Les échanges internationaux sont un moyen efficace permettant à un pays qui produit plus qu’il ne consomme de booster sa croissance en réalisant un prélèvement sur le revenu d’un autre pays qui consomme plus qu’il ne produit. Les accords de libre-échange (ALE) sont l’instrument privilégié de cette ponction. Sans préparation suffisante de l’économie nationale et sans méthodologie ferme dans la conduite des négociations, ils peuvent ruiner une économie, là où ils sont censés l’aider à se développer. C’est tout sauf un exercice de style !
Un bilan catastrophique
Le Maroc a signé des accords de libre-échange avec des pays représentant plus de 60% du PIB mondial, soit un marché potentiel de plus de 2 milliards de consommateurs. Mais que faisons-nous de ces accords censés donner une grande bouffée d’oxygène à notre économie en mal de création d’emplois et donc de richesses ? Pas grand-chose, finalement. La signature de ces conventions ne s’est pas traduite par un bond dans nos échanges extérieurs. Notre croissance continue d’être alimentée par la demande interne. La plupart de ces accords sont déficitaires et ils ont détruit le peu d’industries que nous avons mis plusieurs décennies à développer, tout en ouvrant les vannes de la consommation. Pis encore, les termes de l’échange (rapport, pour un produit donné, entre l'indice du prix des exportations et celui des importations), au lieu de s’améliorer à mesure que nous ouvrons notre économie aux échanges internationaux, ont eu tendance à se dégrader. Ce fut également le cas des autres indicateurs de mesure de notre performance à l’international, tels que le solde de la balance commerciale (exportations – importations), le taux de couverture (exportations/importations) ou encore notre part de marché dans le commerce international. En cause, les facteurs classiques inhérents à notre économie, tels que la faiblesse de la base productive, faisant que nous n’avons pas beaucoup de produits à exporter aux pays avec lesquels nous avons des ALE, contre de grands besoins d’importations résultant de cette ouverture. Il en a résulté une ponction importante sur notre revenu national qui va financer la croissance des économies de ces pays. Mais les raisons profondes de cette contreperformance sont d’abord d’ordre méthodologique.Dans les bagages de l’État
La plupart des ALE, pour ne pas dire tous, ont été à l’initiative de l’État, souvent pour des considérations géopolitiques (Zone de libre-échange arabe, accords avec les États-Unis, etc.). Le secteur privé a été certes associé, mais en phase de négociations dans le cadre de groupes de travail. Il n’en a presque jamais été l’initiateur. C’est ce qui explique, en grande partie, leur échec à produire l’effet escompté en termes de croissance et de création de richesses pour notre pays. La logique économique normale n’a pas été respectée et nous sommes en train de le payer au prix élevé. En effet, c’est le secteur privé qui doit être à l’initiative de ces accords une fois que ses échanges avec un pays ou une zone économique atteignent un niveau rendant nécessaire pour son économie l’accès facilité aux marchés ou aux ressources en matières premières de ce pays ou de cette zone. En commerce international, l’État doit être un accompagnateur et rarement l’initiateur d’affaires profitant ou pénalisant, in fine, ses entreprises privées. La motivation des ALE doit être purement économique (ouverture de marchés et/ou accès aux matières), même si les instruments sont géopolitiques (création et défense de zones d’influence) et parfois militaires (forces armées pour défendre les intérêts économiques du pays). La conclusion de tels ALE doit s’appuyer sur une analyse approfondie de nos échanges extérieurs avec le pays ou la zone ciblée, de la complémentarité de notre structure productive avec la sienne, de leurs besoins en produits nationaux, de nos écarts de compétitivité par secteur et des branches insuffisamment mûres à exclure de ces conventions. C’est sur la base d’un pareil mémorandum préparé par le secteur privé, que la diplomatie économique doit se mobiliser pour conclure des ALE qui protègent au mieux notre économie nationale. Nous sommes malheureusement loin de cette rationalité dans la conduite de notre ouverture.La charrue avant les chevaux
L’État peut, dans certaines situations bien précises et surtout exceptionnelles, initier des ALE pour des considérations purement géopolitiques d’alliances ou de défense de souveraineté. Mais dans ce cas, le processus doit être de la même rigueur et suivre les mêmes étapes d’analyses et de fermeté dans les négociations, que si c’est le secteur privé qui est à la manœuvre. En effet, en matière de doctrine à l’international, seuls les intérêts économiques doivent dicter la conduite de nos affaires. Quand la motivation de notre démarche sur un dossier en particulier n’est pas d’ordre économique ; l’économie doit devenir une contrainte forte dans les négociations. Les concessions sur l’accès à notre marché ou à nos ressources naturelles doivent se faire au compte-gouttes et contrepartie de concessions plus importantes ou du moins du même ordre. Rien ne contraint un pays à l’ouverture. S’il le fait, c’est qu’il pense, sur la base de données objectives, que c’est dans l’intérêt de son économie et de ses citoyens. Pour réussir cette ouverture, il faut que le processus soit rigoureux et rythmé, et surtout, que son tissu économique y soit préparé. Car quand on met la calèche des ALE devant les chevaux que sont les entreprises, au lieu d’avancer, tout le monde s’arrête !