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La communication interne, une fonction à visage humain

La communication interne est une fonction à part entière dont la portée n’est pas toujours estimée à sa juste valeur. Elle n’est pas laissée pour compte, mais ne figure pas non plus dans le top priorités des dirigeants d’entreprises qui considèrent souvent la cible interne comme foncièrement acquise. Une erreur de jugement dont l’entreprise peut bien se passer dans un contexte où l'enjeu de la performance est devenu vital et où cette même performance est tributaire de l’engagement et de la mobilisation des collaborateurs, notamment à l'ère de la transformation digitale.

La communication interne,  une fonction à visage humain

Cohésion d'équipe, adhésion à l'entreprise, engagement, performance… sont autant de leviers de productivité auxquels l’entreprise accorde une attention particulière, car il y va de sa pérennité. Si le management réfléchit soigneusement sur les moyens à mettre en place dans ce sens, il oublie souvent d’y compter la communication interne. Pourtant, celle-ci a déjà pu faire ses preuves quand il s’agit d’asseoir les bases d’une confiance mutuelle, de renforcer l'esprit d'équipe et la cohésion sociale, de développer l’esprit d’appartenance à l’entreprise et de favoriser la performance des équipes.
Si, de manière générale, la communication permet de créer des interactions et des liens au sein d'un groupe, la communication interne offre au collaborateur la possibilité d'améliorer sa connaissance de l'organisation, de sa stratégie et de son fonctionnement. 
«Des équipes bien informées des enjeux et des projets stratégiques de l’organisation, qui connaissent bien leurs collègues, qui comprennent le sens de leur travail, la culture et les valeurs de l’organisation, seront plus performantes et épanouies», explique «à Eco-Emploi» Ali Alaoui Mdaghri, directeur général de l’agence Eos Borealis et président de l’Association marocaine de la communication interne (Macom’In). Ce groupement de professionnels de la «com interne» s’est d’ailleurs mis aux avant-postes pour plaider la cause de cette fonction souvent reléguée au second plan. Interpelé sur le peu d’intérêt accordé à la profession au sein de nos entreprises, le chef des communicants internes marocains a préféré pointer la moitié pleine du verre : «Aujourd’hui, et de plus en plus, la communication interne passe de parent pauvre à pièce maîtresse de la communication des entreprises».

Doucement, mais sûrement ?
Une enquête menée en 2016 par l’Association, en partenariat avec le cabinet français Inergie, avait démontré qu’il y a encore du travail à mener pour que la fonction puisse acquérir ses lettres de noblesse. En effet, seuls 27% des entreprises sondées ont une fonction dédiée exclusivement à la communication interne. Dans 55% des cas, la fonction est mixte : interne et externe. Mais il y a quand même un point positif, la fonction dispose de moyens et de ressources humaines spécifiquement dédiés dans la moitié des organisations interrogées : une équipe de trois personnes et un budget spécifique à la communication interne. 
L’autre constat à relever est que la fonction se concentre plus sur les besoins fondamentaux d’information et peu sur la dimension managériale et sociale. Ainsi, les professionnels communiquent surtout sur des sujets ayant trait aux activités de l’entreprise tels que les projets internes (16%), les objectifs et stratégie de l’entreprise (15%) ainsi que ses produits et services (15%).
Malheureusement, beaucoup moins d’intérêt est accordé aux sujets en relation avec les collaborateurs (12%) ou avec la politique RH (9%). Pourtant, si la communication interne sert à informer les collaborateurs de la vie de l’organisation, elle ne peut être à sens unique, c’est-à-dire de l’entreprise vers les employés. Les collaborateurs doivent avoir à leur tour l’opportunité de partager avec le management. Dans ce sens, la communication interne doit leur permettre de disposer «d’un espace d’expression qui valorise leurs réalisations, tout en créant du lien social entre eux et vis-à-vis de l’entreprise», comme le souligne Ali Alaoui Mdaghri. 
La dimension humaine de la communication interne la destine à relever des prérogatives de la direction des ressources humaines, sauf qu’elle est plus souvent rattachée à la direction générale (46% contre 27%, selon l’enquête). Mais bien qu’elle revienne assez souvent dans les débats, la question ne pose pas réellement problème pour les professionnels. Que la fonction relève de la DRH ou de la DG, l’essentiel c’est qu’elle trouve une place au sein de l’entreprise. Par contre, la question de la formation, elle, donne matière à réflexion, sachant qu’il n’existe pas de filières dédiées exclusivement à ce métier. «Les formations académiques en communication interne sont soit en ressources humaines soit en communication (externe/interne). Il s’agit souvent de quelques modules ou cours assez marginaux dans les deux cas. Difficile donc de trouver des profils experts avec un parcours exclusivement orienté communication interne», nous apprend Ali Alaoui Mdaghri. 

