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L'étude qui va décider du prix du pain

Le projet de contrat-programme État-Boulangeries-pâtisseries est en train de prendre forme. Les négociations entre la profession et le gouvernement sur les axes de ce futur cadre contractuel sont bien avancées. Sa signature pourrait intervenir en marge du Salon international de l’agriculture de Meknès (24-28 avril). L’élaboration de ce nouveau plan de développement du secteur se base sur les conclusions d’une étude stratégique réalisée par le cabinet Bfive Consulting. Le détail de cette radioscopie édifiante sur une activité hautement sensible.

L'étude qui va décider du prix du pain

Les réunions entre la Fédération nationale des boulangeries-pâtisseries (FNBP) et les ministères de l’Agriculture, des Finances et de l’Intérieur s’accélèrent. L’État et la profession sont, en effet, dans les dernières phases de négociation des axes du futur contrat-programme de développement du secteur. Selon des sources proches du dossier, la signature de ce nouveau cadre contractuel pourrait être actée lors du Salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM) qui se tiendra cette année du 24 au 28 avril. Les pourparlers entre les différentes parties prenantes sont menés sur la base des conclusions de l’étude stratégique réalisée par le cabinet Bfive Consulting  et dont «Le Matin-Eco» détient copie. Celle-ci renferme un état des lieux détaillé établi sur la base d’une enquête de terrain menée auprès de 340 boulangeries réparties sur 7 villes. L’étude épluche les difficultés que connaît un secteur dynamique, certes, mais qui cherche toujours le bon modèle de développement. 

21 millions de DH injectés à travers Rawaj
L’étude indique que le précédent contrat-programme (2011-2015) n’a pas atteint les objectifs de modernisation de l'activité. Concrètement, les experts du cabinet Bfive Consulting font état d’un manque d’adhésion manifeste des opérateurs aux mécanismes de Maroc PME (Imtiaz, Rawaj, Moussanada, etc.). Ce qui laisse penser à la fois à un manque d’attractivité et/ou d’information et à des pré-requis d’éligibilité non remplis. Dans le programme Moussanada par exemple, l’étude recense un seul bénéficiaire : la boulangerie-pâtisserie Maymana basée à Rabat. Il s’agit d’un acteur structuré opérant plutôt dans le haut de gamme, présent à Rabat et à Toulouse (France) et qui est certifié ISO 9001. Son accompagnement a porté sur la réalisation d’une étude de marché pour la conception d’une stratégie commerciale ayant coûté 120.000 dirhams et financée à hauteur de 60% par Maroc PME. La boulangerie r’batie a pu également réaliser, grâce à ce programme, une étude pour un projet d'investissement de 120.000 DH également financé à hauteur de 60% par l’ex-ANPME. Si les dispositifs de l’agence ont du mal à séduire les opérateurs, c’est à cause de leur caractère jugé inadapté aux spécificités de la profession, relève l'étude. 
Dans toute la grille des  programmes de Maroc PME, seul Rawaj a eu du succès auprès de la profession. Ce qui montre, selon Bfive Consulting, l’attrait pour le co-financement des équipements plutôt que pour le service. En effet, plus de 800 boulangeries-pâtisseries, sur une population estimée à 5.580, ont bénéficié d’actions de modernisation à travers Rawaj. L’accompagnement a principalement porté sur la mise à niveau des points de vente via le financement des équipements «front office» (comptoir, présentoir, etc.) à hauteur d’un plafond de 23.000 dirhams. Les boulangers ont également bénéficié, via ce programme, d’une formation au profit de leurs vendeurs. 
40% de ces commerces sont localisés dans les provinces du Sud. L’État aura donc misé en tout plus de 21 millions de dirhams au profit de la profession à travers ce dispositif. 
Le cabinet indique, en outre, que le programme Imtiaz est «un échec». Motif, il n’est pas «forcément» adapté à la problématique de la mise à niveau de l’appareil productif du secteur. 

Un chiffre d'affaires en baisse pour la moitié des professionnels
Les matières premières pèsent lourd dans les charges des boulangers, surtout avec l’envolée des cours. Conséquence : le chiffre d’affaires est en baisse pour plus de 50% des professionnels interrogés. En effet, l’augmentation des prix des matières premières tient la corde des difficultés perçues par 78% des boulangeries modernes et 73% des unités traditionnelles. La répartition des charges montre que la part des matières premières avoisine les 25% pour un quintal de farine transformée. Cette proportion augmente avec le volume des matières premières transformées pour se stabiliser autour des 50%. Selon Bfive Consulting, le secteur affiche un résultat net moyen, pénalisé donc par le poids du poste matières premières. Ce n’est pas le cas des boulangeries traditionnelles qui dégagent une rentabilité importante grâce évidemment aux frais généraux et aux niveaux de salaires jugés moins importants (la part liée aux frais généraux frôle les 15% chez les boulangeries modernes contre 13,8% chez les traditionnelles). La comparaison avec le cas français met en évidence l'existence d'une marge de progression en agissant notamment sur la politique d’approvisionnement (négociations avec les fournisseurs, initiatives de regroupement, etc.) ainsi que sur le process de production à travers une réduction des gaspillages et des pertes entre les différents jalons de fabrication. Par ailleurs, les frais généraux absorbent près de 15% du chiffre d’affaires des boulangeries. Ce qui, en comparaison avec la France, montre une assez bonne maîtrise de ces frais. Les charges salariales, elles, pèsent pour 27% du chiffre d’affaires, soit un niveau légèrement inférieur à celui enregistré dans l’Hexagone. Autre indicateur : la part liée à l’investissement. Celle-ci est estimée à 1,7% chez les boulangers marocains, contre 4,5% en France. Ce qui met en évidence une relative frilosité en termes d’investissement qui peut être soit «culturelle», soit liée à des barrières à l’entrée au niveau des bailleurs de fonds. D’ailleurs, précise l’étude, les patrons boulangers font peu appel aux financements externes tant pour leur cycle d’exploitation que pour l’investissement. En effet, les fonds propres constituent la principale source de financement de l’investissement de départ pour 95% des boulangers.    

