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Amour, amitié et concorde entre les nations et les religions, un objectif commun

C’était la première fois qu’un Souverain, et de surcroit un Commandeur des croyants, rencontrait le Souverain pontife, ce qui a donné cette entrevue à dimension historique. À cette occasion, Feu S.M. Hassan II avait prononcé un discours dans lequel le Souverain a annoncé «Sa Sainteté est venue à Casablanca parce que telle a été sa volonté, rejoignant la nôtre, l’un et l’autre convergeant vers le même ordre, le même objectif : tisser et consolider les fils de l’amour, de l’amitié et de la concorde entre les nations et les religions… Notre espoir de cette rencontre est accompli : ainsi, à la face du monde, éclate cette vérité que lorsque la bonne foi dans le désir d’entente et de paix existe, rien ne peut plus séparer les ethnies et les religions révélées». Dans son allocution, le Pape avait évoqué deux points importants : les valeurs communes de la foi chrétienne et la foi musulmane et l’héritage commun des deux peuples en tant que descendants spirituels d’Abraham. Ce qui constitue un fondement solide pour un dialogue religieux serein et paisible.

Amour, amitié et concorde entre les nations et les religions, un objectif commun

Entretien avec Abdelmajid Benjelloun, professeur émérite de l’Université Mohammed V, écrivain et historien

«Des dahirs de plusieurs Sultans marocains incitaient les chefs des tribus au respect des religieux chrétiens»

Dans un entretien accordé au «Matin», Abdelmajid Benjelloun, professeur émérite de l’Université Mohammed V à Rabat, écrivain, et historien, revient notamment sur la relation qu’entretenaient les différents Sultans marocains avec l’Église catholique. Il rappelle à cet égard que depuis des siècles, les Souverains des différentes dynasties ont accordé aux chrétiens toutes les facilités pour exercer leur culte. Et de rappeler que le Pape Sylvestre II avait étudié à la Qarayouine. Abdelmajid Benjelloun évoque par ailleurs les moments forts de la visite du Pape Jean Paul II au Maroc ainsi que les messages qu’il a livrés devant plus de 80.000 jeunes à Casablanca en 1985.

Le Matin : Le Pape sera en visite au Maroc dans quelques jours. Quelle analyse vous inspire ce déplacement papal dans le pays d’Amir Al Mouminine ?
Abdelmajid Benjelloun :
Avant tout, ce voyage du Pape m’inspire honneur et fierté pour Sa Majesté le Roi, Amir Al Mouminine, et pour mon pays. Car il n’est pas le fruit du hasard, et ne relève absolument pas de la pure courtoisie diplomatique, mais montre très bien la place très importante qu’occupe le Maroc sur la scène internationale, sachant que le Pape n’est pas le Président d’un petit État enclavé à Rome. Il est aussi et surtout le chef spirituel de plus d’un milliard de catholiques de par le monde.
Un rappel s’impose ici : il fait suite au voyage au Maroc de Jean Paul II, en 1985, lequel avait été précédé par la visite de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II à ce même Pape, en 1980, soit la première du genre d’un Chef d’État musulman. Dans un esprit de continuité, S.M. le Roi 
Mohammed VI, que Dieu le glorifie, avait rencontré au Vatican, en 2000, Jean Paul II.
La venue au Maroc du Pape François s’inscrit souverainement dans le dialogue islamo-chrétien, surtout dans le cadre de ce que l’on appelle – à l’initiative du Pape Jean-Paul II – «les Rencontres d’Assise», ville de Saint François, soit un ensemble de réunions interreligieuses, initiées le 27 octobre 1986, puis en 1993, 2002 et 2011. Je pense tout particulièrement à la première du nom, où le Maroc était présent en la personne de Cheikh Mekki Naciri, notamment. Il faut également signaler que c’est «Vatican II» qui aura permis ce dialogue islamo-chrétien.
Je cite ici un document publié sur Internet : «Outre la reconnaissance de la liberté religieuse, le concile développe une vision positive de l’action du Dieu unique au cœur même des religions non chrétiennes, comme l’illustre notamment la déclaration Nostra Ætate. La déclaration a été adoptée le 15 octobre 1965. Elle rompt avec des siècles d’indifférence ou d’hostilité à l’égard des autres religions. La déclaration affirme que l’Église ne rejette rien de ce qui est “vrai et saint” dans les religions non chrétiennes et qu’elle respecte sincèrement les règles et les doctrines de ces religions qui “reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes”. Les religions nommément citées sont l’hindouisme, le bouddhisme, l’islam et le judaïsme».

