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«Aux yeux de certains États, le Pacte est un prélude à la reconnaissance du “droit humain à la migration”»

Pour Younous Arbaoui, chercheur en droit d’asile et migration à l’Université libre d’Amsterdam, le pacte mondial sur les migrations est sans nul doute un événement planétaire important. Car c’est la première fois que les États des Nations unies vont signer un accord global couvrant de nombreuses dimensions de cette question. Pour ce qui est des pays réfractaires, il considère que leurs craintes sont injustifiées. Explications.

«Aux yeux de certains États, le Pacte est un prélude  à la reconnaissance du “droit humain à la migration”»
Younous Arbaoui.

Le Matin : À quelques jours du sommet de Marrakech, plusieurs pays décident de ne pas signer le Pacte mondial sur les migrations, comment expliquez-vous cela ?
Younous Arbaoui
: Différents États se sont retirés du Pacte mondial pour la migration. La principale raison est liée à la crainte que les avocats puissent dire que quelqu'un a droit à un permis de séjour sur la base du Pacte, alors que sans celui-ci, ce ne serait pas le cas. Un certain nombre de ces pays est gouverné par des partis populistes de droite qui mènent des politiques contre les migrants. Le Pacte est vu par ces États comme autorisant les gens à penser qu’ils ont le droit de pouvoir entrer sur leurs territoires sans conditions. Cela va à l’encontre des politiques qu’ils veulent mettre en place et qui visent à restreindre le nombre de migrants présents sur leurs territoires.

Vous ne trouvez pas que ce sont des craintes plutôt «justifiées» ?
En effet, le Pacte est aussi vu par ces États comme une déclaration qui ouvre largement les frontières. Ils craignent que la ligne de démarcation entre migration légale et illégale disparaisse et que davantage de migrants arrivent en Europe. Ces États oublient que beaucoup de mouvements migratoires ont eu et ont toujours lieu dans les pays du Sud, car les migrants ne peuvent plus atteindre l'Europe facilement, à cause du contrôle des frontières. Par conséquent, ils sont souvent amenés à rester dans les pays de transit voisins ou bien à rentrer chez eux. Aux yeux de ces États, le Pacte est un prélude à la reconnaissance du «droit humain à la migration» et un «permis» aux migrants pour entrer dans ces pays. Certains de ces États sont membres de l'Union européenne (UE) et souhaitent se débarrasser des quotas de réfugiés obligatoires au sein de l'UE. Ils voient donc le Pacte comme allant à l’encontre de ce souhait. En plus de craindre l’arrivée massive de migrants, ces pays considèrent également cet accord comme une violation de la souveraineté nationale. Ils pensent qu’ils ne peuvent plus être souverains, même si le Pacte lui-même indique clairement que l’accord n’est pas contraignant et que la souveraineté des États est respectée par le Pacte.
D’autres pays, comme les Pays-Bas, qui ne semblent pas vouloir se retirer du Pacte, ont la même crainte. C’est pourquoi ils examinent si le caractère non contraignant du Pacte peut être redit avec autant de mots sur une feuille de papier supplémentaire au pacte. Ce qui serait de nature à dissiper la crainte de voir des avocats invoquer le Pacte pour demander le droit à un permis de séjour.

Comme la plupart des pays ont déjà ratifié un ensemble de pactes et conventions internationaux affirmant les mêmes principes inclus dans le Pacte, pourquoi alors ce Pacte pose-t-il problème ?
Le Pacte est effectivement non contraignant. Mais n’oublions pas que c’est la première fois que les États des Nations unies vont signer un accord global couvrant de nombreuses dimensions de la question migratoire. Le Pacte introduit différentes avancées en termes de droits de migrants qui invitent les États à améliorer leurs politiques migratoires. Même s’il n’est pas contraignant, il ne faut pas oublier qu’un nouveau pacte qui prescrit le respect des droits fondamentaux aura un effet positif sur les migrants, surtout si les avocats, les institutions de monitoring et les juristes arrivent à «l’utiliser» stratégiquement dans leur plaidoyer. Il s’agit d’un document qui est dans l’ensemble positif et va dans le sens de la protection des droits des migrants. Cependant, le texte abrite quelques éléments qui peuvent aller à l’encontre d’une protection effective.

Qu'est-ce que vous pouvez mettre en avant en termes d’avancées ?
Il y a différents objectifs du Pacte qui constituent des avancées. Le Pacte met l’accent sur l’engagement des États à respecter les droits fondamentaux des migrants à chaque étape migratoire et quel que soit le statut de la personne en question. Selon l’objectif 3, ce respect se traduit dans les pays d’origine à travers l’information. L’objectif 8 mentionne le respect durant le voyage migratoire qui est souvent dangereux dans les pays de transit, en particulier via des opérations de sauvetage et l’identification des migrants qui meurent au cours du parcours migratoire. L’objectif 12 recommande des procédures migratoires d’accueil respectant les droits humains, et enfin l’objectif 21 met l’accent sur le respect du migrant durant les opérations de retour.

Sinon, y a-t-il des points négatifs dans ce Pacte ?
Il y a certains éléments du Pacte qui méritent l'attention, mais ici je donne un seul exemple concernant l'approche du Pacte en général. Je trouve que c’est regrettable que le texte n’adopte pas le langage de non-criminalisation de l’immigration irrégulière. Il importe de rappeler que franchir les frontières sans autorisation ne doit pas être vu comme un acte criminel. Heureusement, le Pacte souligne que les droits fondamentaux doivent être respectés quel que soit le statut de la personne migrante en question et au cours de toutes les étapes du parcours migratoire.

Croyez-vous que le fait que beaucoup de pays refusent de signer ce pacte pourrait vider le document de son sens ?
Il est très regrettable que certains États se retirent du Pacte, mais cela ne veut pas dire que le Pacte n’aura plus de sens. En tout cas, il sera applicable dans tous les autres pays (plus de 185) qui vont le signer. De plus, au sein des pays qui se retirent, le Pacte peut être une source d’inspiration pour les avocats défendant les droits de migrants devant les tribunaux. Les juges progressistes existent, même dans ces pays, et donc il reste toujours possible qu’un juge interprète la loi nationale en s’inspirant du Pacte. Les pays qui se retirent peuvent tout de même être concernés par ce Pacte. Par ailleurs, dans le contexte européen, il est question d’harmoniser la position des membres de l’UE. Il ne peut pas y avoir un juge soumis au Pacte dans un pays, et pas dans l'autre. 

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