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«L’Afrique doit se prendre en charge en matière d’arbitrage maritime et aérien»

Pour le professeur Hassania Cherkaoui, présidente de la Cour internationale d’arbitrage maritime et aérien (CIAMA), les pays africains doivent être en mesure de trancher eux-mêmes leurs litiges maritimes et aériens, car le recours aux chambres arbitrales étrangères coûte très cher. Elle estime que la création de la CIAMA, qui dispose des outils et de l’expérience nécessaires pour mener à bien sa mission, est une initiative de nature à permettre au Royaume de consacrer son leadership à l’échelle du continent.

«L’Afrique doit se prendre en charge en matière d’arbitrage maritime et aérien»

Le Matin : La Cour internationale d’arbitrage maritime et aérien organise une conférence sous le thème : «L’arbitrage est-il le mode de règlement le plus approprié des litiges maritimes et aériens ?» Quels sont les autres modes de règlement ? Et quels avantages présente l’arbitrage ?
Hassania Cherkaoui :
La médiation est un autre mode de règlement des litiges entre deux parties, à côté de l’arbitrage. Les parties qui choisissent ce mode de règlement font confiance à un médiateur chargé de les informer de leur droit sans prendre parti et de les pousser à prendre conscience de ce que sera un règlement de leur litige devant un tribunal. Quant aux avantages que présente l’arbitrage, il convient tout d’abord de préciser que c’est l’institution d’une justice privée par laquelle les parties confient à des arbitres librement désignés par elles la mission de trancher leurs litiges, qui sont ainsi soustraits aux juridictions de droit commun. Au Maroc, la procédure arbitrale est soumise à un certain nombre de dispositions du Code de procédure civile (chapitre VIII du livre V). Ainsi, l’arbitrage est intégré, dans une certaine mesure, dans le système judiciaire étatique, notamment en ce que la place de l’arbitrage est reconnue et consacrée par les lois de procédure marocaine, et en ce que dans l’intérêt bien compris des parties les principes directeurs du procès et le respect des droits de la défense sont applicables à l’arbitrage.
Quant à l’arbitrage maritime et aérien, il présente de grands intérêts. Il permet tout d’abord aux parties de sélectionner un tribunal en fonction de son expertise. Il est préférable, en effet, qu'un différend technique, portant par exemple sur la recherche de la cause de la panne d’un moteur d’avion ou de navire, soit confié à un tribunal arbitral se composant d’au moins un mécanicien de la machine plutôt que d'un juge qui n'a jamais mis les pieds dans la salle des machines. Dans tous les domaines spécialisés, l'arbitrage sera généralement préférable au procès, en raison de la disponibilité d'arbitres extrêmement expérimentés, spécialisés dans le domaine particulier concerné. Outre l’aspect technique que présente la matière, l’urgence des circonstances dans lesquelles se présentent très souvent les litiges exige que des décisions soient prises rapidement. Des coûts très importants peuvent résulter de tout retard dans la résolution du litige.
Un autre avantage de l’arbitrage est la confidentialité. Les procédures judiciaires sont dans le domaine public, alors que l'arbitrage est un processus privé où la confidentialité du litige peut être préservée. C'est un facteur très important lorsque l'affaire est sensible (par exemple, dans des circonstances où il peut y avoir des allégations de fraude) ou lorsqu'il existe des considérations commerciales importantes qui peuvent exiger le secret. En particulier, une partie peut, à juste titre, souhaiter garder secrets les termes du contrat afin d'éviter que les concurrents ne connaissent les termes sur lesquels elle opère ou tout simplement elle ne veut divulguer au grand public le fait que sa société est impliquée dans le litige, ce qui peut avoir des ramifications pour la santé financière de l'entreprise. L'arbitrage, en raison de sa procédure confidentielle, peut maintenir la confidentialité, alors que cela peut être très difficile dans les litiges où les jugements sont quelquefois publiés et les procédures sont publiques. Un autre avantage de l'arbitrage est que des arbitres de différentes nationalités peuvent être nommés dans un même tribunal arbitral (généralement de trois juges arbitres). Cela peut être un facteur important lorsqu'une partie est préoccupée par la crainte de partialité dans un tribunal étranger. Le fait de soumettre le différend à l'arbitrage peut être un moyen d'assurer une audience équitable dans un forum neutre.

