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Aziz Talbi : «La transformation des clubs en SAS marque une nouvelle ère de l’histoire du football national»

Alors que la majorité des clubs des deux divisions ont reçu leur accréditation du ministère de la Jeunesse des sports pour le passage en Sociétés anonymes sportives, pour le commun des mortels, de nombreuses zones d’ombre subsistent sur cette transformation censée élever le football national au niveau professionnel. Invité de l’émission «Offside», le président de la commission de contrôle de gestion de la Fédération Royale marocaine de football, Aziz Talbi, explique et détaille en exclusivité les contours de cette transformation.

Aziz Talbi : «La transformation des clubs en SAS marque une nouvelle ère de l’histoire du football national»

Le Matin : Tout le monde aujourd’hui parle de la création par l’association sportive de la société anonyme sportive, mais peu de gens, y compris dans le monde du football, savent réellement de quoi il s’agit. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il est question exactement ?
Aziz Talbi :
La création de l’association sportive de la société anonyme sportive (SAS) est une obligation légale. La loi 30-09 relative à l’éducation physique et au sport, publiée en 2010, exige que les associations sportives qui remplissent un certain nombre de critères doivent créer des sociétés anonymes sportives pour la gestion des activités du sport professionnel. Cela concerne particulièrement le football, parce que la loi stipule qu’un club qui dispose de plus de 50% de licenciés professionnels a l’obligation de créer cette société anonyme sportive. En cas de refus, la Fédération doit lui l’interdire de participer aux compétitions, conformément à l’article 17 de la loi 30-09.

Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que les associations de football professionnel répondent ces critères ?
L’ensemble des clubs de football professionnel (première et deuxième division) remplit ce critère, pour les autres disciplines, je ne sais pas. Les 32 clubs de première et deuxième division doivent donc créer ces sociétés anonymes sportives.

Quelles sont les étapes qu’une association doit franchir avant de créer la SAS ?
La question qui se pose est : pourquoi la loi 30-09, qui date de 2010, commence à être implémentée seulement maintenant ? Parce qu’il fallait un texte d’application important, un arrêté du ministre de la Jeunesse et des sports qui édicte les statuts types de l’association sportive. Ce texte n’a été publié qu’en mai 2016. La Fédération de football a engagé ce processus depuis 2016. Elle n’a pas attendu 2019 pour engager ce processus. Pour revenir à votre question, la première étape consiste à ce que toutes les associations mettent leurs anciens statuts en harmonie avec les statuts types édictés par le ministère. Les premières associations qui ont rempli ce critère sont celles qui ont relativement plus de ressources. Cette première étape a été franchie. On peut dire qu’elle est derrière nous. Une fois les projets de statuts adoptés par les comités directeurs des clubs, ils sont adressés au ministère pour approbation. Après l’approbation des statuts, l’association est agréée. La deuxième étape : une fois que l’association sportive a mis en harmonie ses statuts, elle va créer l’association sportive anonyme dans laquelle elle doit détenir au moins 30% du capital social. Pour l’association, il y a des statuts types édictés par le règlement, mais pour la société sportive il n’y a pas de statut type. C’est la Fédération de football qui a élaboré un modèle de statut partagé avec l’ensemble des clubs et qui est aujourd’hui le document de référence sur lequel ont travaillé toutes les sociétés sportives.

Est-ce qu’on peut dire que finalement il ne reste plus aux associations de football qu’à passer à l’action et créer les sociétés sportives ?
C’est pratiquement ça. Une fois que le ministère approuve les statuts des sociétés déposés par les clubs, on passe à la phase classique de création d’une société, c’est-à-dire le dépôt au greffe du tribunal de commerce des statuts, des noms des premiers administrateurs, accomplir les formalités légales de publicité… Pour information, tous les clubs ont déposé leurs statuts de société au ministère, sauf l’AS FAR, qui bénéficie d’une dispense. Il y a aussi un troisième élément juridique dont je n’ai pas parlé, à savoir la convention entre l’association sportive et la société sportive. Cette convention doit régir les relations entre l’association et la société. La Fédération de football a élaboré une convention type qu’elle a diffusée auprès des clubs et qui doit aussi être approuvée par le ministère de la Jeunesse et des sports.

