L’Académie du Royaume du Maroc a organisé, mercredi à Rabat, une conférence sous le thème «La contribution de l’Amérique latine dans la pensée de libération mondiale», dans le cadre du cycle préparatoire de sa 45e session, prévue du 24 au 26 avril prochain, placée sous le signe «L’Amérique latine comme horizon de pensée». S’exprimant à cette occasion, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdeljalil Lahjomri, a indiqué que le choix de ce thème va de pair avec l'orientation de l’Académie visant à jeter les passerelles avec les autres régions du monde et favoriser la familiarisation des universitaires et intellectuels marocains avec les problématiques majeures de ces régions. M. Lahjomri a, dans ce sens, souligné que l’objectif de cette conférence est de s’informer davantage sur les expériences des pays de l’Amérique latine dans les domaines politique, économique, culturel et éducatif.
Pour sa part, l’ambassadeur itinérant de S.M. le Roi, Ahmed Herzenni, a souligné que l'expérience latino-américaine va enrichir celle marocaine, notant que cette rencontre a été l’occasion de présenter les travaux de penseurs latino-américains de renom sur différentes questions portant sur les défis de l’économie mondiale, la transition démocratique ou encore la transmodernité. Dans ce cadre, M. Herzenni a rappelé la première vague de libération des pays d’Amérique entre 1814 et 1825, soulignant que dans la conception des dirigeants de l’époque, la lutte pour l’indépendance était en même temps une lutte pour l’unité continentale. L’indépendance fut acquise, mais pas l’unité, a-t-il fait remarquer, notant que l’indépendance s’avéra vite tout à fait relative.
En effet, la doctrine Monroe, formulée dès 1823, plaçait de fait l'Amérique latine sous protectorat des États-Unis, qui se transformèrent ainsi en tuteur, a-t-il dit, précisant «qu'à l’ombre de ce protectorat prospéra une classe de compradores protégée par des oligarques qui réussirent à survivre à maintes révoltes agraires, jusqu’à ce que la crise mondiale et non seulement américaine de 1929 vînt ébranler cet édifice archaïque».
Une bourgeoisie plus entreprenante entra alors sur la scène et une certaine modernisation prit son essor, a-t-il poursuivi, relevant toutefois que les intérêts des différents acteurs étaient tellement divergents qu’au bout du compte s’imposèrent des régimes autoritaires que défiaient seulement des courants populistes qui au fond n’étaient pas moins autoritaires. Il était temps que vienne alors une seconde vague de libération, a poursuivi M. Herzenni, mettant l’accent sur les apports des intellectuels à cette époque, particulièrement José Marti, «dont l’œuvre éclaire peu ou prou tous les apports de la seconde vague de libération».
Le plus connu de ces apports est la théorie de la dépendance, a expliqué M. Herzenni, ajoutant que celle-ci n’est sûrement pas exclusivement latino-américaine, même si elle a été effectivement initiée par des Latino-Américains, notamment Raul Prebish et son équipe de la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine. Elle part, a-t-il précisé, du constat que malgré les quelques politiques d’industrialisation qui ont été menées dans des pays d’Amérique latine après la crise de 1929, la pauvreté et le sous-développement, au lieu de se réduire, n’ont fait que s’amplifier et s’approfondir.
Pour M. Herzenni, cette théorie est discutable dans ses différentes versions, car sa simple formulation a représenté une irruption salutaire du Tiers-Monde dans le champ de la théorie sociale qui semblait jusqu’alors réservé à l’Europe et à l’Amérique du Nord. Ce manque sur le plan théorique avait atteint son maximum de béance dans les années 60, 70 et 80 du siècle dernier, lorsque quasiment tous les pays du sous-continent étaient gouvernés par des dictatures militaires, a-t-il poursuivi.
Par la suite, M. Herzenni a mis l’accent sur «un courant de pensée qui s’est voulu une sorte de synthèse de toutes les composantes de la seconde vague de libération et qui a donné à celle-ci une expression philosophique». Il s’agit de la philosophie (et subsidiairement de la théologie) de la libération portée, en particulier, par le groupe «Modernité/Colonialité». La philosophie de la libération, a-t-il dit, commence par s’insurger contre le système de domination mondial qu’elle considère comme totalitaire dans la mesure où il est occidentalo-centré et, philosophiquement, helléno-centré. «Il s’agit finalement de construire un projet civilisationnel alternatif qui se nourrit des apports de toutes les cultures des pauvres actuels, mais sans nécessairement rejeter toutes les contributions des cultures postmodernes, modernes ou pré-modernes. C'est ce que Dussel appelle passer à la transmodernité.», a-t-il conclu.