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Quand les mauvais instruments conduisent aux mauvaises décisions

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Quand les mauvais instruments conduisent  aux mauvaises décisions
Le respect des équilibres macroéconomiques n’est que l’accessoire qui ne saurait remplacer l’essentiel, à savoir la croissance créatrice de richesses.

À chaque sortie d’un responsable politique, on peut deviner aisément la substance de son discours quand il présente son bilan économique. Et en la matière, les critères d’évaluation de la performance de notre économie n’ont pas évolué d’un iota depuis le Programme d’ajustement structurel (PAS) en 1983. La maîtrise de l’inflation et le contrôle du déficit budgétaire et donc de l’endettement figurent en tête d’affiche de ces indicateurs. Mais, après 35 ans de PAS, la maîtrise des comptes publics ne tient qu’à la réduction des dépenses (avec toutes les conséquences sociales d’une telle politique) et non à la progression des recettes ; et notre endettement est en constante expansion. D’autre part, notre croissance est inférieure à 3% et nous avons 1,2 million de Marocains sans emploi. Il est peut-être temps de changer de logiciel, non ?

Un débat faussé dès le départ…

La politique économique dite d’Industrialisation par substitution aux importations menée par le Maroc dans les années 1960 et 1970 a connu un échec retentissant aussi bien en termes de retard de développement que d’endettement et d’insolvabilité. Cette politique consiste, pour rappel, à protéger l’économie nationale par des barrières tarifaires et non tarifaires pour lui permettre de produire localement ce qu’elle importait. 

En 1983, le Royaume fut contraint de demander à ses créanciers internationaux le rééchelonnement de sa dette, sous le poids de performances économiques médiocres accentuées par plusieurs années de sécheresse. La contrepartie fut le douloureux PAS et l’ouverture progressive du Royaume à l’économie mondiale. Ce tournant néolibéral a affecté profondément le logiciel de fonctionnement de nos responsables économiques. 

Depuis, ils ne présentent la performance économique de ce pays qu’à l’aune du respect des équilibres macroéconomiques, nommément le contrôle du déficit budgétaire (rapporté au PIB) et la maîtrise de l’inflation. Ceci nous vaut d’être régulièrement félicités par les institutions financières internationales et même citées en modèle en la matière.  Sauf qu’avec ces critères, désormais dans nos gênes, cela fait 35 ans que nous n’arrivons pas à décoller économiquement, là où des pays au même niveau de revenu par habitant au début des années 1980 nous dépassent de loin aujourd’hui. Nos responsables nous donnent, toutes proportions gardées, l’exemple d’un dirigeant d’entreprise qui, à force de ne faire que du contrôle des coûts, passe à côté de la vraie performance pour son entreprise, à savoir la croissance rentable. Mais, au risque d’enfoncer des portes ouvertes à coup de rappel d’évidences, la performance d’une économie et d’abord dans la taille de sa production et dans son niveau de revenu par habitant. Le respect des équilibres macroéconomiques n’est que l’accessoire qui ne saurait remplacer l’essentiel, à savoir la croissance créatrice de richesses. Or tout se passe comme si cette croissance faisait peur à nos responsables dès 

lors qu’elle pourrait se traduire par un déséquilibre économique même momentané. 

… qui cache les vrais enjeux de notre économie

La véritable performance d’une économie peut se résumer, toutes choses étant égales par ailleurs, à deux questions : Que produisons-nous et combien en produisons-nous, compte tenu de notre dotation factorielle (ressources naturelles et humaines) ? Comment répartissons-nous ensuite les fruits de cette production ? Au lieu de répondre à ces deux questions essentielles, on préfère se perdre dans des débats subsidiaires, tels que le taux d’inflation ou encore le déficit budgétaire qu’il faut réduire vaille que vaille. Or, paradoxalement, dans une phase de décollage et donc de surchauffe de l’économie, ces deux indicateurs (inflation et déficit budgétaire) ont souvent tendance à s’envoler avant de revenir à des niveaux acceptables en phase de transition vers une économie pleinement développée. Au Maroc, nous avons la chance d’être extrêmement bien dotés aussi bien en ressources naturelles (terres fertiles, deux mers, certaines matières premières abondantes, climat modéré et position géographique stratégique proche du marché le plus riche de l’histoire) qu’en ressources humaines (population jeune et globalement sans problèmes). Mais ce sont nos politiques économiques qui ont échoué systématiquement à transformer ces atouts, dont beaucoup de pays pourtant développés sont privés, en capital matériel et immatériel. L’histoire économique nous apprend qu’aucun pays ne s’est développé, en ayant comme seul souci la préservation des équilibres macroéconomiques. Les pays se développent en mettant en place des stratégies industrielles visant d’abord la croissance de leurs productions intérieures. Si cela ne se traduit pas par des déséquilibres macroéconomiques (ce qui est très rare en phase de décollage), c’est tant mieux. Sinon, la priorité est clairement donnée à la croissance. 

Une fois le processus de développement achevé (les économistes de la Banque Mondiale situent cela à un revenu par tête d’habitant qui dépasse 12.000 dollars par an), on peut à ce moment-là commencer à se soucier de la «cerise sur le gâteau» de la préservation des équilibres macroéconomiques. Mais quand on est un pays à revenu par habitant de 3.100 dollars par an, on a encore du chemin à faire et nos défis économiques doivent être d’une tout autre nature que la présentation à nos créanciers de comptes comptables en ordre. 

Notre pays doit, partant de ses dotations naturelles et humaines, mettre sur pied un appareil de production moderne et conquérant. 

Ce dernier doit s’appuyer sur des capitaux humain, institutionnel et social profondément réformés pour faire face aux impératifs de développement. En se posant les bonnes questions, on conduit les bonnes politiques, mais si dès le départ on est sur une fausse route, il faut un miracle pour arriver à la bonne destination. 

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