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Une adéquation... encore imparfaite

La problématique de la déconnexion entre le monde de la formation et celui du travail est toujours loin d'être résolue. En témoigne la dernière étude du Haut Commissariat au Plan (HCP) consacrée à «L’adéquation entre formation et emploi au Maroc» qui révèle des chiffres alarmants nécessitant des mesures d'urgence.

Une adéquation... encore  imparfaite

Répondre systématiquement aux besoins du marché du travail en termes de compétences et de profils qualifiés et atteindre une réduction substantielle du chômage. L’idée semble séduisante, mais c'est moins simple en pratique. Le constat n’est pas nouveau, mais se confirme avec les récents chiffres dégagés du rapport du HCP sur «L’adéquation entre formation et emploi au Maroc» rendus publics mardi dernier. Malgré les efforts consentis et les actions publiques entreprises à l’image des programmes «Idmaj», «Taehil» et la nouvelle Stratégie de l’emploi (SNE) visant la création d’emplois suffisants en nombre et satisfaisants en qualité, les difficultés de l’emploi persistent et connaissent des proportions inquiétantes.

Ces chiffres du HCP qui alertent
Commençant par le taux d’activité, il est à noter qu'il «ne dépasse guère, en 2017, quelque 46%, s’inscrivant dans une baisse continue depuis les années 2000 où il était de 54%». Le constat est le même si l'on s'intéresse au taux d’emploi qui cumule une faiblesse de niveau et la même tendance à la baisse, passant de 46 à 42%.
Des indicateurs qui, selon le HCP, véhiculent des messages clairs et importants dans un contexte économique marqué par une double contrainte : «une croissance en ralentissement, passant en moyenne annuelle de 5% entre 2000 et 2008 à 3,7% en 2009-2017 et une baisse de son contenu en emplois de 30.000 postes en moyenne par unité de croissance à 10.500 entre les deux périodes, portant les taux de chômage et de sous-emploi à des niveaux chroniquement élevés». 
Dans le détail, l’étude relève que notre population en emploi compte plus de diplômés que notre population active, avec respectivement près de 48 et 51%. Les diplômés de l’enseignement général aussi bien que ceux de la formation professionnelle en constituent un pourcentage plus faible, avec respectivement 38% au lieu de 40% et près de 10% au lieu de 11%. Autre indicateur qui retient beaucoup d’attention : «C’est au niveau de la population en chômage que se retrouvent les taux de diplômés d’enseignement général et de formation professionnelle les plus élevés, avec respectivement près de 48 et 17%».
Sans surprise également, le taux de chômage des diplômés de l’enseignement général est en moyenne annuelle de près de 20 et avoisine 26% dans la catégorie des diplômés de la formation professionnelle et près de 11,2% dans celle des actifs occupés sans diplôme.

Par ailleurs, ajoute l’étude, les taux de chômage baissent avec les diplômes de l’enseignement général, du niveau secondaire, collégial jusqu’au niveau du DEUG, passant de 22% environ à 15% respectivement et vont au-delà de la licence à près de 19% parmi les licenciés, à 16% parmi les DEA/DES/Master, pour baisser à 7,7% parmi les ingénieurs et cadres supérieurs et à 4% parmi les docteurs.
En outre, le taux important de déclassement des diplômés de la formation professionnelle est également pointé du doigt. En effet, les stagiaires diplômés de la formation professionnelle enregistrent un taux global de déclassement trois fois supérieur à celui qui affecte les diplômés de l’enseignement général, affichant respectivement 33,6 et 11,6%. Le HCP souligne à ce sujet que «cette disparité entre les taux de déclassement des diplômés des deux types d’enseignement se retrouve aussi bien au niveau des professions exercées par leurs détenteurs que dans les métiers que ces derniers exercent et les secteurs d’activité qui les emploient». Parmi les secteurs les plus touchés, on cite «l’agriculture, sylviculture et pêche», «l’industrie extractive et manufacturière», ou encore le BTP où l’offre d’emplois est élevée et peu qualifiée, alors que la tendance est à la baisse dans l’administration publique, l’enseignement et la santé, dont les emplois exigent plus de qualification.
Devant l’ampleur des situations d’inadéquation, il devient urgent de s’intéresser davantage à cette question et redoubler d’efforts pour en limiter les conséquences. L'investissement dans les qualifications et la compétence n'est plus un choix, mais une priorité impliquant un engagement effectif de toutes les parties prenantes. L’idée est de satisfaire à la fois la demande et l'offre d'emploi. Comment ? 

