée de métissage culturel, comme à l’époque où les Almoravides de l’Andalousie ont conquis le nord du Mali.
Qu’est-ce qui vous a donc séparé et qu’est-ce qui vous a de nouveau réuni ?
Après avoir enregistré les deux albums, chacun est parti de son côté. Ketama est devenu une célébrité en Espagne parce que c’était le premier groupe de jeunes Espagnols qui a revisité la musique flamenco. C’était une véritable révolution musicale en Espagne et ils en sont devenus très populaires. De mon côté, j’ai poursuivi mon chemin à travers le monde et j’ai continué à faire des albums, mais aussi des rencontres avec de grandes stars de la musique mondiale. Il y a un peu plus d’un an, nous nous sommes rencontrés à Madrid et nous avons décidé de nous réunir de nouveau. Plusieurs groupes l’ont fait, pourquoi pas nous. Aujourd’hui, on parle certes un peu moins de la World Music, mais celle-ci a été créée dans les années 1980 et nous en sommes des pionniers. À l’époque, «Songhaï» faisait partie des tout premiers albums de la musique du monde. Puis les Gipsy Kings sont apparus et ce fut le départ d’un brassage de différents styles dans le monde qu’on a appelé la World Music.
Et si vous nous parliez de votre instrument, la kora ?
La kora est une harpe-luth mandingue. Elle est fabriquée à partir d’une demi-calebasse qu’on recouvre d’une peau de vache. Elle a 21 cordes fabriquées de fils de pêche et se joue à quatre doigts. C’est un instrument qui appartient spécifiquement au peuple mandingue. On la retrouve principalement dans les États de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons plusieurs instruments traditionnels à cordes, dont on peut retrouver certains dans d’autres régions, comme le n’goni qu’on trouve ici au Maroc chez les gnaouas. Mais la kora reste le seul instrument mandingue qu’on ne peut retrouver nulle part ailleurs.
