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«Le Maroc est un partenaire incontournable dans la région, aussi bien pour la Pologne que pour l’UE»

Dans un entretien accordé au «Matin» à l’occasion de la célébration du centenaire de l’indépendance de son pays, l’ambassadeur de la Pologne au Maroc, Marek Ziolkowski, revient en détail sur la qualité des relations politiques entre Rabat et Varsovie et les perspectives de partenariat qui s’offrent aux deux pays dans les domaines économique, commercial et universitaire. Le diplomate polonais ne manque pas de relever par la même occasion l’importance de l’action du Royaume sur les plans régional et continental.

«Le Maroc est un partenaire incontournable dans la région, aussi bien  pour la Pologne que pour l’UE»
Ph. Saouri

Le Matin : La Pologne célèbre le centenaire de l’indépendance, qu’est-ce que cela signifie pour vous et pour votre pays ?
Marek Ziolkowski :
Pour la Pologne, l’indépendance de l’État et de la Nation sont inestimables. Car ce n’est que quand on perd quelque chose qu’on en apprécie la valeur réelle. Le 11 novembre 2018, nous célébrons le centenaire du recouvrement de l’Indépendance par la Pologne. Cet anniversaire est donc particulièrement solennel cette année. Mais l’événement s'inscrit dans un contexte historique plus large, celui de l'émancipation des pays et des nations d'Europe centrale au cours du 20e siècle. Cette région, qui couvre un vaste territoire, est liée par un sort historique commun. Les premiers États indépendants apparurent au Moyen Âge, dès les IXe et Xe siècles. Ces pays étaient très puissants : la Pologne – la plus grande entre les 15e et 17e siècles – s’étendait sur un million de kilomètres carrés. Budapest, Cracovie et Prague étaient de vrais joyaux. C’était comme le Maroc du temps des Almohades. Plus tard, la situation s’est compliquée. Notre région était entourée, voire coincée, entre des empires encore plus puissants : les Empires ottoman, russe, autrichien et la Prusse. Pas à pas, tous les pays de la région furent envahis : d’abord les pays du Sud, puis l’État tchèque, ensuite la Hongrie, et enfin la Pologne. À l’époque du Congrès de Vienne, en 1815, tous ces États furent effacés de la carte. La Pologne a donc perdu son indépendance à la fin du 18e siècle lorsqu’elle fut partagée entre ses trois puissants voisins. Pendant 123 ans, nous ne pouvions que chanter le motif principal de notre hymne national «La Pologne n’a pas encore péri tant que nous sommes en vie.»  Comme d’autres pays de la région, elle a regagné son indépendance grâce à la Première Guerre mondiale, où par un vrai miracle, tous les voisins ennemis furent vaincus. Depuis, nous avons vécu d’autres moments difficiles – en particulier les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, puis la période communiste quand le rideau de fer nous a séparés du reste du continent. Les protestations contre le pouvoir communiste ont marqué notre histoire : en 1956, 1970 et finalement la naissance de «Solidarnosc» en 1980.
La Pologne, avec les autres pays de la région, a finalement regagné sa pleine souveraineté en 1989. La majorité d’entre eux sont aujourd’hui devenus membres de l’UE et de l’OTAN, ce qui leur a apporté la sécurité, mais aussi un développement économique plus rapide et un niveau de vie plus élevé. Nous sommes passés de 40 à 78% du PIB moyen européen par habitant. Aujourd’hui, le peuple polonais a donc deux raisons de se réjouir : d’avoir regagné sa liberté et de faire enfin partie de cette grande communauté des nations européennes.

Justement, quel est le poids de la Pologne aujourd’hui au sein de l’Union européenne ?
Être membre de l’UE nous offre beaucoup de nouvelles possibilités. Je crois que cela nous permet de ne pas penser uniquement à nos partenaires de cette partie de l’Est, mais aussi du côté des frontières du sud, de l’Europe occidentale… De ce point de vue, par le fait même que la Pologne est devenue membre de l’UE, ce sont les questions européennes, y compris toute cette question de la rive sud de la Méditerranée, qui sont devenues plus importantes. La Pologne est un pays assez éloigné sur la mer Baltique, mais, de plus en plus, les questions liées à la Méditerranée et la coopération entre l’Europe et l’Afrique sont désormais plus importantes.

