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«Il faut changer la manière de réfléchir et de se dire comment le Maroc, dans les différentes régions, peut avancer»

«Il faut changer la manière de réfléchir et de se dire comment le Maroc, dans les différentes régions, peut avancer»
Adnane Addioui.

Éco-Emploi : Enactus Morocco œuvre, depuis 15 ans, dans le domaine de l’entrepreneuriat social et l’accompagnement des jeunes. Quelle est votre lecture du développement de l’écosystème de l’entrepreneuriat estudiantin ?
Adnane Addioui
: L’écosystème entrepreneurial, en général, et celui de l’entrepreneuriat estudiantin au Maroc sont à leurs premières phases de naissance. Il y a beaucoup d’engouement, beaucoup d’énergie. Dans la plupart des réseaux dans lesquels j’exerce, notamment Enactus, nous avons chaque année l’occasion de travailler avec des milliers de jeunes. L’année dernière, nous avions travaillé directement avec environ 6.000 jeunes. L’engouement est là, la passion est là et les idées créatrices ne manquent pas. Concernant les points à améliorer et comment on pourrait réfléchir, l’entrepreneuriat commence à devenir de plus en plus une priorité pour les politiques et pour les décideurs, mais nous sommes encore très loin de là où on pourrait être. Nous n’avons pas encore des discussions avec des établissements pour leur dire que les problématiques liées à l’emploi et au chômage, que c’est juste l’enseignement qui est important. Il s’agit de se dire : «moi, j’ai un jeune, il faudrait d’abord qu’il choisisse ce qu’il voudrait faire et deuxièmement qu’il puisse développer des compétences qui vont améliorer à la fois son employabilité, mais de manière concrète, pas de la théorie».
Par exemple, si on prend un jeune qui a 25 ans et qu’on lui demande d’apprendre l’anglais et le français, c’est un peu trop tard. Par contre, si on le prend à 18 ans et qu’il commence à travailler en équipe et qu’il apprend concrètement, comme c’est le cas à Enactus, cela va améliorer à la fois son employabilité et en même temps il apprendra à développer des projets, qui pourraient se développer en des projets générateurs de revenus et créant de l’emploi.
La question de l’écosystème est importante ici. C’est quelque chose que je dis souvent. Tout le monde veut des projets, mais personne ne veut payer pour les avoir. Ce que je veux dire, c’est qu’on parle de création d’emplois et d’employabilité, mais en fait c’est très difficile, que ce soit pour les structures d’accompagnement de pouvoir exercer leurs missions ou pour les entrepreneurs, pour qu’ils puissent travailler. Les choses ont avancé, comme le travail que fait la Caisse centrale de garantie à travers le fonds Innov Invest, mais il nous faudrait des Innov Invest ou encore des Maroc Numeric Fund dans tous les secteurs et surtout penser à la façon de pouvoir travailler avec les plus jeunes. Il faut changer la manière de réfléchir et de se dire comment le Maroc, dans les différentes régions, peut avancer. Les régions sont importantes, certaines régions ont commencé à réfléchir de manière pratique par rapport à cette question, mais ce ne sont pas encore des priorités.

