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Flexibilisation du régime de change : On n’a encore rien vu !

Parler aujourd’hui de flexibilisation du dirham peut s’apparenter davantage à une chronique d’histoire économique, qu’à une analyse de l’actualité. Mais c’est une impression trompeuse. S’il est inutile, maintenant que la décision est prise et appliquée de revenir sur son bien ou mal fondé, il est néanmoins important d’en faire un premier bilan d’étape, en vue d’évaluer ses réalisations par rapport à ses objectifs initiaux. Toutefois, ce qui la rend d’une actualité brûlante, c’est le contexte géopolitique et économique international qui annonce de grands risques pour le Maroc.

Flexibilisation du régime de change : On n’a encore rien vu !
Au moment où la décision réelle de passer aux changes flottants fut prise il y a presque une année, avant d’être reportée pour des raisons de timing, le baril du pétrole était à 44,52 dollars, aujourd’hui il est à 65,96 dollars avec une pente ascendante.

Où sont passés les objectifs mielleux qu’on nous avait annoncés ?

Quand la décision de changer de régime de change nous a été vendue et puis imposée en dépit des réactions réservées des marchés et des opérateurs, l’objectif annoncé était de favoriser la croissance économique, d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) et de mieux intégrer le Maroc à l’économie mondiale (dont l’insuffisance nous a paradoxalement évité les affres de la crise de 2008). Or un premier bilan d’étape nous montre qu’on en est loin. La croissance continue d’être molle (moins de 4%), les IDE ont décroché de 24% à fin mars 2018 et notre taux d’ouverture est resté sensiblement le même. Mais aujourd’hui, personne ne fait le point sur l’atteinte de ces objectifs qu’on savait irréalistes, on est réduit misérablement à suivre l’évolution de notre dirham sur les marchés de changes et à espérer de tout cœur qu’il ne décroche pas face aux autres devises, particulièrement l’euro et le dollar. Le maintien de son cours devient en soi une performance. Naturellement, ces objectifs ne peuvent pas faire l’objet de suivi, car les variables d’action pour les atteindre sont dans les réformes structurelles de l’économie (formation et éducation, infrastructures, gouvernance, financement, fiscalité, etc.) et certainement pas dans de simples «bidouillages» monétaires et de changes. Si seulement c’était aussi simple, tous les pays auraient laissé flotter leurs monnaies et auraient décollé économiquement. Mais, les injonctions du Fonds monétaire international (FMI) sont passées par là et on a montré qu’on n’y pouvait rien. Sauf que maintenant nous avons de sérieux problèmes à résoudre avec ce nouveau régime de changes.

La remontée des prix des hydrocarbures et le risque d’aggravation des déficits extérieurs

Au moment où la décision réelle de passer aux changes flottants fut prise il y a presque une année, avant d’être reportée pour des raisons de timing, le baril du pétrole était à 44,52 dollars, aujourd’hui il est à 65,96 dollars avec une pente ascendante (nous reviendrons dans nos futures chroniques sur les raisons de ce revirement). Or notre pays compte toujours lourdement sur les énergies fossiles pour assurer ses besoins en énergie (en espérant que les stations Noor réduisent à terme cette dépendance) et qu’il en importe plus de 97%. Cette configuration de nos échanges extérieurs fait que notre balance commerciale est structurellement à la merci de la moindre fluctuation des prix des hydrocarbures au niveau international. D’ailleurs, les niveaux confortables de réserves en devises ayant accéléré la décision de passer aux changes flottants, s’expliquaient par la forte baisse des prix du pétrole et du gaz et non par une quelconque amélioration de notre compétitivité à l’international. 

De même, que le recours en 2013 à la LPL auprès du FMI était justifié par la forte hausse des prix des hydrocarbures à l’époque. Or, prendre une décision aussi structurelle et engageante de modification du régime de changes sur la base d’une embellie conjoncturelle relève de la négligence. Si ce mouvement haussier des prix se maintient (et nous avons de fortes raisons de penser que ce sera le cas compte tenu des nouvelles tensions au Moyen-Orient), nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu’en 2013, sauf que cette fois-ci au lieu d’ajuster par les réserves de changes, on va ajuster par la valeur du dirham. Celui-ci va certainement se déprécier par rapport aux autres devises, avec tout l’impact de pareille situation sur nos équilibres extérieurs et l’augmentation du coût de notre endettement en devises.

La guerre des devises comme nouvelle forme d’affrontement géopolitique Depuis le bras de fer entre les États-Unis et la Chine sur la valeur du Yuan et les pertes que sa sous-évaluation cause à la balance commerciales américaine, en passant par la crise de changes en Égypte l’ayant conduit presqu’à la faillite économique et à la crise sociale, jusqu’à l’attaque sur la livre turque sur fond de conflit géopolitique pour le leadership au Moyen-Orient, les devises ne sont pas qu’un simple moyen de commerce international.

Elles deviennent, ce qu’elles ont toujours été, des armes de guerre aussi redoutables que les bombes et les canons. Aujourd’hui, en contrôlant les flux d’investissement et les mouvements de capitaux entrants et sortants, les circuits de tourisme (tour-opérateurs et sites de réservation en ligne) et les chaines de valeur au niveau international, on peut mettre un pays à genou. Si, en plus (i) la monnaie de ce pays est flottante (ii) qu’il est endetté en devises (iii) avec des problèmes structurels de compétitivité et (iv) une forte dépendance énergétique, la partie ne devient que plus facile. C’est le moment que nos décideurs trouvent opportun pour le Maroc qui remplit, soit dit en passant ces quatre faiblesses, pour l’enfoncer davantage dans la fragilité. Voilà le type de décisions qui n’apportent rien à l’économie (sinon un coût additionnel dont doivent s’acquitter les opérateurs pour se prémunir contre les risques de changes), qui ne tient aucun compte de notre situation économique et de notre environnement géopolitique et qui accroît inutilement nos risques de crise. Mais, on les prend tout de même. No comment ! 

Par Nabil Adel 

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

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