La question de la digitalisation est aussi à prendre en considération puisque, comme toutes les autres fonctions, la communication interne est également impactée par les changements qu’elle apporte dans son sillage. «Il est clair que la place du digital grandit et qu’une organisation qui négocie bien l’appropriation des nouveaux outils suscitera mieux l’intérêt des collaborateurs et bénéficiera de toute la richesse des possibilités qu’ils offrent», note le président de Macom’In. Pour bien mener la transformation digitale de l’entreprise dont le succès est tributaire de l’implication des collaborateurs, l’expert recommande «d’inclure la communication interne en amont et de l’associer au processus de transformation, en lui assignant comme rôle de communiquer sur les enjeux, les bénéfices et opportunités, les difficultés à surmonter, les personnes clés, les nouveaux outils et services à disposition des collaborateurs». 


Les 6 clés de succès

• Une stratégie de communication interne et des plans d’action réalistes.
• Le soutien plein et entier des dirigeants de l’organisation.
• De l’écoute et une parole donnée aux femmes et aux hommes qui font 
l’organisation.
• Un rythme régulier et des canaux de communication ouverts.
• Des évaluations régulières de leurs outils et contenus de communication en vue de les améliorer constamment. 
• Une communication interne réussie est à visage humain.


Entretien avec Ali Alaoui Mdaghri, directeur général de l’agence Eos Borealis et président de l’Association marocaine de la communication interne

«La communication interne peut contribuer à faire de la transformation digitale une réussite rapide et totale auprès des collaborateurs» ​

Éco-Emploi : Plusieurs communicants pointent du doigt le manque d’intérêt que la direction de l’entreprise manifeste vis-à-vis de la communication interne. Est-ce un fait avéré ?
Ali Alaoui Mdaghri
: Il est vrai que pendant longtemps la communication destinée aux collaborateurs n’a pas été une priorité pour les dirigeants d’entreprises. La raison est simple : dans le meilleur des cas, on considère la cible interne un peu comme une cible «acquise» et donc on considère que la communication interne n’est pas nécessaire. Dans le pire, la culture du silence et la rétention d’information sont malheureusement parfois des moyens de mieux contrôler les esprits et les comportements. Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, de plus en plus la communication interne passe de parent pauvre à pièce maîtresse de la communication des entreprises. Les collaborateurs eux-mêmes sont devenus plus exigeants quant au niveau d’information qui leur permet de mieux comprendre le contexte dans lequel ils évoluent et leur rôle et contribution au sein du «collectif». Et les entreprises sont de plus en plus convaincues que des collaborateurs bien informés et à qui on donne du sens à leur action sont plus engagés et plus performants.

Dans quelle mesure cette fonction est-elle un enjeu stratégique pour l’entreprise et par qui son implémentation doit-elle être portée ?
Pour une entreprise et du point de vue de son capital humain, tout l’enjeu consiste à mobiliser ses collaborateurs et à renforcer leur sentiment d’appartenance et leur motivation. Au-delà des conditions matérielles et des perspectives de carrière ou d’expérience, l’engagement des collaborateurs se gagne par le fait qu’ils se sentent embarqués dans une grande et belle aventure. Aujourd’hui, les salariés d’une entreprise ne cherchent plus uniquement la sécurité de l’emploi et le niveau de revenu. Ils ont besoin de donner du sens à leur action de s’inscrire dans un récit cohérent qu’ils peuvent lire, vivre, écrire et partager. Bien informés, conscient de leur contribution à la success-story de leur entreprise, partageant une culture commune, ils seront d’autant plus engagés dans leur travail, prêts à défendre leur entreprise et à imaginer des façons de contribuer à son succès. Quoi rêver de mieux pour des dirigeants d’entreprise ? Et les dirigeants justement sont les premiers communicants internes : leur parole, par son poids et sa portée, est fondamentale pour orienter les efforts, reconnaître les succès et baliser le chemin de l’avenir. Bien sûr, ensuite, des professionnels de la communication prennent le relais pour façonner et mettre en œuvre les dispositifs adéquats pour diffuser les messages et écouter le corps social. Peu importe d’ailleurs qu’ils soient rattachés à la direction des ressources humaines ou à la direction de la communication (les deux principaux grands schémas), pourvu que les praticiens soient outillés en terme de compétences et de moyens et surtout soutenus par leur hiérarchie.

