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La critique est facile, mais l’art est difficile

Dans cette chronique, nous faisons écho aux réactions qu’a suscitées la chronique de la semaine dernière «Dans la peau d’un entrepreneur». En effet, nous nourrissons beaucoup de fausses idées sur le chef d’entreprise, confondant ainsi les gros capitalistes (qui ne doivent en aucun cas être victimes de leurs succès) et les dizaines de milliers de petits entrepreneurs dont le quotidien est loin d’être un long fleuve tranquille. Le chef du gouvernement gagnerait à installer auprès de lui un observatoire de la vie de la TPME et apporter des solutions concrètes à ses difficultés.

La critique est facile, mais l’art est difficile
Dans les métiers de cash, c’est carrément le cauchemar pour les patrons.

Une caricature loin, très loin de la réalité
Dans la croyance populaire, et malheureusement même dans certains cercles d’intellectuels, le chef d’entreprise au Maroc est toujours décrit comme un méchant vampire suceur de sang de ses salariés, qu’il paye au lance-pierres, tandis qu’il amasse des fortunes colossales, qu’il s’empresse de mettre à l’abri dans des paradis fiscaux à l’étranger. Et quand il réalise des profits, c’est parce qu’il a fraudé clients, fournisseurs, État, salariés, banquiers et même le père Noël. Dans l’imaginaire collectif, l’entrepreneur marocain ne réinvestit pas ses bénéfices, il les consomme en produits de luxe importés et se paie un train de vie digne de Maharaja. Après tous ces clichés, on vient demander à ces «êtres maléfiques» de produire de la richesse, de créer des emplois, de payer des impôts et de drainer des devises. Une société qui a une si basse idée de ceux qui font sa richesse, ne peut en aucun cas leur réserver la place qu’ils méritent et les pousse au mieux à limiter leurs succès, au pire à aller les réaliser dans des pays qui savent valoriser leurs talents.

Les salariés ne sont pas toujours des victimes et les patrons ne sont pastoujours des bourreaux
L’un des clichés qui reviennent assez souvent dans les discussions de cafés et même dans certains débats publics hélas est cette vision imaginaire selon laquelle le patron aurait un gros fouet face à de pauvres travailleurs à la tâche qu’il tue à la tâche, en fumant son gros cigare. Or, dans la réalité, les patrons peuvent également être victimes de certains travailleurs peu scrupuleux qui se contentent de toucher le salaire, en fournissant le minimum d’efforts quand ils ne fraudent pas purement et simplement. Ces mêmes salariés qui, pendant la période d’essai arrivent à persuader le patron qu’il est tombé sur la perle rare, se métamorphosent au fil du temps en pantouflards, négligents et tricheurs comptant les minutes qu’ils passent dans l’entreprise sous prétexte de la mauvaise paie et des conditions inhumaines de travail, alors qu’ils viennent d’accéder à la propriété de leurs logements et que leurs bureaux sont climatisés. Alors qu’auparavant la lune de miel pouvait durer quelques années avant que le salarié ne devienne complète,ment blasé, il suffit de quelques mois aujourd’hui pour réussir la prouesse de le devenir avant la trentaine. On est souvent choqué dans certaines entreprises privées (on n’ose même pas parler de ce qui se passe dans le public) de constater que certains salariés sont absorbés par les smartphones, laissant s’entasser dans l’indifférence la plus totale les dossiers de travail. Dans les métiers de cash, c’est carrément le cauchemar pour les patrons. Ils doivent souvent rester scotchés à la caisse ou la confier à un membre de leur famille pour ne pas la voir complètement vidée à la fin de la journée. Ainsi au lieu de prendre les risques qu’il a pris pour réussir, certains salariés passent leurs journées à compter les signes extérieurs de richesse de leur employeur.

La vache à traire
Le quotidien du chef d’entreprise est loin d’être l’image farfelue, de réunions de motivation le matin, de parties golf l’après-midi et de diners d’affaires le soir. La réalité est toute autre. Dès leur réveil avant tout le monde, il leur faut superviser les livraisons aux clients sinon ils bloqueront le paiement d’anciennes factures, faire patienter les fournisseurs qui risquent de couper les approvisionnements, supporter la bureaucratie administrative qui leur coûte du temps et de l’argent devant l’indifférence rageante des fonctionnaires et enfin aller passer un grand oral à la banque pour débloquer les salaires à la fin du mois. 
Un entrepreneur peut avoir le matin 200.000 dirhams en banque et 1.000.000 de dirhams d’engagements à régler le même jour. Il doit déployer des trésors de diplomatie et des talents hors pair de négociateur pour passer la journée sans trop de dégâts, en attendant que le comptable d’un gros client daigne faire son travail et débloquer un règlement qui traîne sur son bureau depuis des mois. 
Quant à la relation avec la banque, elle se réduit souvent à la phrase suivante : «si vous voulez des facilités qui dépassent 100.000 dirhams, nous devons avoir des cautions personnelles», tant et si bien que beaucoup d’entrepreneurs ne sont même pas propriétaires de leurs biens. 
Ces derniers sont hypothéqués au profit des banques juste pour que la machine de l’entreprise ne cale pas. Certains chefs d’entreprises se sont retrouvés sur le carreau parce qu’ils n’ont pas pu honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs créanciers, car eux-mêmes n’ont pas été payés par leurs débiteurs. En revanche dès que l’entrepreneur sort un peu la tête de l’eau, il voit s’abattre sur lui une meute de contrôleurs de tous genres prêts à l’achever à la moindre erreur involontaire de la part d’un salarié, qui n’est même plus là pour s’expliquer, et dont il doit assumer les fautes rubis sur l’ongle. 
Alors qu’une infime minorité d’entrepreneurs a tout sacrifié pour faire fortune, la majorité vit à peine mieux que des salariés bien payés, tandis que d’autres ont vu leur prise de risque les conduire directement en prison. 

Par Nabil Adel 
Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

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