Il y a 30 ans le Pape Jean-Paul II avait visité le Royaume et rencontré Feu S.M. le Roi Hassan II. En tant qu’historien, comment avez-vous suivi cette visite ? Quels souvenirs en gardez-vous ?
J’en garde un très beau souvenir, et même ébloui, et particulièrement lorsque le 19 août 1985 Feu Sa Majesté le Roi Hassan II et le Pape Jean-Paul II ont fait leur sensationnelle et magnifique entrée au Stade Mohammed V de Casablanca, empli alors de quelque 80.000 jeunes Marocains. Sur le moment, et même avec le recul, je ne peux que m’émerveiller encore de ce coup de génie, parmi de nombreux autres, de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II, consistant à faire rencontrer cette multitude de jeunes avec le Pape, en sa présence.
Ce que je retiens encore, en tant qu’historien, ce sont ces beaux passages du discours que le Pape a alors prononcé : «Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. Les uns et les autres, nous croyons en un Dieu, le Dieu unique, qui est toute Justice et toute Miséricorde ; nous croyons à l’importance de la prière, du jeûne et de l’aumône, de la pénitence et du pardon ; nous croyons que Dieu nous sera un Juge miséricordieux à la fin des temps et nous espérons qu’après la résurrection, il sera satisfait de nous et nous savons que nous serons satisfaits de lui».
Cette partie du discours fait pendant à ces versets coraniques, respectivement dans les sourates l’araignée et Al ‘Imrane : «Ne discute avec les gens du livre que de la manière la plus courtoise – sauf avec ceux qui sont injustes. Dites : “Nous croyons à ce qui est descendu vers nous et à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu qui est votre Dieu est unique et nous lui sommes soumis”. Dis-leur : “Vous qui avez reçu les Écritures ! Convenons d’adopter une ligne de conduite qui consiste pour nous à n’adorer qu’Allah, de ne rien lui associer et de ne pas nous prendre les uns les autres pour maîtres en dehors de Dieu”.»
Il va de soi que des différences fondamentales opposent de tout temps Islam et Christianisme, et notamment sur la nature du Christ et la trinité. 
Ce qui amène précisément Jean-Paul II dans son discours précité à indiquer ce qui suit : «La loyauté exige aussi que nous reconnaissions et respections nos différences. La plus fondamentale est évidemment le regard que nous portons sur la personne et l’œuvre de Jésus de Nazareth. Vous savez que, pour les chrétiens, ce Jésus les fait entrer dans une connaissance intime du mystère de Dieu et dans une communion filiale à ses dons, si bien qu’ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur. Ce sont là des différences importantes que nous pouvons accepter avec humilité et respect, dans la tolérance mutuelle ; il y a là un mystère sur lequel Dieu nous éclairera un jour, j’en suis certain». Ce qui est à mon sens une manière courtoise d’aborder ces différends importants.