Quelles sont les festivités que vous prévoyez au Maroc pour célébrer cette fête d’indépendance ?
Nous avons démarré par une semaine de la culture polonaise à Agadir, car les touristes polonais sont de plus en plus nombreux et aussi parce que la langue polonaise est enseignée à l’Université Ibn Zohr d’Agadir. Les étudiants ont d’ailleurs pris part à une dictée en polonais. Moi-même étant professeur universitaire, je m’intéresse aux échanges interuniversitaires. Nous avons deux groupes d’enseignement de la langue polonaise, à Agadir et à Rabat. Ce sont les premiers au Maghreb. Dans le courant du mois de novembre, j’anime personnellement diverses conférences à l’Université Ibn Zohr d’Agadir et à l’Université Mohammed V de Rabat. Nous avons également organisé des activités culturelles à Rabat, avec notamment un concert de Chopin qui aura lieu le 14 novembre et qui sera interprété par une pianiste polonaise de renom. Pour nous, l’événement le plus marquant sera la réception que nous organisons pour fêter ce centenaire. C’est important pour nous, en tant que mission diplomatique, de fêter cette date historique. Les événements les plus importants sont ceux organisés dans le cadre de l’action #likepolska par les Polonais à travers le monde entier, comme chanter l’hymne national le 11 novembre à midi ou publier des faits intéressants sur la Pologne. Nous encourageons d’ailleurs tous ceux qui aiment la Pologne à poster leurs publications sur les médias sociaux avec le hashtag #likepolska et partager avec nous ce qu’ils aiment à propos de la Pologne.

Vous êtes au Maroc où les relations entre les deux pays remontent à plus de 50 ans. Selon vous, quel est le bilan de ces relations ?
Aujourd’hui, la Pologne a d’excellentes relations bilatérales avec le Royaume du Maroc et notre coopération se développe dans tous les domaines. Je suis heureux de constater le rapprochement des relations interparlementaires, notamment grâce à la visite officielle en Pologne en octobre dernier du président de la Chambre des représentants du Royaume du Maroc, Son Excellence Monsieur Habib El Malki, à la tête d’une grande délégation parlementaire. Pour faciliter les contacts entre nos deux pays, nous continuons l’enseignement de la langue polonaise, pour la troisième année à Agadir et pour la deuxième année à Rabat. Ces cours suscitent l’intérêt de beaucoup d’étudiants. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à partir étudier en Pologne. Je compte ici sur le développement du système d’attribution de bourses. Malgré l’éloignement, le Maroc est un partenaire de coopération indispensable et incontournable de la région, aussi bien pour la Pologne que pour l’UE tout entière, surtout dans les domaines de la migration, de la sécurité, de la lutte contre le radicalisme, du dialogue interculturel et interreligieux.

Comment le renforcement des relations parlementaires peut-il être utile au rapprochement des deux pays ?
Cela va développer les relations politiques. Nos ministres des Affaires étrangères se sont récemment rencontrés à New York, mais il faut prévoir une visite bilatérale. Le Maroc joue aussi un rôle important dans la bataille pour le climat. Pour moi, le plus grand événement c’était la conférence de la COP 22 à Marrakech. Au cours de cette conférence, notre ministre de l’environnement a proposé que ce soit la Pologne qui abrite la COP 24. Celle-ci doit démarrer au mois de décembre prochain à Katowice, au sud de la Pologne. Nous y attendons d’ailleurs une délégation marocaine de très haut niveau. Ce sera la quatrième fois que la Pologne organise la COP et, à l’initiative de la Pologne et de la France, nous avons créé le Conseil des anciens présidents des COP, dont M. Salaheddine Mezouar est membre.

