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«La communauté internationale, à travers ses instances de régulation, doit apporter des réponses appropriées et coordonnées aux défis imposés par la révolution numérique»

Dans un entretien accordé au «Matin», à la veille de la conférence internationale sur le thème «Politiques et droit de la concurrence, expériences nationales et partenariat international», le président du Conseil de la concurrence, Driss Guerraoui, revient sur les enjeux de cette manifestation. Il évoque également les défis que pose l’essor du commerce électronique aux instances de régulation et insiste sur l’importance d’une action coordonnée et collective de la communauté internationale.

«La communauté internationale, à travers ses instances de régulation, doit apporter des réponses appropriées et coordonnées aux défis imposés par la révolution numérique»

Le Matin : Quelle est l’importance de la Conférence internationale de Rabat sur «Politiques et droit de la concurrence, expériences nationales et partenariat international» ?

Driss Guerraoui :
Il y a d’abord le contexte international qui se caractérise par le développement d’une nouvelle génération de guerres commerciales portées par le patriotisme économique des États, d’une part, et de l’autre la montée de concentrations économiques d’un genre particulier impulsant la création de véritables grands groupes transnationaux ayant une position de domination dans des marchés entiers, échappant à tout contrôle, cherchant à échapper aux réglementations des États-nations, notamment dans le domaine fiscal, et développant de nouvelles pratiques anticoncurrentielles déloyales. Ces pratiques sont rendues possibles grâce aux outils, sophistiqués et complexes à réguler, qui confèrent à ces grands groupes de la révolution digitale la capacité à disposer en temps réel d’informations technico-économiques, technico-financiers et de données personnelles sur les citoyens-consommateurs de par le monde.

Fait important à signaler à ce niveau, cette nouvelle réalité s’opère dans le cadre d’une triple crise, celle de la mondialisation, celle de la gouvernance multilatérale de la concurrence et du commerce international et celle des difficultés des Autorités nationales de la concurrence à maîtriser les tenants et les aboutissants des nouvelles pratiques de la concurrence déloyale issues aussi bien des nouvelles générations de concentrations économiques que des situations de rente, d’oligopole, de non-application stricte de la loi sur la concurrence et d’existence de règles de droit devenues non conformes et inappropriées au regard des nouvelles données des marchés.

L’économie numérique pose donc et sans aucun doute de nouveaux défis aux Autorités nationales de la concurrence ainsi qu’aux organisations internationales, comme la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et l’OMC (Organisation mondiale du commerce), chargées de réguler le commerce mondial. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Nous assistons, en effet, du fait de la révolution numérique, à l’émergence et au développement d’une nouvelle génération de commerce et de commerçants, de consommation et de consommateurs, de moyens de paiement, de canaux de distribution et de réseaux de rayonnement territorial qui sont en mesure d’embrasser, en temps réel et de façon instantanée, le marché à la fois local et mondial, le tout porté par de nouveaux moyens de communication et d’outils de marketing. Cette évolution a des conséquences sur le mode d’organisation des entreprises à la fois financière et non financière, comme elle affecte la structure de leur modèle économique et donc la compétitivité de ces entreprises et la concurrence dans les marchés où elles évoluent.

De ce fait, le commerce électronique est en train de changer radicalement le fonctionnement de nos économies et de nos sociétés. Il annonce l’émergence et le développement de nouvelles activités économiques liées à l’e-commerce. Comme il appelle à la promotion de nouveaux métiers et emplois, notamment dans le «social media» management, le marketing de nouvelle génération, le web design et le web développement. Il impulse, en conséquence, le développement d’une nouvelle génération de relations financières et bancaires et même de monnaies, qui prennent les formes de banque digitale, d’entreprise virtuelle et de monnaie digitale (le Libra). La spécificité de ces relations est qu’elles sont portées par les grands réseaux transnationaux du numérique, comme Facebook, Amazon, Google et Apple. C’est donc à une véritable révolution organisationnelle, managériale, économique, financière et même sociétale que nous assistons, à laquelle nos pays font face aujourd’hui et dont ils deviennent dépendants. Or, parce qu’aucun État-nation ne pourra affronter seul les nouveaux défis impulsés par cette révolution, la communauté internationale, à travers ses instances de régulation et de gouvernance multilatérales, se doit d’y apporter des réponses appropriées, et ce de façon coordonnée, mieux pilotée, accélérée, mais collectivement maîtrisée par l’élaboration de véritables stratégies nationales de l’économie numérique dans ses liens avec la concurrence et la mise en œuvre de nouvelles règles régissant le e-commerce international. La Conférence internationale de Rabat, en consacrant deux panels à cette problématique, permettra certainement d’apporter un éclairage sur les initiatives prises par certaines Autorités nationales de la concurrence, ainsi que par les organisations internationales et régionales dédiées à cette question.

