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Ricardo Diez Hochleitner, ambassadeur d'Espagne au Maroc : «Le développement constant des relations institutionnelles a aussi eu un impact sur le développement de nos relations économiques»

Ricardo Diez Hochleitner, ambassadeur d'Espagne au Maroc : «Le développement constant des relations institutionnelles a aussi eu un impact sur le développement de nos relations économiques»

Le Matin : Le 12 octobre, fête nationale de l'Espagne, mais également l'occasion de fêter El Día de la Hispanidad dans le monde. Qu'est-ce que ça représente pour vous ?
Ricardo Diez Hochleitner
: Chaque pays a son histoire qui est toujours marquée par des événements particulièrement déterminants pour l’identité de chaque Nation. Pour l’Espagne, le 12 octobre est une date clé de notre histoire, car elle appartient précisément à la période pendant laquelle s’est forgée l’unité dans la diversité qui caractérise notre pays. Cela a été réalisé à un moment où l’Espagne a réussi à faire son unité intérieure, mais également à un moment où le Royaume a mis en valeur et a matérialisé sa vocation universelle de présence et d’interconnexion avec d’autres continents.

Le Maroc est l'un des pays liés historiquement à l'Espagne. Comment voyez-vous l'évolution des relations bilatérales à travers le temps ?
Parler de l’évolution des relations entre les deux pays, c’est parler d’une très longue histoire particulièrement riche en relations humaines, culturelles, scientifique, etc. Je pense qu’il y a peu de pays dans le monde qui ont eu une histoire commune aussi longue et aussi intense que le Maroc et l’Espagne : huit siècles d’histoire commune pendant lesquels nous avons eu la capacité et la possibilité de nous établir, non seulement comme de bons voisins, mais comme deux pays liés par une multitude d’éléments qui appartiennent à notre identité et qui se traduisent non seulement dans des aspects aussi importants que l’architecture, la culture, mais même dans notre langue et notre façon de vivre.

Lors du discours prononcé à l'occasion de la cinquième édition du Congrès mondial des études sur le Moyen-Orient, le Roi Felipe VI d’Espagne a indiqué, je cite, «Les relations entre le Maroc et l'Espagne sont stratégiques, car nous sommes des voisins qui ont des préoccupations partagées et qui font face à des défis et menaces communs que nous pouvons transformer ensemble avec volonté et détermination en opportunités d’une coopération étroite». Quelle lecture faites-vous de ce message royal ?
D’abord merci de nous avoir rappelé le discours du S.M. le Roi Felipe VI à Séville le 17 juillet dernier, car je pense que ses paroles sont un résumé parfait de tout ce qui lie le Maroc et l’Espagne. Je remercie en effet S.M. le Roi d’avoir condensé dans cette phrase la réalité particulièrement dense et satisfaisante de l’évolution des relations entre nos deux pays. La reconnaissance du caractère prioritaire et privilégié de nos relations est d’ailleurs reprise dans les discours de tous les Chefs du gouvernement espagnols depuis des années, notamment dans le discours de M. Sanchez, l’actuel Président du gouvernement espagnol qui s’est référé au caractère «fondamental» du Maroc comme partenaire de l’Espagne. C’est aussi le cas des déclarations de notre ministre des Affaires étrangères, M. Borrell, ou de notre ministre de l’Intérieur, M. Grande-Marlaska. Ce caractère fondamental est une composante permanente de la définition de nos relations bilatérales qui se condense de façon très précise et simple dans l’expression «partenaires stratégiques» que nous sommes. Travailler ensemble entre l’Espagne et le Maroc n’est pas une option, mais chaque fois plus un besoin dans ce monde globalisé dans lequel nous vivons. Nous n’avons que des bénéfices à en tirer ! Ce n’est pas seulement la coopération dans le domaine sécuritaire ou même dans le contrôle du flux migratoire qui nous interpelle, mais d’autres domaines que nous devons encore approfondir comme la coopération économique, la coopération éducative ou encore la coopération culturelle.