Est-elle vraiment le propre des grandes entreprises et un luxe pour les PME ?
En réalité, la communication interne est pratiquée partout, dans toutes les organisations, grandes ou petites, associations ou sociétés anonymes, établissements publics ou privés, entreprises familiales ou multinationales… Elle sera seulement plus formalisée dans de grandes structures que dans les petites entités. Par formalisée, je veux dire doté d’une stratégie, d’un plan d’action, de canaux multiples et de ressources humaines, matérielles et financières propres. Elle n’est certainement pas un luxe pour les PME, qui peuvent souffrir autant que les grandes du désengagement des collaborateurs ou des effets destructeurs de la rumeur, de la rétention d’information, de la mauvaise compréhension des enjeux, etc. Les moyens sont évidemment différents. Et c’est sans parler des PME qui grandissent très vite et qui ont intérêt à rapidement mettre en place les outils et dispositifs d’information nécessaire pour gérer la croissance en termes d’alignement des collaborateurs.

Quel est son apport pour les collaborateurs ? Dans quelle mesure peuvent-ils être intéressés par ce type de communication ?
Ils y sont intéressés parce qu’ils en font partie ! La communication interne n’est pas unidirectionnelle, de haut en bas. Elle est multidirectionnelle : tout le monde communique. Un collaborateur est d’abord très intéressé de bien connaître et comprendre l’entreprise dans laquelle il passe beaucoup de temps. Cela lui permet de se situer et d’évoluer en tenant compte de la culture particulière dans laquelle il est plongé. Il a également besoin de tisser du lien social, de se sentir faire partie d’un groupe, dont il partage les valeurs, la vision et les références culturelles. Il a aussi besoin d’écouter ce que les autres ont à dire (les dirigeants, les représentants des salariés, les métiers, etc.). Et bien sûr, il a besoin aussi de parler ! En s’exprimant, il partage son point de vue et apporte sa contribution au débat. C’est donc un processus interactif positif.

Faut-il privilégier le recrutement d’un communicant interne ou chercher des compétences en interne ?
Aujourd’hui, les formations académiques dans lesquelles est étudiée la communication interne sont soit en ressources humaines soit en communication (externe/interne). Il s’agit souvent de quelques modules ou cours assez marginaux dans les deux cas. Difficile donc de trouver des profils experts avec un parcours exclusivement orienté communication interne. Mais je pense que le plus important est surtout de confier la communication interne à une personne qui a une sensibilité à l’humain et à la communication, qui aime et qui sait écouter ; une personnalité ouverte, curieuse, sensible à la manière de passer les messages, consciente des enjeux de l’entreprise et capable de créer du lien. À choisir, il faut qu’elle ait au moins quelques compétences et expériences en la matière, quitte à lui offrir une formation spécialisée avant sa prise de fonction. Dans les très grandes entreprises du type multinationales évidemment, la marge d’improvisation est assez réduite. Des professionnels rodés ayant déjà occupé ce poste ailleurs vont permettre de gagner du temps et de limiter le risque d’erreurs.

