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Dans la peau d’un entrepreneur : Ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air

Par Nabil Adel Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Dans la peau d’un entrepreneur : Ce n’est pas  aussi facile que ça en a l’air
L’un des premiers soucis des chefs d’entreprises, et plus particulièrement les TPE et les PME, est de sécuriser un carnet de commandes sur une période suffisamment longue.

Le moins que l’on puisse dire est que l’entreprise marocaine focalise toutes les contradictions de notre société. Elle doit créer de la valeur ajoutée pour la croissance économique du pays, procurer des emplois aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail, payer des impôts pour financer les dépenses publiques et drainer des devises pour payer les importations. Et quand elle réussit ce challenge dans un environnement des plus durs, ses propriétaires deviennent de «méchants» capitalistes vivant sur le dos des salariés et ne s’acquittant pas de leurs obligations vis-à-vis de la communauté.  

Carnet de commandes 
L’un des premiers soucis des chefs d’entreprises, et plus particulièrement les TPE et les PME, est de sécuriser un carnet de commandes sur une période suffisamment longue pour couvrir le maximum de mois dans l’année. Face à une rude concurrence notamment étrangère et à la versatilité des clients, beaucoup d’entreprises sont forcées de réduire leurs prix de vente pour ne pas voir les marchandises remplir les entrepôts de stockage. Elles le font, en grattant sur leurs marges, et parfois même, en vendant à perte, juste pour maintenir une rotation raisonnable de leurs investissements, en espérant se rattraper ultérieurement. Sauf que quand cette situation se prolonge pendant plusieurs mois, les entreprises, surtout celles qui ne sont pas suffisamment capitalisées, doivent mettre la clé sous la porte. En fait, le remplissage des carnets de commandes dépend tout autant de la compétitivité de l’entreprise que de la conjoncture économique en général. Or, cette dernière ne dépend pas du talent du chef de l’entreprise, mais des choix politiques des gouvernements qu’il porte lui-même au pouvoir.
Charges fixes 
Les charges fixes sont l’ennemi juré de l’entreprise, surtout en période de baisse d’activité. Dans beaucoup de cas, les propriétaires financent de leurs propres capitaux le maintien d’un certain niveau de structure, en attendant des jours meilleurs. 
L’ajustement de ce type de charges (loyers, salaires, amortissements, etc.) étant difficile à court terme, seule une perspective de reprise de l’activité, qui dépend de la conjoncture économique, les rend supportables. Mais au-delà d’un certain délai (déterminé par l’attrait du couple produit /marché de l’entreprise, par sa surface financière et par la solidité des nerfs de l’entrepreneur), toute attente devient suicidaire pour l’organisation et des actions de downsizing s’avèrent inévitables. En période de baisse de régime, les fins de mois sont les périodes les plus redoutées par le chef d’entreprise.

Recouvrement des créances
En ces temps de crise, le recouvrement des créances devient l’exercice qui consomme le plus de temps et de ressources aux entreprises. En effet, les difficultés de trésorerie que connaissent les entreprises résultent essentiellement du manque de liquidités caractéristique de toute économie en temps de crise. 
La contraction de la demande réduit la circulation monétaire dans l’économie et agit, par voie de conséquence, négativement sur les trésoreries, surtout quand l’État, premier investisseur, amplifie le phénomène en allongeant ses délais de paiement. Toutefois, si les éléments macroéconomiques résument les difficultés financières à court terme que rencontrent certaines entreprises, ils ne sauraient, à eux seuls, tout expliquer. Loin s’en faut ! La crise a cela de bien, c’est qu’elle révèle les dysfonctionnements internes que les dirigeants ne voient pas en période de relance économique, où les marges sont confortables et les soldes bancaires au vert. 
En temps de crise, les chefs d’entreprise doivent agir sur deux leviers pour oxygéner leurs trésoreries. D’abord, une meilleure maîtrise des coûts de production et une chasse aux gaspillages dans les frais généraux. Ensuite, une bonne prise en main de la durée du cycle d’exploitation, car c’est la racine du mal, en termes de trésorerie. De l’approvisionnement, en passant par la chaîne production, l’organisation du stockage, les circuits vente et l’encaissement des factures, toutes les tâches doivent être passées au peigne fin. Car, on ne le répétera jamais assez, «la valeur n’est pas dans le produit, mais dans le process».

Pression fiscale et sociale 
Les données sur la collecte d’impôts dans ce pays montrent toujours la même réalité, à savoir une base qui peine à s’élargir et des taux marginaux d’imposition élevés. Paradoxalement, la foudre des contrôles fiscaux s’abat toujours sur les entreprises qui constituent cette base, car visibles dans les radars ; les autres, hors écrans de la DGI, peuvent passer des décennies sans payer un centime d’impôts. D’où un sentiment d’iniquité fiscale, surtout quand l’impôt devient spoliateur et dont doit s’acquitter l’entreprise même en cas de pertes. Ainsi, en instaurant une batterie d’impôts aussi ridicules qu’injustes (cotisation minimale, impôt sur les revenus fonciers calculé sur le prix de vente, droits d’enregistrement, etc.), on consacre ce sentiment. Un autre monstre que redoutent les entreprises, c’est la présomption de mauvaise foi du contribuable que l’on peut constater dans n’importe quel contrôle ou redressement. 
En effet, une erreur commise de bonne foi par un comptable ou un retard de déclaration sont si sévèrement sanctionnés par le législateur, que beaucoup d’entreprises préfèrent basculer dans l’informel. Elles optent pour la clandestinité non seulement pour payer moins d’impôts, mais pour éviter la lourdeur de la machine bureaucratique, face à laquelle, ils n’ont ni les ressources financières, ni les compétences humaines idoines. Dans sa quête légitime de renflouer les caisses de l’État en proie à un déficit budgétaire chronique, la DGI installe un climat de méfiance avec les contribuables qui payent déjà leurs impôts et finira par tuer la poule aux œufs d’or. Ce qui est vrai pour les impôts l’est également pour la CNSS.
Si la fortune de certains chefs d’entreprises fait beaucoup d’envieux, l’écrasante majorité d’entre eux ont à peine le même niveau de vie que des salariés bien payés, sans la régularité du salaire et la protection du Code du travail. Dans bien des cas, on préfère se réveiller salarié que patron. 

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