La lutte contre la migration clandestine est l'un des dossiers qui préoccupent les deux pays. Quelle place stratégique ce sujet occupe-t-il dans l'agenda de travail bilatéral ?
La gestion du flux migratoire est un des volets fondamentaux de la coopération maroco-espagnole. Nous avons su bâtir durant les dix dernières années une coopération modélique dans ce domaine qui se base non seulement sur un respect mutuel et une confiance réciproque, mais aussi sur le partage de valeurs. Cela fait de la coopération maroco-espagnole en matière de gestion des flux migratoires et de la lutte contre la migration clandestine une référence, non seulement pour la région méditerranéenne, mais aussi au niveau international, comme cela a été reconnu dans plusieurs enceintes, comme le sommet de La Valette. Nous avons vu aussi dans le Maroc au cours de ces dernières années un partenaire essentiel en matière migratoire, par le biais de la politique mise en place par S.M. le Roi Mohammed VI, au service d’un pays qui n’est plus seulement un pays émetteur ou de transit des migrations, mais qui est devenu aussi un pays récepteur de migrants. Cette politique a été reconnue au niveau international. Ce n’est pas par hasard que S.M. le Roi Mohammed VI est le leader de la politique migratoire au sein de l’Union africaine. Ce n’est pas par hasard non plus que le Maroc a été choisi comme siège de deux grandes échéances internationales, «le Forum global» et «la Conférence pour le Pacte global des migrations», qui vont se tenir à Marrakech dans la première quinzaine de mois de décembre.
Je pense donc que nous avons ensemble, le Maroc et l’Espagne, toutes les bases nécessaires, une expérience, une maîtrise et des valeurs pour assurer la meilleure gestion du flux migratoire, sur la base d´une responsabilité partagée. Mais cela ne veut pas dire que nous n’avons pas en ce moment une pression qui grandit, résultant de l´activité des mafias de trafic des êtres humains, qui nous interpelle et qui demande des efforts immenses. Le Maroc déploie des efforts vraiment énormes pour faire face à cette pression migratoire clandestine, qui méritent, non seulement la reconnaissance, mais aussi le soutien financier que, j'en suis convaincu, l’Union européenne va être en mesure d´assurer.

L'excellence de la coopération économique entre les deux pays est aujourd'hui une constante, mais la volonté d'aller encore plus loin motive les responsables des deux rives. Quelles sont les priorités qu'ils se fixent dans ce sens ?
Notre relation bilatérale dispose d’un cadre politique d’entente, avec un point de départ fondamental d´amitié fraternelle qui lie nos deux Souverains, S.M. le Roi Mohammed VI et S.M. le Roi Felipe VI. De là découle une entente politique qui s’est développée et qui a permis une large coopération dans plusieurs volets. Cette coopération a son volet politique avec les Réunions de Haut Niveau ; son volet parlementaire avec les Forums parlementaires bilatéraux dont nous avons eu la quatrième édition en 2018 ; son volet gouvernemental par l’échange de plusieurs visites ministérielles. Depuis la dernière Fête nationale jusqu’à celle-ci, nous avons eu la visite au Maroc de six ministres et de quatre secrétaires d’État espagnols.
Ce développement constant des relations institutionnelles a eu aussi un impact dans le développement de nos relations économiques. Je pense que le tissu des relations économiques que nous avons bâti entre le Maroc et l’Espagne explique la plus grande interdépendance qui s’est établie entre nos deux pays. La logique du voisinage souligne cette interdépendance qui est la conséquence naturelle de la complémentarité qui existe entre nos deux économies, et aussi de la synergie des efforts qui se produisent entre l’Espagne et le Maroc, pour tirer les meilleurs bénéfices possible de la situation de nos deux pays dans un monde globalisé.
Dans le domaine économique, nous avons réussi à ce que l’Espagne soit devenue pour le Maroc son premier partenaire commercial, et que pour l’Espagne, le Maroc soit devenu notre deuxième partenaire commercial au niveau mondial en dehors de l’Union européenne, après les États-Unis. Nous sommes partis d’un volume d’échange économique aux alentours de 7 milliards d’euros en 2011 pour atteindre à 14,3 milliards d’euros en 2017. Cela veut dire que nous avons été capables de doubler nos échanges en un peu plus de six ans. Mais à cela, il faut ajouter l’intensité de ce développement et son caractère symétrique et équilibré. L’intensité, parce que cette croissance s´est produite des deux côtés avec des augmentations à deux chiffres. Nous avons augmenté nos exportations en parallèle, et cette croissance a atteint un niveau particulièrement élevé : le Maroc exporte vers l’Espagne 41% de toutes ses exportations vers l’Union européenne. Et du côté espagnol, 31,6% de tout ce qu’exporte l’Union européenne vers le Maroc vient de l’Espagne.
L’importance de ces chiffres n’est pas seulement dans l’intensité des échanges, mais dans l’équilibre qui s’est produit grâce à l’insertion de nos deux économies dans les chaines globales de valeur, en particulier dans les domaines de l’automobile, du textile ou du câblage électrique. Nous sommes passés d’un déséquilibre assez important avec un taux de couverture commerciale de 170% en faveur de l’Espagne en 2012, à un taux de couverture commerciale actuellement d´environ 130%. Nous sommes donc passés de la concurrence et la symétrie à l’équilibre et la complémentarité.
En matière d’investissement, il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’entreprises espagnoles installées au Maroc. L’Espagne est le troisième plus grand investisseur en termes de stock avec presque 4,4 milliards d’euros, mais il reste beaucoup à faire. Il y a des avancées qui sont constatées. Nous sommes présents dans la construction d’importantes plantes de dessalement à Agadir et à Al Hoceïma, un réseau important qui s’est établi de pompes à eaux à énergie photovoltaïque. Le Maroc est aussi de plus en plus pour l’Espagne une plateforme attrayante pour entrer en Afrique, comme le Maroc est aussi conscient des possibilités qu’offre l’Espagne pour entrer en Amérique latine.