Quels sont, justement, les besoins des jeunes en matière d’entrepreneuriat ?
Cela fait six ans que je travaille dans ce secteur et chaque année je rencontre des milliers de jeunes dans toutes les régions pour connaitre les vraies réalités. Le premier besoin des jeunes est qu’on les inspire. Il y a beaucoup de personnes qui disent qu’il faut sensibiliser à l’entrepreneuriat, je trouve que c’est une mauvaise réflexion. Tu ne sensibilises pas, tu inspires, il faut révéler que quelqu’un puisse faire quelque chose. C’est vraiment sur ce volet d’inspiration où on peut créer des modèles auxquels les jeunes peuvent s’associer. 
Deuxième point, il faut qualifier ce potentiel. Bien sûr, pas tout le monde peut devenir entrepreneur, mais tout le monde peut avoir un esprit entrepreneurial. C’est une question à laquelle il faudrait vraiment réfléchir, dans le sens où tout le monde a des compétences pour développer des projets et être autonomes. Cela ne va pas se faire avec des paroles, si tu ne te lances pas, tu ne vas jamais apprendre à faire ça. L’exemple d’Enactus est intéressant, parce que le pipeline offert, c’est de l’expérimentation avant de la théorie. C’est pour cela que nous n’avons pas de soucis pour recruter les jeunes. En fait, nous avons beaucoup plus de demandes que ce que nous pouvons satisfaire avec nos capacités très limitées. Les jeunes ont besoin d’expériences pratiques, ils ont besoin d’apprendre de leurs pairs et de gens qui parlent leur langue. Si on n’arrive pas à créer cette inclusivité, on aura une coupure et on ne pourra rien faire.
Nous offrons plusieurs types de services aux différentes parties prenantes. La première partie, ce sont les jeunes à qui nous offrons l’inspiration, la qualification à travers un cadre professionnel pour les former et les accompagner pour avoir le goût du challenge. Il s’agit aussi d’établir la connexion avec les différents acteurs. Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui veulent aider, qui font du mentoring de manière bénévole sur leur temps et qui, sans eux, rien ne pourrait être fait.
Troisième point, les jeunes ont besoin d’un accompagnement personnalisé qui va à leur rythme et qui est sévère. Quand on parle à n’importe quel recruteur aujourd’hui, il te dit : je n’arrive pas à recruter un stagiaire, il ne vient pas, il n’est pas discipliné… Ce dont on manque gravement c’est l’éthique au travail. Ceci s’apprend en travaillant et en ayant des engagements depuis le plus jeune âge. Dernière chose, il faut aller dans l’air du temps et raisonner sur des projets qui répondent aux besoins des gens et non pas donner de faux espoirs.

Qu’en est-il de l’impact de vos actions et dans quels secteurs  travaillez-vous ?
Enactus Morocco produit annuellement environ 300 projets qui produisent, bon an mal an, une trentaine d’entreprises chaque année. L’année dernière, nous avons créé 280 emplois directs. Nous essayons de modéliser comment ces projets peuvent travailler. Le focus sur l’entrepreneuriat social signifie que tous les secteurs sont bons, car l’idée est d’identifier des besoins. Bien sûr, là où il y a des besoins il y a des opportunités. Nous avons des projets dans l’agriculture, dans la santé, dans l’éducation, dans les transports, dans la construction, etc.
Nous avons lancé un programme d’accompagnement d’entreprise avec la Fondation OCP, où nous avons pu accompagner sur trois ans une quarantaine d’entreprises, dont au moins cinq commencent à être autonomes financièrement, avec une moyenne de création de 5 à 10 emplois directs par projet. Et cela a commencé avec presque 0 DH. Donc, si on veut créer un million d’entrepreneurs, on peut le faire. Rien n’est impossible, il faut juste mettre les bonnes combinaisons et avoir les bonnes idées pour pouvoir mettre ça en place. 

Comment voyez-vous le futur de l’entrepreneuriat au Maroc ?
C’est la question à un million de dollars. Le futur est difficile, mais il est mieux qu’il y a quelques années. La question de l’entrepreneuriat devient de plus en plus d’actualité. Les moyens commencent aussi à venir, mais l’échelle des problématiques devient encore beaucoup plus dangereuse. Beaucoup de gens pensent que je suis optimiste, mais je suis quelqu’un de réaliste. La seule chose pour laquelle je suis optimiste c’est le potentiel des jeunes. Tout le reste est variable.Donc, si on arrive à créer une vraie industrie de création de potentiel et d’espoir, cette industrie pourra surmonter l’ensemble des problématiques. Et si on arrive à créer des gens qui sont résilients et qui ont de la patience, ils vont pouvoir surmonter l’ensemble des défis. Sauf que pour avoir cela à l’échelle du pays, il y a un besoin vraiment de l’ensemble des forces vives pour travailler ensemble et créer des solutions qui vont servir pour le Maroc aujourd’hui 
et de demain. 

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