C’est l’attentisme. Deux ans après l’achèvement de son contrat-programme (2011-2016), Royal Air Maroc (RAM) attend toujours une réponse du gouvernement pour un nouveau cadre contractuel. Fin 2016, le top management du transporteur aérien national avait soumis au gouvernement un plan de développement jugé ambitieux, censé assurer la consolidation des réalisations du 1er contrat-programme et accélérer l’ambition de la compagnie de faire de Casablanca un véritable hub régional et continental. Le nouveau contrat-programme proposé par RAM est actuellement dans les tiroirs du gouvernement et ne semble pas être une priorité pour ce dernier. La preuve, jeudi 8 novembre au Parlement, lors d'une réunion de la commission sectorielle chargée du tourisme et du transport aérien qui a discuté du projet de loi de Finances 2019, à aucun moment RAM ou son 2e contrat-programme n’ont été évoqués ni par Mohamed Sajid, ministre du Tourisme, du Transport aérien, de l'Artisanat et de l'Économie sociale, ni par les parlementaires, nous assure une source présente sur place. En revanche, Sajid a promis, lors de cette réunion, une hausse du budget accordé à l’Office national marocain du tourisme (ONMT) destiné à subventionner les compagnies aériennes notamment low-cost. L’objectif est de renforcer les liaisons aériennes entre le Maroc et les pays émetteurs de touristes.
L’État interpelle la RAM sur le financement du nouveau plan
Pourtant, dans le rapport sur les établissements et entreprises publics accompagnant le projet de loi de Finances 2019, le gouvernement loue les réalisations de RAM et mentionne le nouveau contrat-programme, «dont la signature est envisagée», selon le document, sans révéler d'échéance. «La RAM a déployé des actions d’accélération qui ont permis d’améliorer ses principaux indicateurs en 2017. Le chiffre d’affaires s’est élevé à 15,86 milliards de dirhams, en hausse de 9%. La dette globale s’élève au 31 octobre 2017 à 7,96 milliards de dirhams avec un ratio d’endettement de 2,45, soit mieux que celui de 2016 (2,6) et 2015 (2,87)», lit-on dans le rapport. Toutefois, le gouvernement interpelle Royal Air Maroc pour «mettre en place, en coordination avec ses partenaires, des solutions innovantes afin de sécuriser le financement de son nouveau plan de développement en assurant une croissance optimale de la compagnie, et ce, à travers des ressources en quasi-capital (obligations perpétuelles) ou l'ouverture à des partenariats avec des opérateurs stratégiques», détaille le rapport (www.lematin.ma). Est-ce alors le volet financement qui bloquerait la sortie de ce nouveau plan ? À en croire donc l’Exécutif, la balle est dans le camp de RAM. Elle devra lui proposer des solutions innovantes de financement, puisque le nouveau plan mobiliserait des dizaines de milliards de dirhams, surtout lorsque l’on sait que la compagnie ambitionne d’atteindre une flotte de 120 à 150 appareils d’ici 2030, contre 56 actuellement. RAM pourrait ainsi opter pour des crédits flexibles mais à des taux élevés, où elle ne paierait que les intérêts les 10 premières années pour ensuite rembourser le capital, soit en totalité soit sur plusieurs échéances. La compagnie pourrait également opérer une ou plusieurs augmentations de capital ou ouvrir son capital. Le nom de Qatar Airways en tant que futur partenaire stratégique de RAM avait été évoqué il y a déjà plusieurs années. Qu’en est-il exactement ? «Je ne pense pas que l’État céderait des parts de RAM à un partenaire externe, déjà la compagnie ne figure pas sur la dernière liste des privatisables. De plus, elle a une mission publique, citoyenne de développement touristique et socio-économique du pays. L’option la plus probable serait une intervention directe de l’État», nous confie un expert des entreprises publiques. Si l’État interpelle le transporteur national sur le volet financement, notre expert se dit étonné, puisque «c’est au gouvernement de décider sur ce genre de questions stratégiques, vu que RAM est une entreprise publique et que son management a déjà émis ses propositions. Le gouvernement n’a ni validé, ni amendé ce plan qui traîne depuis 2 ans. Un silence radio gouvernemental qui risque de porter préjudice non seulement à la compagnie mais également au tourisme du pays», avance notre expert. Pour s'enquérir des raisons du retard du nouveau plan contractuel avec RAM, Le Matin-Eco a tenté de joindre Mohamed Sajid, ministre du Tourisme et du transport aérien. Mais ce dernier n’a pas répondu à nos multiples sollicitations, à l'heure où nous mettions sous presse.Le modèle turc en exemple