Le voyage du Pape François est placé sous le signe de la tolérance et de la promotion du vivre ensemble. Pourriez-vous nous parler de l’Église catholique au Maroc, ses débuts et sa relation avec les différents Sultans marocains ?
De toutes les questions que vous me posez, c’est celle qui nécessite le plus de développements, dans la mesure où il faut passer en revue plus de mille ans d’histoire, pour y répondre ; mais je préciserais que déjà les Almohades ont autorisé des miliciens au service du Makhzen, et surtout des commerçants européens, et notamment pisans et génois, à pratiquer librement leur foi chrétienne.
Comme venant à ma rescousse, les «Archives du Maroc» ont la bonne idée, sous la direction sagace du Professeur Jamaâ Baïda, d’organiser la très belle exposition sur le thème : «Présence chrétienne au Maroc, le vivre ensemble» pendant la visite du Pape François au Maroc. Je relève de cette exposition les documents suivants, qui montrent l’intérêt que les Sultans du Maroc portaient aux chrétiens vivant sur son sol :
• Lettre du Calife Almohade Abou Hafs Al Murtada au Pape Innocent IV sollicitant l’envoi d’un prêtre en charge des chrétiens résidant au Maroc, datant de 1250.
• Dahir du Sultan Sidi Mohamed ben Moulay Ismaïl protégeant certains religieux et les autorisant à séjourner à Tétouan, datant de 1736.
• Dahir du Sultan Moulay Abdelmalek incitant les chefs des tribus au respect des religieux chrétiens, datant de 1728.
• Dahir du Sultan Moulay Ahmed ben Moulay Ismaïl accordant la libre circulation aux commerçants chrétiens, datant de 1727.
• Dahir du Sultan Zine el Abidine protégeant les religieux chrétiens à Tétouan, et leur assurant la libre circulation, datant de 1741.
• Dahir du Sultan Moulay Abdallah accordant aux religieux chrétiens de Meknès la liberté de circulation dans les ports du Royaume, datant de 1745.
Autrement, les relations internationales du Maroc avec l’Europe chrétienne ne se sont pas développées au plan exclusif – loin de là – de la religion, mais des intérêts nationaux. Ainsi, l’État marocain a combattu les puissances européennes ayant occupé certaines villes côtières, non pas parce qu’elles étaient chrétiennes, mais parce qu’elles spoliaient une partie du territoire du Maroc.
Du temps des Protectorats français et espagnol au Maroc, dans la première moitié du XXe siècle, des églises et des cathédrales ont été érigées au pays, dont certaines continuent d’exister, si ce n’est qu’un bon nombre, parmi surtout les églises, ont été abandonnées du fait qu’il n’y avait plus de chrétiens pour y pratiquer leur culte, la très grande majorité des Européens, et surtout des Français, étant partis en métropole, après l’indépendance.
Je saisis cette occasion pour avoir, dans mes recherches sur le patriotisme marocain, rencontré de très nombreux nationalistes et résistants, pour affirmer que tous les actes qu’ils ont commis, au titre de leur combat contre les colonisateurs, n’étaient nullement motivés par des considérations religieuses, mais uniquement politiques. Avant de clore ce registre de la présence chrétienne au Maroc, au travers des siècles, je voudrais rappeler ce fait : le Pape Sylvestre II a étudié à la Qarayouine.

Quelles seront d’après vous les retombées de cette visite papale sur le Maroc aux plans diplomatique et politique, et comment le Maroc peut-vil capitaliser dessus pour renforcer son aura et son rayonnement régional et continental ?
Elle témoigne de la manière la plus éclatante de l’esprit de tolérance qui marque si honorablement et notre pays et le Vatican, dans un monde qui est tant mutilé par la violence. Mon sentiment personnel est que le temps est venu pour les religions monothéistes de conclure, pour la paix universelle, une alliance historique, pour pacifier la société internationale. C’est une évidence, au plan diplomatique, et de celui de l’image du Maroc, qui est déjà par elle-même reluisante, cette visite papale ne peut qu’avoir des retombées positives. Il est clair que les visites de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II et de S.M. Le Roi Mohammed VI, que Dieu le glorifie, au Vatican, et celles des deux Papes Jean Paul II et François au Maroc, constituent des événements majeurs dans l’histoire du Maroc. 


Il y a 35 ans, le Pape Jean-Paul II visitait le Maroc

Août 1985, première visite du Pape Jean-Paul II au Maroc. La cérémonie d’accueil organisée au Complexe Mohammed V de Casablanca, en présence de plus de 80.000 personnes, reste sans aucun doute l’un des temps forts de cette visite restée gravée dans les mémoires. Dès sa décente d’avion et dans un geste d’une profonde humilité, le Pape Jean-Paul II s’est écarté du tapis rouge pour poser, à genoux, ses lèvres sur le sol marocain, marquant ainsi la portée historique de cette visite en terre d’Islam. Un autre signal fort, celui exprimé par le Souverain pontife à S.M. le Roi Hassan II. Il a ainsi écrit dans son message de gratitude : «En quittant le Maroc, je tiens à redire à Votre Majesté la vive gratitude pour Son accueil cordial. Je garde dans la mémoire du cœur, l’heureux souvenir de cette rencontre exceptionnelle avec votre jeunesse compatriote». 

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