Comment convaincre le top management et les autres parties prenantes de l’importance de la communication interne ?
Pour les plus réticents, le plus simple est de leur démontrer le coût catastrophique d’une mauvaise communication interne : les effets dévastateurs d’une rumeur sur le moral des collaborateurs et sur leur performance, le retour de bâton sur une mauvaise communication dans des situations délicates (changement de système d’évaluation, plan social, fusion-acquisition, accident ou crise externe…). C’est dans ce genre de cas qu’ils se rendent compte qu’il fallait disposer des outils nécessaires, de relais et dispositifs de communication interne huilés, d’une tradition de communication qui ne rend pas suspecte une prise de parole soudaine après de longs silences… instaurer une culture de la communication interne relève d’une volonté politique de l’entreprise. Aujourd’hui, la plupart des grandes entreprises le savent et sont plus ou moins outillées. Là où il y a encore du travail, c’est non pas de montrer les dangers que la communication interne permet d’éviter, mais surtout les bénéfices qu’il y a en tirer ! Il faut en être convaincu et, souvent, c’est plus une question de style de management. Certains grands patrons sont de vrais communicants, soucieux autant de leur image interne qu’externe et soucieux de délivrer les messages qui vont permettre à l’organisation qu’ils dirigent d’être plus performante et mobilisée pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Par ailleurs, un gros travail de communication interne se porte sur les managers intermédiaires, toujours un peu coincés entre une direction qui prend les grandes décisions et une base qui les subit. Eux-mêmes bien informés et mobilisés, il leur sera d’autant plus facile de favoriser l’appropriation des messages par leurs collaborateurs. Quant aux salariés, en se libérant de la méfiance qu’ils ont trop souvent instinctivement vis-à-vis des discours de la direction, ils pourront mieux comprendre ce qui est attendu d’eux, oser poser les bonnes questions et interpeller leurs dirigeants de façon constructive. Tout le monde gagne finalement à mieux communiquer au sein d’une entreprise.

Comment se présente la communication interne à l’ère du digital ? Quels changements a-t-elle subis ? Quels en sont les nouveaux outils ?
La communication interne est au cœur du processus de transformation digitale ! Tout d’abord, parce que c’est un changement et que dans toute conduite du changement, la communication interne est cruciale. Ensuite, la transformation digitale est une transformation relevant des technologies de l’information et de la communication et de la culture d’entreprise. Nous sommes donc en plein dans le sujet. La révolution digitale a bouleversé beaucoup de choses : les produits et services qu’offrent les entreprises, la relation avec les consommateurs, les usages des outils de travail et des environnements professionnels… Et tout cela se passe à une vitesse hallucinante, avec chaque jour son lot d’innovations, d’opportunités, de doutes et d’incertitudes… Les entreprises ont le devoir de définir leur position dans ce monde nouveau. Elles l’ont vis-à-vis de leurs clients, mais évidemment vis-à-vis de leurs collaborateurs, sans lesquels cette transformation ne sera pas acceptée et implémentée. Le rôle de la communication interne est donc tout d’abord d’expliquer ce changement et d’en faire la preuve en utilisant ces nouveaux outils et usages. Parmi eux, les réseaux sociaux sous toutes leurs formes tels que les intranets ou blogs internes nouvelle génération, les newsletters électroniques, les écrans d’affichage dynamiques et connectés, les réseaux de type WhatsApp, Facebook et Instagram pour entreprise, etc. Tout est quasiment bon à prendre pourvu qu’on en maîtrise l’usage et sans tomber dans le gadget creux et sans fond ni finalité. Si je devais aller plus loin, je dirais que la clé est de considérer la cible interne comme un public à part entière, qui doit disposer de ses propres médias pour s’informer et communiquer, des médias alignés sur les meilleurs standards de la profession. Certaines entreprises marocaines s’inscrivent dans cette logique aujourd’hui. C’est un pari risqué, mais, à terme, payant.

Comment l’entreprise peut-elle se mettre à jour de ces changements ?
En matière de conduite de la transformation digitale, il est extrêmement judicieux d’inclure la communication interne en amont et de l’associer au processus de transformation, en lui assignant comme rôle de communiquer sur les enjeux, les bénéfices et opportunités, les difficultés à surmonter, les personnes clés, les nouveaux outils et services à disposition des collaborateurs, etc.La communication interne saura aussi détecter les malaises ou les crises potentielles en étant au plus proche des salariés, à l’écoute de leurs préoccupations. Elle peut également accompagner les managers intermédiaires qui parfois sont eux-mêmes complètement dépassés par les événements et les changements qu’ils vivent. Bref, la communication interne peut contribuer activement à faire de la transformation digitale une réussite rapide et totale auprès des collaborateurs. 
Propos recueillis par M. Se.

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