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Le dernier survivant égrène ses souvenirs

À l'occasion du 74e anniversaire de la présentation du Manifeste de l'indépendance, «Le Matin» republie l’entretien exclusif réalisé en 2014 avec Haj Mohammed Aissaoui Mestassi. Résistant de la première heure, figure emblématique du mouvement nationaliste, Haj Mohammed Aissaoui Mestassi était le dernier signataire vivant du Manifeste de l'indépendance. Il s'est éteint en novembre 2017 à Meknès à l’âge de 99 ans. De son vivant et avec une grandeur d’âme inégalée, il avait bien voulu partager avec nous ses souvenirs, ses sentiments et sa mémoire.

Le dernier survivant égrène ses souvenirs
Haj Mohammed Aissaoui Mestassi.

Le Matin : Pourriez-vous nous parler de votre combat ainsi que de celui d’autres nationalistes pour l’indépendance du Maroc ?
Haj Mohammed Aissaoui Mestassi
: Le combat des Marocains pour l’indépendance a commencé dès les années 1930 et précisément avec les protestations et le manifeste contre le Dahir berbère en 1930 et la création en 1934 du Comité d’action marocain (CAM) qui a présenté une liste de revendications nationales. Il y a eu par la suite la création du Parti national par les nationalistes marocains. L’histoire de la lutte des Marocains pour l’indépendance est très bien transcrite, entre autres dans les mémoires de Si Boubker Kadiri en deux tomes, dans l’ouvrage «Al Mahidoune, Al Khalidoune» de Abdelkrim Ghellab et les mémoires d’un prisonnier «Modakirat Sajine» d'Ibrahim El Kettani. Il y a aussi un autre ouvrage écrit par un militant de Casablanca fin 1943, sans oublier le livre de l’école Naciria fondée en 1924 ou 1925 par le fqih Ghazi qui est un grand nationaliste, et qui a joué un grand rôle dans la formation des nationalistes fondateurs du mouvement national.

Que s’est-il passé après les soulèvements des années 1930 ?
Entre les années 1930 et 1940, les militants commençaient à s’organiser et leur détermination grandissait et se renforçait. Ainsi, depuis le début des années 1940, ils ne se contentaient plus de demander des réformes, mais ils réclamaient l’indépendance. Et la Conférence d'Anfa en janvier 1943 à laquelle prit part le Sultan 
Mohammed V constitue une date importante dans la marche vers l'indépendance. En fait, l’armée américaine a débarqué à Casablanca le 8 novembre 1942 et à l’époque la Guerre mondiale faisait rage. Le général Noguès (résident général, ndlr) a demandé au Sultan Mohammed V de quitter Rabat pour Fès, mais les nationalistes, notamment MM. Ghazi, Mohamed El Yazidi et Balafrej, ont tenu une réunion et ont demandé à Mohamed Ghali El Fassi, qui était le conservateur de l’Université Qaraouiyine et professeur du Prince Moulay Hassan, de prier Mohammed V de ne pas accepter la demande du général et de rester à Rabat. Et quand le Sultan Mohammed V a été invité à la Conférence d’Anfa à laquelle participaient le Président Roosevelt et Churchill ainsi que les généraux de Gaulle et Giraud, certains nationalistes qui voulaient saisir l’occasion pour faire connaître la cause du Maroc, hésitaient entre réclamer des réformes ou l’indépendance. Mais le Sultan Mohammed V a insisté pour qu’on exige l’indépendance. Et il a d’ailleurs abordé la question lors de ces rencontres avec le Président Roosevelt qui a promis le soutien des États-Unis au Maroc. Le Sultan a discuté du même sujet avec Churchill et il lui a rappelé la participation des Marocains à la guerre de libération de plusieurs pays européens.

