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«C’est émouvant de voir des images en mouvement des villes et des lieux qui ont changé»

Jay Weissberg a présenté au Festival international du film de Marrakech des précieux documents en images sur le Maghreb. Ces films ont été tournés dans les premières décennies du cinéma mondial, lorsque des sociétés européennes et américaines envoyaient des cameramen à travers le monde. Ce programme qui s’inscrit dans le prolongement de Vues de l’Empire ottoman présenté l’an dernier, vise à impliquer le public dans ce débat, par le biais de courts métrages rares sur l’Afrique du Nord des années 1910 et 1920, dont certains ont été spécialement numérisés pour cette projection.

«C’est émouvant de voir des images en mouvement des villes et des lieux qui ont changé»
Ph. SAOURI

Le Matin : Vous présentez à Marrakech des films sous le thème «Vues du Maghreb». Parlez-nous davantage 
de ces projections
Jay Weissberg :
Je suis venu présenter à Marrakech six films de Paris, de Londres, d’Oslo et de Washington DC. Ce sont des films faits le siècle dernier dans les pays du monde par les grands studios, mais aussi par les familles. J’ai présenté à Marrakech un film fait en 1926 par un politicien américain avec sa famille dans le Maghreb. Il y avait des images incroyables au Maroc, en Algérie et aussi en Tunisie.

Comment le public a-t-il réagi face à ces films ?
Pour le public, c’est toujours extraordinaire de voir en mouvement d’anciennes images de leur pays. C’est une expérience puissante parce que le public voit une partie de son héritage. Ce n’est pas le genre de films qu’on peut voir en DVD ou sur YouTube. Par exemple, c’est incroyable de voir Damas en 1907 ou Gaza en 1927, notamment lorsqu’on compare ces images avec l’état actuel de ces villes. Des Palestiniens avaient les larmes aux yeux en voyant les images des fermes à Gaza. C’est émouvant de voir des villes et des lieux qui ont changé. Mais ce n’est pas toujours nostalgique, car le monde n’était pas forcément meilleur à l’époque. Il y avait les guerres, les maladies, la faim, c’était un autre monde, mais c’est un monde aussi très proche de nous. Par exemple, ma mère est née dans cette époque et je la connais très bien. 100 ans ce n’est rien, le passé est encore très proche. Les images en mouvements de cette époque sont très importantes pour moi pour comprendre où nous sommes maintenant et aussi pour la beauté des images.

Vous êtes co-commissaire du programme «Vues de l’Empire ottoman» qui sert à retrouver des films réalisés dans les territoires ottomans. Qu’est-ce qui vous motive dans ce projet et qu’est-ce que vous avez pu découvrir grâce à un tel programme ?
Cela fait déjà 6 ans que nous avons décidé de faire quelque chose sur le cinéma ottoman. Il ne s’agit pas des films faits par les Ottomans, mais par les régisseurs et metteurs en scène de France, d’Angleterre, des États-Unis… Avec mes collègues, nous pensions que nous n’avions pas les images de ces régions. On a commencé à faire des recherches, mais le problème avec toutes les archives des films, hors les fictions, c’est qu’elles ne sont pas bien cataloguées et ne sont pas bien identifiées. La majorité des films sont des fragments et ne sont pas complets. Ils n’ont pas de titre, les locaux et l’année de tournage ne sont pas bien identifiés. Nous faisons alors des recherches dans les journaux et revues de l’époque sur les films. Après, on voit s’il est possible pour les archives de les numériser et on fait un programme spécial de projection pour chaque pays et chaque ville pour donner une idée sur l’Empire ottoman, qui était plein d’ethnicités et de civilisations. Nous projetons les films d’Istanbul, Constantinople, et aussi de la ville ou du pays concerné. Nous avons par exemple projeté un film sur Sarajevo et tous ses minarets en 1917, sur la Tunisie, sur Louxor en 1912. Pour chaque pays, il y a des films pour donner une idée de l’Empire ottoman si mal traité par les historiens.

Vous trouvez que les historiens ne rendent pas justice à l’Empire ottoman ?
Il y a toujours l’idée de l’autre, des musulmans… Dans l’histoire, l’Empire ottoman, c’est l’ennemi. C’est totalement exotique. On démontre par des films que ce n’est pas si différent.

Quel est le message que vous voulez transmettre via les films archivés ?
Pour nous, c’est toujours important de souligner les idées de colonialisme et d’orientalisme, parce qu’elles sont nombreuses dans les films archivés et numérisés. Parfois, on ne les trouve pas dans les images, mais dans le texte. Par exemple, j’ai présenté au Festival de Marrakech «Sahara the mystic», d’un metteur en scène américain en 1922. Les images sont très belles, il y a comme d’habitude les chameaux et les images d’orientalisme, mais il y a les images des peuples, avec de la sympathie et de la dignité. Le texte est totalement orientaliste et colonialiste. C’est une chose que nous devons interroger. En interrogeant les images, on comprend mieux où nous en sommes maintenant avec l’idée de l’autre. Pour moi, c’est aussi une occasion de dresser des ponts et d’ouvrir des fenêtres.

Vous participez au Festival international du film de Marrakech. Qu’est-ce que vous connaissez sur le cinéma marocain ?
J’ai eu la chance de voir des films marocains dans les festivals du monde, à Cannes, Venise, Berlin… C’est une grande chance de voir des choses intéressantes de ce pays. Chaque pays a son histoire et pas seulement celle que l’Ouest veut voir. Il y a des histoires de chaque classe sociale, mais malheureusement, l’Ouest ne voit que les stéréotypes, comme la pauvreté. Je suis très content, car ces dernières années, il y a une volonté de présenter des histoires de l’autre côté et une vision pluridimensionnelle. 

    Biographie

Né à New York, Jay Weissberg vit à Rome et est critique de cinéma pour «Variety» depuis 2003, pour lequel il couvre des avant-premières dans les festivals en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Ses travaux sur le cinéma contemporain sont publiés dans de nombreuses revues internationales et il fait partie de l’équipe de rédaction de catalogues de festivals et de rétrospectives de films. En 2015, il est nommé directeur du Festival du film muet de Pordenone Giornate del Cinema Muto, cinéma muet auquel il consacre plusieurs ouvrages. Il est également co-commissaire de «Vues de l’Empire ottoman», un projet d’archives filmiques dont le but est de retrouver des films réalisés dans les territoires ottomans et de les projeter à l’endroit même où ils ont été tournés.

Propos recueillis par NES Nadia Ouiddar

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