Le poids du pain 20% inférieur à la réglementation
Bien qu'aucun texte n'abroge le décret instituant le poids légal du pain de base (200 g), le poids constaté sur le terrain est en moyenne inférieur de 20%. Une manière pour des professionnels de réagir au statu quo maintenu sur les prix en dépit de fortes revendications. En effet, dans la pratique, le poids du pain de base relevé oscille autour de 165 grammes. Selon les conclusions de l’étude, en l’absence de plafonnement des prix du pain de base, un poids de 180 ou 160 g aurait pu conduire à une variation théorique du prix de vente de plus de 11%. Précision importante : pour une transformation journalière de 3 quintaux de farine, le seuil de rentabilité du pain de base se situe autour d’un poids de 162 g. L’analyse de Bfive Consulting fait ressortir par ailleurs que pour 3 quintaux de farine de luxe transformés, le coût de revient du pain de base est de 1,18 dirham. À coût constant de matières premières, un plafond de 365 DH le quintal de farine de luxe permet de maintenir le coût de revient unitaire du pain de base en dessous de 1,20 DH. En revanche, une variation de 2% des prix des matières premières impacterait le coût de revient de 1 centime, soit 2 fois plus que pour les charges salariales. L’analyse montre aussi que le maintien du prix de la farine de luxe à 350 DH/Qt pourrait contenir le coût de revient du pain de base en dessous des 1,20 DH et ainsi favoriser une transition en douceur avant une pleine libéralisation éventuelle du marché. «Le maintien du prix du pain de base a été rendu possible par le système de restitution aux minotiers pour contenir le prix de la farine de luxe autour de 350 DH/Q et en cela l’engagement de l’État autour de la réduction des coûts de production a été tenu», affirme l’étude. La diversification des produits ainsi que la maîtrise des charges salariales ressortent comme des leviers clés d’amélioration de la rentabilité, tandis que la différenciation par le prix aurait tendance à dégrader la rentabilité. Pour rappel, la farine de luxe est le principal ingrédient du pain de base (80%). Un des points de contestation des professionnels est que cette subvention, destinée à priori pour maintenir le prix du pain à 1,20 DH, ne profiterait pas uniquement aux boulangers mais également aux industriels.   


Une réglementation «générique» et «anachronique» 

Le cadre normatif et réglementaire régissant le secteur est jugé vieillissant. Parmi ses insuffisances : absence d’une nomenclature spécifique à la profession de boulanger et zones de flou qui entourent certains articles des textes de loi. Selon les conclusions de Bfive Consulting, l’attention des pouvoirs publics s’est historiquement davantage portée sur le pain pour ce qu’il incarne que sur le lieu privilégié de production et de vente : la boulangerie. Cela transparait à travers notamment l’absence de réglementations élémentaires et d’une définition officielle de ce que recoupe l’appellation «Boulangerie». À cela s’ajoute l’inexistence d’un cahier des charges spécifiant les pré-requis relatifs aux locaux, équipements et autres (agencement des pièces, règle d’hygiène, etc.). L’étude relève par ailleurs que l’absence d’opposabilité est de manière générale mal perçue et génère du coup de la frilosité de la part d’institutionnels telles que les banques ou les assurances. Résultat : cette situation prive les autorités locales de moyens pour faire respecter sur le terrain des pré-requis et pratiques harmonisés applicables à tous, notamment aux nouveaux entrants.  «Les réglementations vieillissantes ne correspondent plus à la réalité du marché comme par exemple l’absence du sucre dans le texte figeant la composition du pain. Ce dernier date d’ailleurs de 1914», précise le cabinet. Le tout assorti d’une ambiguïté sur des aspects réglementaires spécifiques. En effet, bien que censé être libre, le contrat-programme plafonne, à durée déterminée, le prix du pain de base à 1,20 DH. Ce dernier est régi par Décret depuis 1975, mais les remontées terrain mettent en évidence que ce référentiel est quasi systématiquement ignoré, notamment pour le pain de base.

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