Vous plaidez pour que l’Afrique prenne son indépendance économique vis-à-vis de l’étranger en matière d’arbitrage. Pensez-vous qu’elle en a les moyens ? Quel rôle peut jouer le Maroc dans ce cadre ?
Oui, les litiges les plus importants sont généralement confiés à des chambres arbitrales étrangères, ce qui est lourd financièrement pour les pays africains. Et il ne s’agit pas de «prendre son indépendance», mais plutôt de «se prendre en charge». D’ailleurs, la Cour que nous avons créée (Cour internationale d’arbitrage maritime et aérien, CIAMA ndlr) est une instance internationale, qui est composée de membres de différentes nationalités : anglaise, américaine, française et marocaine. Quant aux moyens, la CIAMA dispose des outils et de l’expérience nécessaires pour le règlement des conflits qui lui seront confiés par les parties. En effet, la liste de ses arbitres est composée de praticiens du commerce maritime et aérien, de juristes (professeurs et avocats) et de techniciens (ingénieurs du génie maritime, capitaines au long cours, officiers mécaniciens…). Son partenariat avec la Chambre arbitrale maritime de Paris (CAMP) lui donne un moyen supplémentaire pour réussir sa mission : celle de prendre le leadership en Afrique en mettant en place une veille juridique par sa jurisprudence, qui sera prête à l’emploi à tout moment afin d’éviter que l’avenir de l’Afrique continue d’être une contrainte à subir.

Vous estimez que le Code maritime de 1919, malgré ce qu’il a apporté à l’économie, doit être révisé. Et qu’il faudra travailler à un Code qui devrait durer jusqu’en 2119. Qu’est-ce qui devrait changer selon vous, et pourquoi ?
Il ne s’agit pas de réviser le Code de commerce maritime de 1919. C’est un édifice qu’on ne va pas détruire, mais dont il faut simplement ravaler la façade pour qu’il soit fonctionnel aujourd’hui. Ce texte est riche et complet, mais ses dispositions sont dépassées, elles ne sont plus actuelles. Or le temps a changé. Nous devons nous adapter aux nouvelles contingences mondiales de 2018, comme ceux qui ont travaillé le Code en 1918, pour nous livrer un Code maritime en 1919, devenu centenaire depuis janvier 2018. Le moment est donc venu de le réviser, car il n’est pas applicable dans la pratique maritime nationale et internationale et il est préjudiciable économiquement pour le Maroc au niveau de ses réparations et de ses sanctions. Le droit maritime, comme le droit aérien, est un domaine qui évolue très vite. Aujourd’hui, il existe des navires-porte-conteneurs géants qui transportent plus de 18.000 conteneurs. Or le Code parle encore de navire de 5 tonneaux de jauge. Il a rendu service, certes, mais il ne le peut plus. Et les pays qui l’ont recopié l’ont amélioré depuis.

Pensez-vous que les pouvoirs publics sont conscients des enjeux liés au droit maritime et à la question de la promotion de l’arbitrage comme moyens de règlement des contentieux ?
Pour vous convaincre de la conscience manifestée par les pouvoirs publics des enjeux de l’arbitrage en général dans toutes les matières juridiques, il suffit de vous rappeler que c’est la loi qui a organisé l’arbitrage, comme elle a organisé la procédure devant les tribunaux. Mieux, elle a reconnu à l’arbitre une compétence très élargie : ses sentences (décisions) sont exécutoires et ne sont susceptibles d’aucun recours, sauf du recours en cassation, mais uniquement lorsque la sentence n’a pas respecté la procédure légale. Le tribunal arbitral peut rendre des sentences même pour des actes de l’État, des entreprises publiques et des établissements publics, et ce pour toute contestation pécuniaire, sauf en matière fiscale.

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