Comment avez-vous vécu cette période des années 1930 et 1940 ?
En 1942, j’étais fonctionnaire avec le comptable «Mouhtassib» Ahmed ben Meki Terrab, qui était d’ailleurs l’une des rares personnes qui osaient dire non aux Français. Mais j’avais rejoint le mouvement national depuis 1934 et j’ai participé aux premières manifestations des Marocains comme celle contre l’obligation de porter l’habit occidental et j’ai aussi participé au mouvement de l’eau en 1937 quand les Français ont essayé de détourner Oued Boufekrane pour irriguer les terres agricoles occupées par les colonisateurs. En outre, j’ai été parmi les signataires du Manifeste de l’indépendance qui était d’ailleurs préparé par les nationalistes dans le plus grand secret. Et le 11 janvier 1944, les nationalistes du Parti de l'Istiqlal ont remis le Manifeste au Sultan Mohammed V et d’autres nationalistes ont remis une copie du document à la légation française. Dans ce Manifeste, les nationalistes réclament ouvertement l’indépendance du Maroc sous l’égide de Sa Majesté Sidi Mohamed Ben Youssef.

Les représailles de la résidence française ont été immédiates ?
Après avoir reçu le Manifeste, la Résidence générale disait que les signataires ne représentaient qu’eux-mêmes, mais avec la multiplication des réactions de soutien de la part des Marocains dans l’ensemble des régions, elle a procédé à l’arrestation de certains signataires et militants nationalistes le 28 ou 29 janvier et des condamnations à mort ont été prononcées. Ces actes ont été suivis par des manifestations et des soulèvements de la population partout au Maroc, notamment à Rabat et Salé. Et depuis, les Marocains ne voulaient qu’une chose, le départ des Français, notamment après la visite de Mohammed V à Tanger en 1947 où il réclama l’indépendance du pays. 
La Résidence générale a essayé à maintes reprises de rompre l’attachement des Marocains à leur Souverain, mais en vain. Les manifestations de soutien se multipliaient et, en décembre 1952, les assassinats de militants syndicalistes marocains ont suscité d’autres soulèvements et de fortes vagues de protestations. Et encore une fois, les Français répondaient par des arrestations massives et des procès militaires expéditifs. En 1953, avec l’exil du Sultan Mohammed V, les soulèvements populaires sont devenus si intenses et réguliers qu’ils ont forcé les Français à rappeler le Sultan en novembre 1955 et à accepter l’indépendance du Maroc.

Vous avez été emprisonné dans les années 1950. Parlez-nous de cet épisode ?
J’ai été arrêté en novembre 1952 et exilé à Rabat. Je me suis installé avec mon frère Larbi, que Dieu ait son âme en sa sainte miséricorde, et par la suite nous avons été arrêtés et conduits à la prison d’Agadir puis à Ifrane, Souss et par la suite Bouzakaren, qui était une prison très dure. Et ce n’était pas fini, on a été transférés à la prison de Goulmim avec 14 personnes et nous y sommes restés plus d’une année. Nous avons été emmenés dans un autre endroit dont je ne me rappelle plus le nom avec d’autres nationalistes, Haj Ahmed Cherkaoui, Othmane Jorio et son frère Si Mohamed et Mohamed Choufani. J’ai été relaxé le 14 juillet 1955. 


Le défunt était l’un des fondateurs de Scoutisme Hassania

Le résistant Mohamed Aissaoui Mestassi a rejoint en 1934 le Mouvement de résistance nationale et participé au soulèvement dit «Mae Boufekrane» où il était membre du comité chargé de la grève au lendemain des événements qui ont paralysé, trois jours durant, l’activité dans cette ville. Il a poursuivi son action militante en coordination avec les membres du Mouvement national à Fès et Rabat. Il était l’un des fondateurs de Scoutisme Hassania au début des années 1940 et l’un des membres les plus actifs qui ont œuvré à la création de l’Institut islamique dans la ville ismaïlienne qui avait pour mission de défendre l’enseignement privé pour faire face aux tentatives du colonisateur visant à dénaturer l’identité marocaine. Le défunt, qui avait été emprisonné et exilé en 1952 à Rabat et Agadir, avait croupi dans les prisons de Bouizakaren, Guelmim, Kalaat M’Gouna et Aghbalou N’kerdous, avant d’être libéré le 14 juillet en 1955.

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