Qui dit société anonyme sportive, dit des actifs, quels sont les actifs que l’association sportive peut céder à la société sportive ?
Le législateur n’a pas imposé une procédure particulière pour les actifs. Cela veut dire que ça dépendra de la volonté des actionnaires de la société sportive, et en premier lieu la fondatrice de la société, c’est-à-dire l’association. On peut imaginer plusieurs scénarios. Il peut s’agir uniquement de la cession en pleine propriété de certains actifs. On peut aussi imaginer leur location ou leur mise à disposition. On peut également transférer les actifs sans les passifs, comme on peut à la fois transférer les actifs et les passifs. Toutes les options restent ouvertes.

Quelle est la meilleure formule selon vous ?
À mon avis, l’association, même malade, peut enfanter un nouveau-né sain. L’association mère va enfanter la fille qui est la société. Cette fille, il faut qu’elle soit la plus saine possible. Je considère que la société ne doit hériter que les actifs sains. Il faut éviter de transférer dès le départ des passifs. Il faut que les passifs restent dans l’association et, progressivement, les revenus que va générer la société permettront de résorber ces passifs. En ingénierie financière, on appellerait ça une structure de défaisance. L’association serait dans un premier temps une sorte de structure de défaisance, parce que l’objectif numéro 1, c’est que la société parte sur de bonnes bases.

La seule forme de société sportive prévue par la loi 30-09 est la société anonyme, est-ce que cela ne pourrait pas constituer un frein à l’investissement ?
À mon avis, le législateur a fait le bon choix. La meilleure forme juridique de bonne gouvernance c’est la société anonyme. Pourquoi ? Parce qu’il y a ce qu’on appelle le partage des pouvoirs. Une société anonyme, c’est comme un État. Il y a un pouvoir de direction qui est assumé par le conseil d’administration. Il y a un pouvoir de contrôle exercé par le commissaire aux comptes et le comité interne. Il y a également une démocratie au niveau de l’assemblée générale des actionnaires, les bailleurs de fonds qui vont décider. Il y a le pouvoir de gestion assuré par l’équipe dirigeante. Et notre loi 17-95 sur les sociétés anonymes est l’une des meilleures lois qui existent au monde. C’est une loi qui est parfaitement aux normes. Les autres formes de sociétés ne sont pas possibles dans ce genre d’activité, parce les autres formes (la SARL, la société en nom collectif…) sont des sociétés de personnes. La volonté en créant la société anonyme est de drainer les capitaux. Si on reste dans une forme familiale, on s’éloigne de l’objectif poursuivi. En plus, dans la société anonyme, il y a l’obligation d’avoir des commissaires aux comptes, alors que dans la SARL, cette obligation n’existe que si le chiffre d’affaires dépasse 50 millions de DH. À mon avis, on a fait le bon choix en optant pour la société anonyme.

Que pensez-vous de la durée de la convention qui doit lier l’association sportive et la société sportive et qui ne doit pas dépasser 10 ans ? Est-ce que ce n’est pas un handicap pour attirer les investisseurs ?
Que dit la loi ? Elle dit que la convention ne peut pas être renouvelée par tacite reconduction. C’est-à-dire que même si on dit que la durée de la convention est de 10 ans, elle est renouvelable, mais pas tacitement. Même si on veut la renouveler dans les mêmes conditions, il faut juste un avenant. Théoriquement, la convention a une durée de 10 ans, mais dans la pratique, elle pourra être constamment renouvelée, même sur un siècle. Le législateur n’a pas interdit le renouvellement, il exige simplement que ce renouvellement ne soit pas tacite. C’est juste une sorte de rendez-vous tous les dix ans pour enrichir et améliorer cette convention. Ce critère n’est pas un obstacle.