Selon nos informations, le plan de développement proposé par RAM s’inspire en grande partie de la stratégie de Turkish Airlines et apporterait plusieurs nouveautés par rapport au précédent. Royal Air Maroc y suggère de maintenir ou créer de nouvelles liaisons touristiques, même si ces dernières peuvent s’avérer déficitaires. Ce qui marque une rupture avec l’ancien contrat-programme, puisque RAM avait été amenée à ne maintenir que celles rentables. En tout, ce sont 21 lignes qui avaient été fermées entre 2011 et 2015, principalement pour des destinations européennes. Le nouveau plan devrait également traiter les principaux enjeux concernant notamment le financement du programme d’investissement de la RAM, la coordination entre les intervenants pour garantir une cohérence des stratégies sectorielles et une convergence des plans d’actions des différents opérateurs (département du Tourisme, régions, ONDA, ONMT…), la réalisation d’un hub régional, la formation des pilotes ainsi que des engagements pour l’amélioration de la qualité de service, la fiabilisation et la modernisation des dispositifs de pilotage et la maîtrise des coûts opérationnels. Ceci, tout en accélérant de manière substantielle la stratégie visant à positionner Casablanca en tant que véritable hub régional. Et ce, à travers le lancement de plusieurs lignes aériennes, notamment africaines, et l’acquisition de dizaines d’appareils pour atteindre plus de 120 dans un horizon de 12 ans. En attendant la signature du nouveau contrat-programme, RAM a déjà entamé la restructuration de son réseau en créant de nouvelles plages de connexion, en renforçant les fréquences et en ouvrant de nouvelles destinations, souligne le rapport sur les EEP. En termes de projections, RAM compte clôturer 2018 et 2019 sur un chiffre d’affaires respectif de 16,45 et 19,6 milliards de dirhams. Quant aux investissements, elle prévoit des engagements de 8,15 milliards de DH l'année prochaine, 583 millions en 2020 et 5,03 milliards en 2021.Premier contrat-programme : quel bilan ?
Si RAM réalise aujourd’hui ces performances, c’est principalement grâce au 1er contrat-programme, dont le bilan, réalisé par le cabinet d’audit et de conseil KPMG, est jugé positif. Une refonte du réseau a donc été entreprise avec un recentrage autour du hub, ce qui a renforcé la dimension internationale de Casablanca, devenue le 2e hub reliant l’Afrique à l’Europe après l’aéroport Charles de Gaulle. De même, une réduction considérable des coûts a été opérée grâce à la réduction des charges de fonctionnement, la fermeture de points de ventes, la professionnalisation des achats et l’optimisation de la consommation carburant. Ainsi, le poids des charges fixes est passé de 31% en 2011 à près de 26% en 2015. Les charges courantes ont baissé de 21% entre 2011 (206,14 millions DH) et 2015 (162,07 millions DH). De même, un budget global de 182 millions de DH a été alloué à l’amélioration des produits à bord (cabines, distractions à bord et produits) afin de maintenir la compétitivité de la compagnie. Sur certains points, RAM a fait mieux que les obligations du contrat-programme, comme pour les départs volontaires. 1.974 départs ont été enregistrés sur les 16 premiers mois du début du contrat, contre un objectif de 1.560 sur 3 ans. En parallèle, le contrat-programme a permis une rupture dans le système de gouvernance de la compagnie. Celle-ci a lancé plusieurs chantiers visant à améliorer sa gouvernance par le renforcement des fonctions de contrôle de gestion et de pilotage, grâce notamment à un dispositif de contrôle interne et de gouvernance des risques et un meilleur système d’information.
Sur le registre des vols domestiques destinés à désenclaver certaines régions, le contrat-programme prévoyait une contribution annuelle de 145 millions de dirhams. Cette subvention a été versée intégralement en 2011 uniquement et RAM n'a pas interrompu cette politique. Elle a lancé dès juin 2013 des conventions avec les régions, mais dont la signature et le recouvrement connaissent une véritable lenteur. En effet, l’ensemble des régions accusent des retards dans le paiement des subventions.