Les relations culturelles entre le Maroc et l'Espagne ont pris une nouvelle dimension avec un agenda riche et varié. Quelles sont les grandes orientations pour ce secteur qui représente le socle de la relation historique entre nos deux pays ?
Je suis toujours très ambitieux en matière de culture. Il s’agit de stimuler la connaissance mutuelle entre Espagnols et Marocains, par le biais du trésor qui nous lie qui est la culture. La culture doit être le cœur de nos relations. Pour avancer dans cette direction, l’année dernière nous avons organisé une grande exposition de peinture espagnole au Musée Mohammed VI de Rabat sous le titre «De Goya à nos jours», mais nous ne restons pas dans l’auto complaisance et cherchons à continuer à avancer dans ce domaine. 
Nous avons par exemple lancé il y a une semaine avec le ministère de la Culture et de la communication au Maroc la deuxième édition du programme «Visages de la culture espagnole au Maroc», un programme de 100 activités dans 12 villes marocaines d’ici à décembre prochain. D´autre part, nous avons salué de façon particulière le dynamisme des activités de la Fondation des Trois Cultures dont le Patronage est assuré par nos deux Souverains, S.M. le Roi Mohammed VI et S.M. 
le Roi Felipe VI. 
Nous saluons aussi dans ce sens la volonté de meilleure diffusion en Espagne des trésors artistiques et culturels du Maroc que vont assurer les expositions qui sont en préparation pour être présentées à Madrid de 2019 à 2020 par la Fondation nationale des musées. En matière linguistique, l’intérêt qui existe pour la langue espagnole est soutenu par le réseau des centres de l'Institut Cervantès au Royaume avec une augmentation des inscriptions pour apprendre la langue espagnole d’environ 15% par rapport à l’année dernière. Nous devons également travailler dans l’éducation, il y a un intérêt croissant des deux côtés, d’étudiants marocains qui vivent en Espagne, et d’étudiants espagnols qui viennent au Maroc. Notre réseau éducatif de plus de dix écoles et lycées espagnols rassemble à peu près 5.000 étudiants, et plus de 5.000 étudiants marocains poursuivent leurs études supérieures en Espagne. Pour apprécier cette demande, l´année dernière nous avons célébré aussi «la Foire des Universités» espagnoles au Maroc avec plus de 20 universités qui sont venues à Casablanca, Tanger et Rabat. Un grand groupe éducatif espagnol, «Planeta», va ouvrir, dans les semaines qui suivent, les portes de deux établissements supérieurs à Rabat avec deux filières de formation : en tourisme et management et finances. En matière de tourisme, 2,6 millions de touristes espagnols sont venus au Maroc l’année dernière, ce qui nous place au deuxième rang. Mais il y a aussi une croissance de plus de 100% des touristes marocains en Espagne, avec 711.000 Marocains qui ont visité l'Espagne en 2017.
Nous avons donc déjà réussi un parcours important, mais il reste beaucoup à faire, car la multiplication des activités et des projets culturels, éducatifs et d´échanges touristiques favorisera une meilleure connaissance des Marocains et des Espagnols, ainsi qu’une plus forte conscience de notre proximité et du potentiel d'enrichissement mutuel, au bénéfice d’un meilleur futur de coopération entre nos deux Royaumes. 

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