On dit que l’association mère doit détenir 30% des parts de la SA, beaucoup y voient un autre frein à l’investissement. Est-ce que vous êtes de cet avis ?
Là aussi, je ne vois pas un frein, mais un atout. Déjà, il y a une différence entre la version publiée en arabe et celle en français de la loi 30-09. Dans celle en arabe, on parle de 30% des parts. Dans la version en français, on parle du tiers du capital, et là c’est plus pertinent, parce que la loi dit : un minimum de 30% des parts. En fait, 30%, ça n’a pas beaucoup de sens, car avec cette part, vous n’avez aucune minorité de blocage. Et c’est pour cette raison que la Fédération, dans le statut qu’elle a élaboré, précise que les parts de l’association doivent dépasser le tiers, afin de donner de l’effectivité à cette minorité de blocage. Il ne faut pas oublier que la particularité de la société anonyme sportive et d’allier un objectif sportif à un objectif entièrement lucratif. Donc, pour garder cette vocation sportive de la SA, l’association sportive doit garder le tiers des parts, pour qu’elle ne dévie pas de sa vocation première. Personnellement, je trouve cette idée très bien élaborée : d’un côté, le véhicule de l’action c’est la société à but lucratif, de l’autre, la vocation reste sportive.

Est-ce que la loi a fixé un capital minimum pour la création de la SAS ?
C’est un droit commun, comme le stipule la loi 17-95, dans l’article 6 sur les SA. Pour démarrer, il faut donc un capital de 300.000 DH, au moins cinq actionnaires au départ, parmi lesquels figure l’association sportive. Le capital n’est pas l’unique indicateur de la puissance financière d’une entreprise. Vous pouvez avoir une holding, avec un petit capital, mais qui peut détenir des milliards de dirhams d’actifs. Donc, il ne faut pas trop se focaliser sur le capital, parce qu’il y a d’autres formes de financement qui peuvent être levées en dehors du capital, comme le compte courant associé.

On a parlé tout à l’heure des actifs de l’association. Selon vous, quel est l’organisme (ou la personne) qui est habilité à dire que ses actifs valent tant ou ne valent pas tant ?
Si on revient aux clubs, l’actif le plus important en leur possession est un actif immatériel, c’est-à-dire le nom, les emblèmes, la notoriété, etc., par ce qu’avoir 100.000 supporters, c’est une valeur immatérielle. D’ailleurs, la loi 17-81 a prévu des garde-fous parce que pour rapporter un actif, il y a les commissaires aux apports et des spécialistes qui valorisent les actifs immatériels du club, comme les banques d’affaires. D’ailleurs, la première chose que la Fédération a faite en 2016 est d’inciter les clubs à protéger leur nom et leurs emblèmes, car ils n’y prêtaient pas une grande importance. C’est pour raison que tous les clubs ont été invités à protéger leurs noms.

Que vont gagner les clubs en passant du statut d’association à celui de SAS ?
C’est une nouvelle ère dans l’histoire du football national. Vous savez, j’ai un peu lu ce qui s’écrit dans la presse concernant cette transition, et les gens pensent que la société sportive s’inscrit dans la continuité de l’association! Or c’est une rupture totale, un nouveau système de management. Quand on dit que les charges fiscales vont augmenter, on ne voit que la partie vide du verre, car les gens oublient que cette SAS a la capacité de drainer des capitaux énormes. Prenons l’exemple de 100.000 supporters d’un club qui souscrivent une action à 100 DH. Vous aurez 1 milliard de centimes de recettes qui vont tomber dans les caisses du club. Non seulement cette action aura une valeur financière, mais également une valeur affective pour ce supporter, dont les enfants peuvent hériter de cette action, donc c’est un potentiel énorme. Quand les SAS vont être créées, elles vont pouvoir recruter des dirigeants de grande valeur. 

Entretien réalisé par Abderrahman Ichi

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