Des pistes à envisager
«Le Matin-Emploi» a contacté des experts en formation et emploi pour répondre à cette question.
Abdellatif Komat, doyen FSJES – Université Hassan II Casablanca, souligne que les «établissements d’enseignement supérieur, notamment les facultés de droit, des lettres et des sciences ont besoin d’être accompagnés autrement aussi bien au niveau de l’accès et de l’orientation, qu’au niveau du développement de formations répondant aux besoins du marché en contenu et en profils». Le doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Université Hassan II Casablanca a insisté sur la nécessité de développer une communication efficace entre le monde professionnel et le monde académique pour identifier clairement les besoins des organisations en compétences, d'une part, et permettre aux demandeurs d’emploi de mieux se situer sur le marché en cohérence avec leur profil, d'autre part. Une action qui permettra certainement, d’après M. Komat, de réduire les phénomènes de surclassement et de déclassement relevés par l’étude.
Même son de cloche chez Afafe El Amrani El Hassani, docteure en sciences et techniques de gestion, conseillère en emploi : «L’enseignement public doit entamer une profonde réflexion sur les outputs qu’il met à la disposition des entreprises marocaines et comprendre que le décalage existant ne fait qu’ancrer la précarité de l’emploi et aggraver la situation de chômage au Maroc». Selon elle, «la solution devrait être issue des efforts conjugués des trois acteurs clés dans le processus de recrutement, à savoir les établissements de formation, les entreprises et les chercheurs d’emploi. 

La conseillère en emploi rappelle «l’existence de sites gratuits de formation en ligne devenus de plus en plus répandus et l’accès à la formation et l’information de plus en plus démocratisé.» L’autoformation signifie également de sortir à la rencontre des professionnels et de l’entreprise et de chercher des stages et les occasions de rencontre avec les spécialistes de leur domaine lors des séminaires, caravanes et forums d’emploi. Pour ainsi dire, «le chercheur d’emploi doit comprendre que, finalement, ça lui incombe de faire un travail sur soi et d’investir du temps et de l’effort s’il veut augmenter ses chances d’insertion et éviter d’être un chiffre de plus dans la déplorable liste de la population active touchée par le fléau du chômage !», précise-t-elle. Abondant dans le même sens, Youssef Elhammal, directeur fondateur de Stagiaires.ma, souligne qu'«Il suffit de comparer le taux d’employabilité par secteur pour se rendre compte qu’il s’agit plus d’une problématique conjoncturelle et que l’adéquation de la formation, même en étant aussi importante, peut être contournée grâce à une meilleure implication des recruteurs».
Dr Yasmine Benamour, administratrice directrice générale du Groupe HEM, a quant à elle ajouté un autre facteur et pas des moindres : le développement personnel des étudiants. «Ceux-ci doivent être dotés de capacités d’adaptation et de communication suffisantes (maîtrise des langues, aisance de communication, esprit méthodologique…)».

Plan d'action pluriannuel (2017-2021)
Rappelons à ce sujet qu’en mars dernier le ministre de l'Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Saïd Amzazi, a présidé une rencontre internationale organisée par l'Université Mohammed V de Rabat sur «L'université et l'employabilité». L’occasion d’affirmer que l’université marocaine est appelée à se mettre au diapason des besoins du marché de l’emploi et à garantir la qualité des formations dispensées.
Conscient de de la complexité et de l'ampleur de la problématique, M. Amzazi a mis en avant les grandes lignes du Plan d'action pluriannuel (2017-2021) dont le second axe a été consacré à l'amélioration de l'employabilité des lauréats et à l'adéquation de l'offre de formation aux besoins de développement et du marché de l'emploi à travers la mise en place d’une panoplie de mesures. «Des actions qui supposent, selon le responsable, des partenariats avec les acteurs économiques et les organisations concernées, outre le renforcement de la dimension professionnalisante de l'université à travers des formations continues dans les établissements d'enseignement supérieur et l’augmentation du nombre des étudiants bénéficiaires pour atteindre 10% à l’horizon 2020», explique-t-il. Il ressort de cette rencontre la nécessité de créer «de nouvelles filières de formation et la généralisation des centres de développement de carrières dans toutes les universités afin de garantir un accompagnement des projets personnels et professionnels portés par les étudiants, ainsi que le développement des compétences transversales et de modules destinés à renforcer ces compétences».