Justement, comment les relations exemplaires sur le plan politique se traduisent-elles sur le plan économique ?
Il y a d’énormes possibilités pour développer ces échanges. Nous avons récemment rouvert un bureau commercial à Casablanca, qui est une représentation de l’Agence polonaise des investissements et du commerce (PAIH). Ce nouveau bureau va permettre de relancer ces échanges. Le niveau des échanges commerciaux est assez bon, mais il peut se développer davantage, surtout dans le secteur du transport, de l’ameublement, de l’énergie et aussi de l’agriculture. Dans le domaine du tourisme, la destination Maroc est de plus en plus prisée par les Polonais. Nous avons constaté une hausse de plus de 70% de touristes polonais au Maroc cette année, leur nombre pourrait atteindre les 80.000 à fin 2018. Le lancement du nouveau vol direct Varsovie-Marrakech le 31 octobre dernier y contribuera certainement davantage. Marrakech et Agadir restent les destinations les plus prisées. Certes, il reste beaucoup à faire. Notre premier partenaire commercial est l’Allemagne qui représente à elle seule 27% de nos échanges, et l’UE dans son ensemble plus de 80%. Or l’Afrique, tout entière, ne dépasse pas 1% du commerce extérieur et le Maroc représente notre troisième partenaire économique en Afrique. Il y a donc d’énormes possibilités pour que la coopération se développe davantage. D’ailleurs, notre gouvernement projette de s’ouvrir encore plus sur l’Afrique et l’Asie.

Quelles sont les niches qui pourraient intéresser les investisseurs polonais au Maroc ?
Cela concerne surtout l’investissement dans les moyens de transport, car nous avons des sociétés de construction de trains, des tramways. Outre les tramways de Rabat et de Casablanca, il pourrait y en avoir aussi dans d’autres villes du Maroc, comme Oujda. Les investisseurs polonais sont prêts à venir, mais il faudra entamer des négociations. Je pense que l’ouverture du bureau commercial à Casablanca peut y contribuer. Par ailleurs, je dois dire que je suis ébloui par la rapidité des investissements dans l’infrastructure au Maroc et je suis persuadé qu’il y a beaucoup d’expériences à échanger dans ce domaine. La Pologne aussi est un vaste chantier. Parmi les autres niches d’investissement, il y a le secteur de l’énergie, dont les énergies renouvelables, la coopération dans l’industrie liée à l’écologie et au climat. On peut aussi échanger nos expériences dans le domaine minier – car le Maroc comme la Pologne a des mines fermées –, on peut échanger à ce niveau. D’autre part, nous observons une mobilité croissante des étudiants. Nous avons pour but de dynamiser les échanges interuniversitaires. Après les universités d’Agadir et de Rabat, nous sommes en contact avec l’Université euro-méditerranéenne de Fès. Je crois que ces échanges constituent un bon début pour bâtir des relations de confiance afin de promouvoir et développer par la suite des relations économiques et commerciales.

Le Maroc est bien implanté en Afrique. Quel rôle peut-il jouer pour accompagner la Pologne dans le marché africain ?
Pour nous, le Maroc est un partenaire économique important, mais aussi une plateforme qui s’ouvre sur toute l’Afrique francophone, surtout après le retour du Royaume au sein de l’Union africaine. Le Maroc représente toute l’Afrique, mais tout particulièrement cette partie occidentale francophone où il est très présent dans les secteurs des télécommunications, des assurances, des services bancaires… Le Maroc se trouve entre l’Europe et l’Afrique et représente un bon intermédiaire et une plateforme d’échange et de contact idéale.

Existe-t-il des projets de coopération en train d’être préparés entre le Maroc et la Pologne ?
Nous attendons d’abord la visite de responsables de très haut niveau en Pologne. Des invitations ont été envoyées et des confirmations acquises. Il y aura également des visites bilatérales, d’abord celle de notre ministre des Affaires étrangères qui va se rendre prochainement au Maroc. 
En dehors des relations parlementaires qui sont excellentes, il y a aussi des discussions pour se pencher sur une coopération décentralisée entre les régions. Il y a des jumelages entres les villes et les régions, mais ceux-ci ont besoin d’être non seulement développés, mais aussi d’avoir un suivi. La coopération doit se faire non seulement entre les gouvernements et les régions, mais aussi entre les gens, sur le plan universitaire, etc. Ce sont donc autant d’initiatives qu’on peut prendre à différents niveaux. 

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