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Le développement des talents africains, un enjeu majeur pour la transformation du continent

C’est bien connu, l’Afrique est le continent des paradoxes. Riche en ressources naturelles et pauvre en croissance. Riche en diversité et pauvre en unanimité. Riche en ressources humaines et pauvre en talents. Ce dernier paradoxe est sans doute le plus interpellant au vu de l’importance que revêt l’émergence d’une génération de compétences pour l’édification de l’Afrique de demain. Développer les talents africains pour accompagner la transformation rapide du continent en est ainsi le principal défi à relever en urgence.

La compétitivité du continent en matière de développement des talents est à la peine. C’est le constat qui a fait l’unanimité lors des différents débats de la 22e édition du colloque international de l’Association des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF), tenue récemment à Marrakech. Youssef Lahlou, professeur-chercheur à Emlyon Business School Casablanca, a évoqué dans ce sens les résultats de la dernière édition de l’indice mondial de la compétitivité des talents, établi par l’INSEAD (Institut européen d'administration des affaires), et qui prouve que la gestion des talents est le talon d’Achille des pays du continent.
Quelque 21 pays africains figurent dans ce classement qui mesure la capacité d’un total de 119 pays à attirer, développer et retenir les talents. Mais un seul apparait dans le top 50 : les Îles Maurice, classés à la 46e place. Les 2/3 des pays du continent recensés arrivent en queue de classement (entre la 91e et la 119e place) dont le Maroc qui occupe la 98e place.
Leila Serrar Tazi, directrice centrale Capital humain à BMCE Bank of Africa, a tenu toutefois à préciser que la pénurie des talents est une problématique mondiale. Elle en veut pour preuve une étude du cabinet Korn Ferry, publiée le 3 mai dernier, qui indique que le marché de l’emploi accusera un manque de 85,2 millions de compétences qualifiées à l’horizon 2030, soit une perte de revenus estimée à près de 8,5 milliards de dollars. En cause, une mauvaise correspondance entre l'offre et la demande due principalement à l'inadéquation entre la formation et l’emploi.

À la lumière de ces chiffres et ces constats, une question s’impose : comment développer assez de talents pour faire face à la pénurie ? La réponse est dans ces points communs relevés par l’enquête de l’INSEAD chez les champions de l’émergence des talents, à savoir : «un système éducatif qui répond aux besoins du marché, une politique de l’emploi qui favorise une certaine flexibilité, la mobilité des RH et l’entrepreneuriat ainsi qu’une forte concertation entre le gouvernement, les acteurs du système éducatif et les entreprises». Bref, tout ce qui manque à la majorité des pays du continent ! Mais c’est surtout la défaillance du système de l’éducation et de la formation qui a fait l’unanimité dans les différents débats, de par son incapacité de s’aligner sur les exigences du marché de l’emploi et d’anticiper ses besoins futurs. «Le système éducatif a un rôle crucial, voire une responsabilité dans la construction et le développement des talents dont le continent a besoin. D’où l’importance d’adapter les formations aux réalités et exigences du marché du travail et d’adapter les programmes pour anticiper les besoins de l’Afrique de demain», souligne Youssef Lahlou.
«L’école ne prépare pas suffisamment de talents pour accompagner la transformation structurelle du continent. Il faut réinventer l’école de demain», renchérit Alioune Gueye, PDG du groupe Afrique Challenge. Il va même plus loin en accusant le système éducatif, notamment francophone, d’être une machine à destruction de talents. Pour lui, la transformation passe par la formation, l’innovation et la recherche scientifique, mais commence d’abord par l’enseignement des sciences. «Nous avons un déficit très lourd en matière d’intelligences scientifiques et les métiers de l’avenir ont en besoin». Et de conclure : «mettez en place une éducation de qualité et un système de santé gratuits, et les talents émergeront d’eux-mêmes».
Au sujet de l’identification des métiers de demain, Youssef Lahlou assure qu’il suffit d’analyser les tendances lourdes de développement en Afrique : «Aujourd’hui, nous sommes capables d’anticiper les métiers d’avenir pour l’Afrique et donc de spécifier de quelles compétences nous avons besoin. Nous avons une croissance démographique importante qui s’accompagne d’une urbanisation rapide qui va elle-même s’accompagner d’un investissement massif dans les infrastructures. On peut en conclure qu’un secteur comme le BTP a de beaux jours devant lui en Afrique. Le même raisonnement s’applique quand on voit l’émergence des classes moyennes avec des besoins en consommation assez importants». Les métiers de la santé, retail, nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’économie verte… sont également des niches à explorer.
Cette anticipation aussi bien que l’éducation sont principalement du ressort des gouvernements comme l’a signalé à juste titre Leila Serrar Tazi. «Je pense que ce qui nous manque aujourd’hui, c’est d’avoir des observatoires de l’emploi et des métiers qui soient dans la prospective et qui puissent travailler main dans la main avec les entreprises et l’enseignement supérieur pour anticiper cette transformation», a-t-elle déploré.
«Nous manquons de vision et de politiques volontaristes qui ne seront jamais le produit d’une réflexion émanant des institutions gouvernementales, trop occupées à gérer des urgences», regrette également Younès Sekkouri, administrateur-directeur général de l’École Ponts Business School Afrique. 
Les talents ne demandent qu’à être révélés. Tout ce qu’il faut, c’est «créer le cadre, l’écosystème propice et ils se révéleront d’eux-mêmes», assure, pour sa part, Alioune Geye.