Force est de conclure qu’un Programme d'appui à l'adéquation formation-emploi a été initié entre le Maroc et plusieurs bailleurs de fonds internationaux, dont la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale et l'Agence française de développement. Objectif : Soutenir les réformes des système éducatif et de formation professionnelle marocains, en vue d'optimiser l'employabilité des jeunes et l’adéquation des offres de formation avec le marché de l’emploi. Dans ce cadre, la BAD avait en juillet 2013 accordé 116 millions d’euros pour financer la première phase du programme qui devait directement bénéficier à 880.000 élèves de l’enseignement secondaire qualifiant, 510.000 étudiants, 370.000 stagiaires des filières de formation professionnelle, 30.000 chômeurs sans qualification, ainsi qu’aux entreprises des branches professionnelles ciblées. 


Ils ont déclaré...

Abdellatif Komat, doyen FSJES – Université Hassan II Casablanca

«Certes, la question d’inadéquation formation-emploi est une réalité qui caractérise notre marché du travail notamment sur les créneaux de l’enseignement général. Il s’agit cependant d’une donne qu’il faudrait nuancer :
• D’une part, du fait que les chiffres annoncés portent sur les différents pans de L’E.G, sachant que contrairement à ce qui est véhiculé, l’étude a démontré que le niveau d’insertion professionnelle croît avec celui de la formation.
• D’autre part, ce phénomène porte essentiellement sur certains cerneaux couverts par ce qu’on qualifie "d’accès ouvert" (facultés de droit, des lettres et des sciences). En effet, ces établissements ont besoin d’être accompagnés autrement aussi bien au niveau de l’accès et de l’orientation, qu’au niveau du développement de formations répondant aux besoins du marché en contenus et en profils.
C’est également un phénomène qu’il faudrait expliquer en insistant sur certains facteurs amplificateurs notamment une quasi-absence de communication et de concertation entre le monde professionnel et celui académique. Résultat : une partie des programmes de formation assurés ne produit pas forcement les compétences dont a besoin le marché de l’emploi. À cela s’ajoute la question de l’insuffisante régulation du marché du travail par une intermédiation professionnelle et efficace en mesure d’identifier clairement les besoins des organisations en compétences, d'une part, et de permettre aux demandeurs d’emploi de mieux se situer sur le marché en cohérence avec leur profil, d’autre part. L’action sur cette dimension permettra certainement de réduire les phénomènes de surclassement et de déclassement relevés par l’étude». 

Youssef El Hammal, directeur fondateur de Stagiaires.ma

 «Tout d’abord, je souhaiterais rappeler que la formation professionnelle au Maroc n’est pas exclusivement assurée par l’OFPPT. Il existe plusieurs autres intervenants dans le secteur et qui dépendent du ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle. Il serait donc intéressant d’analyser les résultats de l’enquête du HCP par organisme de formation. Ensuite, les résultats de la dernière enquête du HCP ne me choquent pas. La formation professionnelle est venue répondre à un besoin en termes de main-d’œuvre qualifiée et formée grâce à des programmes courts (12 à 24 mois) avec une participation de l’employeur dans l’élaboration des plans de formations. L’employeur a été donc demandeur et s’impliquait dans l’intégration des jeunes au marché de l’emploi. Aujourd’hui, nous parlons d’un taux de croissance annuelle moyen de 3 à 4% du PIB. Les secteurs historiquement impliqués dans la formation et l’intégration de ces jeunes ne sont plus en mesure d’absorber toute cette main-d’œuvre formée. Aussi, dans la dernière enquête du HCP, il suffit de comparer le taux d’employabilité par secteur pour se rendre compte qu’il s’agit plus d’une problématique conjoncturelle et que l’adéquation de la formation, même en étant aussi importante, peut être contournée grâce à une meilleure implication des recruteurs. Enfin, la dernière enquête du HCP vient confirmer les résultats de notre Baromètre des stages (dans son volet employabilité). À formation égale, un étudiant lauréat d’une école privée a plus de chances de trouver un emploi, car il est mieux accompagné par son école lorsqu'il s'agit de développement de “soft skills” nécessaires à son employabilité».