Quels sont les chantiers futurs que le Conseil de la concurrence développera en vue d’accompagner ces nouvelles réalités de l’économie mondiale et réguler positivement les nouvelles pratiques anticoncurrentielles ?

Depuis sa réactivation par Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 17 novembre 2018, le Conseil de la concurrence s’est attelé à renforcer ses capacités institutionnelles, à mettre à niveau ses structures managériales, à faire adopter par ses instances de délibération un règlement intérieur et une Charte d’éthique, à se doter d’un statut du personnel et d’un manuel de ses procédures d’instruction, en sus de l’examen de 105 saisines qui étaient en instance de décision, qu’il s’agisse de saisines contentieuses ou de demandes d’avis. Mais au vu des missions que lui confère la loi fondamentale du pays et des défis à relever en matière de promotion des bonnes pratiques de la concurrence libre et loyale, le Conseil entend ouvrir plusieurs chantiers d’importance.

• Le premier consiste à doter le Conseil d’un baromètre national de la concurrence, fondé sur un référentiel porté par un guide construit à partir d’indicateurs objectifs mesurables, afin de suivre l’état et l’évolution de la concurrence dans les secteurs et les marchés prioritaires du point de vue des objectifs stratégiques du Conseil en matière d’amélioration de la concurrence dans ces secteurs et marchés.

• Le deuxième consiste à réaliser chaque année un sondage d’opinion pour évaluer la perception qu’ont les acteurs et les institutions qui saisissent le Conseil de la situation de la concurrence dans les secteurs où ils opèrent et corrélativement dans notre pays.

• Le troisième chantier portera sur la création d’un Observatoire de la veille économique, concurrentielle et juridique pour permettre au Conseil de disposer d’un système intégré d’information. Cet outil sera nourri par le travail des sections du Conseil, celui de sa direction des Instructions et sa direction des Études. Il s’appuiera également sur les études sectorielles et nationales qui seront menées et pilotées par le Conseil et/ou réalisées dans le cadre de partenariats nationaux et internationaux et/ou au moyen du recours à une expertise externe.

Enfin, dans le cadre de ses missions de plaidoyer en faveur de la promotion de la culture de la concurrence, le Conseil entend développer une stratégie de communication à la fois de masse et de proximité en direction des citoyens, des entreprises et des territoires en vue de sensibiliser toutes les composantes de la collectivité nationale aux questions de la concurrence. Dans ce cadre, des capsules télévisuelles seront produites et diffusées par le truchement des moyens de communication les plus accessibles et les plus utilisés par nos citoyens (chaînes de télévisions, radios et réseaux sociaux). L’objectif de cette stratégie de communication est de permettre à toutes les composantes de notre économie et de notre société de s’approprier les grandes questions liées à la concurrence libre et loyale comme levier essentiel à une gouvernance économique juste et responsable. Ce faisant, le Conseil de la concurrence entend par ces chantiers permettre à notre pays de se doter des outils nécessaires pour à la fois se protéger contre les pratiques déloyales dans le domaine du commerce, en particulier, et des affaires, en général, de promouvoir les bonnes pratiques de la concurrence loyale et in fine de libérer les énergies de notre économie et de notre société, et ce afin de permettre à chaque citoyenne marocaine et chaque citoyen marocain d’être un acteur potentiel de la production de la richesse dans leur pays et d’en être les premiers bénéficiaires. C‘est là tout le sens politique et stratégique profond de la liaison entre la consécration de l’égalité des chances devant l’acte économique par la concurrence loyale, la démocratie économique et la justice sociale.

Entretien réalisé par L.M.

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