Qui sont ces talents de demain ?
Pour Aline Chambaret, DRH de Saham Finances, il est difficile de définir de quels talents nous avons besoin dans un avenir proche au regard du contexte incertain et changeant dans lequel nous évoluons. Mais pour les talents de ce début du siècle, a-t-elle ajouté, trois aptitudes sont incontournables : 
• Les compétences ayant trait au savoir : savoir-être avec les autres quand ils sont différents, savoir adresser la complexité et savoir créer ses propres modèles, modes opératoires, solutions et approches.
• De solides fondamentaux et savoir-faire techniques pour répondre aux enjeux de la qualité.
• Un état d’esprit d’entrepreneur pour pouvoir saisir les opportunités colossales qui s’offrent dans notre continent. 
De son côté, Sofia Sebti, directrice générale de Batenborch Maroc, soutient qu’un talent doit répondre à trois questions : «Est-il capable de faire le travail ?» «Est-ce qu’il va le faire ?» et «Va-t-il rester ?». Dans la première question, il s’agit d’évaluer les compétences techniques. Dans la deuxième, il est question de compétences comportementales, alors que dans la troisième, il s’agit d’évaluer la motivation et l’inspiration du candidat pour le poste offert. Elle a tenu toutefois à préciser qu’«il n’y a pas de talent dans l’absolu. Il n’y a que des talents relatifs».
Najla Chérif Hamdi, DRH à Sanofi Maroc, Tunisie et Libye, elle, trouve qu’avec un tissu économique formé en majorité de PME, difficile de parler de talents. Car, dans ces petites structures, le patron est le seul talent, explique-t-elle.

Comment les développer ?
Le développement des talents représente une véritable préoccupation pour les entreprises africaines. Hicham Zouanat, président de la Commission Emploi à la CGEM présente six leviers pour développer les talents africains : 
• Leur donner un travail consistant.
• Les charger de mener des projets.
• Utiliser les pays où le groupe est présent pour faire des «Short-term assignments» (affectations à court terme). 
• Les benchmarks.
• Les personnes tierces que ce soit en interne comme le tutorat ou en externe comme le coaching.
• L’expatriation. 
Younès Sekkouri partage à son tour quelques recommandations déclinées par une récente étude de Harvard. Il s’agit de s’inspirer de la supply chain, dans une logique de stock, sur la base de 4 principes : 
• Établir un équilibre entre le «make and buy», c’est-à-dire trouver un bon dosage entre le développement des compétences en interne et le recrutement en externe. 
• Gérer l’incertitude en veillant à mettre en place des programmes à court terme.
• Optimiser le retour sur investissement concédé pour l’acquisition ou le développement des talents. L’intrapreneuriat est une des solutions à présenter à ceux qui veulent quitter l’entreprise et le maintien du contact avec ceux qui sont déjà partis pour une éventuelle future collaboration.
• Trouver un équilibre employeurs-employés dans le cadre des contraintes liées aux objectifs des différentes parties prenantes.

Et le sourcing ?
«Traquer» les talents est l’autre souci qui inquiète en permanence les entreprises africaines. Outre les difficultés liées à leur rareté et à un marché mondialisé et donc très compétitif, Leila Serrar Tazi cite d’autres contraintes locales en relation avec la stabilité politique, la santé ou encore la culture du pays qui peuvent décourager les candidats potentiels.
Mais pour réussir le sourcing, Aline Chambaret a trois mots d’ordre : Rencontrer, Donner envie et Accueillir. Elle recommande ainsi d’appréhender le sourcing comme un chemin à parcourir et une relation à bâtir. 
«Cela commence par la rencontre. Il faut rencontrer ces jeunes à travers les différents pays d’Afrique, mais aussi dans les autres continents. Il faut aller au bon endroit pour rencontrer le bon profil», a-t-elle déclaré. Il faut également savoir donner envie pour intéresser et attirer le candidat. Et enfin, il faut bien l’accueillir pour réussir à le retenir, et ce à travers la mise en place de dispositifs particuliers pour l’accompagner sur le chemin de l’intégration. 
Plus concrètement, Leila Serrar Tazi indique les candidats seront sensibles au package avantages offert par l’entreprise, aux conditions de vie et aux infrastructures éducatives du pays 
d’accueil. 
Puiser dans le vivier de la diaspora se présente aussi comme une bonne solution pour les entreprises en quête de talents, le tout est de pouvoir les attirer. «C’est une population qui a besoin de sens. Pour regagner son pays d’origine, la diaspora doit avoir le sentiment de participer à sa construction et son développement. Pour cela, une mise en valeur doit être faite par les gouvernements», signale Leila Serrar Tazi. «Il faut mettre en place des dispositifs facilitateur des interactions avec cette population», ajoute Alioune Gueye. Celui-ci fait par ailleurs remarquer que la tâche s’avère encore plus difficile dans le cas de ceux qui sont partis en période de crise politique et qui n’ont plus confiance dans les institutionnels. À cela s’ajoute la carence en fluidité de l’information au niveau des cellules en charge de la gestion des questions de la diaspora ainsi que le manque de visibilité des offres d’emplois. 

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