Dr Yasmine Benamour, administratrice-directrice générale du Groupe HEM

«On ne peut qu’être attristé par un tel constat, particulièrement celui relatif au taux de chômage afférant aux lauréats de l’enseignement général. D’une façon générale, l’employabilité dépend essentiellement de 3 facteurs : un premier facteur lié à l’adéquation de la filière d’enseignement aux besoins du marché de l’emploi. En d’autres termes, la filière est-elle en elle-même porteuse ? Est-elle une filière d’avenir ? A-t-elle suffisamment de débouchés ?
Un second facteur lié au développement des compétences techniques des étudiants. Ces derniers ont ainsi besoin d’équilibre entre connaissances théoriques et connaissances pratiques, par le biais d’études de cas, de stages en entreprises, de projets-terrain, etc. Et enfin, un troisième facteur ayant trait au développement personnel des étudiants. Ceux-ci doivent être dotés de capacités d’adaptation et de communication suffisantes (maîtrise des langues, aisance de communication, esprit méthodologique…). Ce sont essentiellement ces 3 volets majeurs qu’il faudrait faire évoluer en priorité.»

Afafe El Amrani El Hassani, conseillère en emploi

«De nouveaux métiers ont émergé alors que d’autres se trouvent dépassés et obsolètes, mais, aujourd’hui, il semblerait que les établissements de formation générale et celle professionnelle ne soient pas en mesure d’actualiser les formations existantes pour les adapter aux besoins du marché de l’emploi ni même de fournir des profils capables de satisfaire ces nouveaux besoins. En tant que conseillère en emploi, la solution devrait être issue des efforts conjugués des trois acteurs clés. Pour les établissements de formation, il serait bien faire la distinction entre ceux à vocation professionnelle, donc orientés marché d’emploi, et ceux de l’enseignement général qui sont plus adéquats pour produire de jeunes chercheurs que de futurs professionnels. Pour les premiers, et même si nous saluons l’initiative des formations par alternance, il serait judicieux de revoir les cartes de formation qu’ils proposent en enrichissant les formations proposées par d’autres plus en phase avec les exigences du marché de l’emploi. Pour les établissements de l’enseignement général ou transversal, il serait honnête de reconnaitre les efforts fournis par le lancement de licences et masters professionnels qui essaient de rapprocher les lauréats du marché de l’emploi. Mais, il n’en reste pas moins que les moyens mobilisés et la nature des modules enseignés font que les lauréats se retrouvent moins armés et plus fragiles face à un marché d’emploi. Pour les employeurs, nous tenons à leur rappeler d’être conscients du rôle majeur qu’ils jouent en tant que managers et acteurs sociaux, dans la formation et la préparation de nos jeunes à la vie active». 

Nabil Fandi, directeur associé Cap Coaching

«Je pense qu'aujourd'hui, plus que jamais, l'école et l'entreprise doivent clairement converger leurs vocations. Les chiffres de la dernière enquête du HCP montrent clairement l'écart qui existe entre la formation et l'offre d'emploi au Maroc. À mon humble avis, l'école doit arrêter de courir derrière les attentes des entreprises, en créant chaque année de nouvelles filières. Ces dernières se retrouvent d'ailleurs vite “périmées” quelque temps avoir avoir été mises en place. Il est ainsi plus logique et aussi plus raisonnable pour l'enseignement de se limiter à un nombre précis de grands référentiels et d'assurer à tous les étudiants la formation théorique et technologique préalable à l'acquisition d'un métier. Pour sa part, l'entreprise devra prendre le relai par la suite et aura ainsi cette responsabilité de compléter la formation initiale, de base, par une vraie spécialisation professionnelle ajustée aux réalités du marché».

 

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