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Le Conseil économique, social et environnemental tire la sonnette d’alarme

Dans son dernier rapport relatif à la question du mariage des mineurs, le Conseil économique social et environnemental s’inquiète de l’augmentation des cas d’enfants mariés et propose des solutions pour éradiquer ce phénomène.

Le Conseil économique, social et environnemental tire la sonnette d’alarme

Le mariage des mineurs demeure une triste réalité sociale au Maroc. Malgré tous les efforts consentis par les acteurs associatifs et gouvernementaux pour l’éradiquer, ce phénomène persiste toujours. Pis encore, les dernières statistiques montrent que le fléau ne cesse d’augmenter. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a organisé, hier à Rabat, une rencontre pour présenter son avis sur ce sujet. «Face à l’ampleur de la pratique du mariage des enfants au Maroc, le CESE s’est autosaisi de cette problématique en vue d’analyser les raisons et les effets de la persistance de cette pratique et proposer des actions opérationnelles pour y mettre fin», a affirmé Ahmed Réda Chami, président du Conseil, à l’ouverture de cette rencontre.

Intitulé «Que faire face à la persistance du mariage d’enfants au Maroc ?», le rapport du CESE relève que la pratique du mariage des enfants, encore largement répandue dans notre pays, demeure une véritable entrave au développement et engendre de graves conséquences sur la santé mentale et physique des enfants, en limitant leurs chances de s’autonomiser économiquement et culturellement.

«Ce phénomène est une discrimination fondée sur le genre et un acte social et fondé sur l’intérêt de la famille et de la communauté au détriment de l’intérêt de l’enfant et lié à la condition sociale et économique. La non-scolarisation et la déscolarisation prématurée des filles, l’inégalité entre les hommes et les femmes, le manque d’accès à une éducation de qualité, aux services de santé et de la justice, sont considérés à la fois des causes et des conséquences du mariage d’enfants et des facteurs de pérennisation de cette pratique», a souligné Jaouad Chouaïb, membre du CESE, représentant de la catégorie associative, rappelant que le mariage des mineurs, qui concerne principalement les jeunes filles, ne cesse de prendre de l’ampleur. En 2018, 32.104 demandes de mariage d’enfants ont été enregistrées contre 30.312 en 2006. La situation serait d’autant plus alarmante, puisque seuls les demandes en mariage des enfants et les mariages contractés légalement sont pris en compte par les statistiques du ministère de la Justice. Les mariages informels n’apparaissent pour leur part dans aucune donnée statistique officielle.

S’agissant du profil de ces filles mariées précocement, le Conseil indique que 32% d’entre elles sont analphabètes et 53,3% sont les épouses des fils du chef de ménage. Dans leur grande majorité (87,7%), elles ne travaillent pas et sont femmes au foyer. Seuls 6,4% des mineurs sont actifs et près du tiers de ces filles mineures mariées (32,1%) a déjà au moins un enfant. Et si cette pratique concerne autant les zones urbaines que rurales, on remarque cependant une prédominance rurale (55,9%). La répartition régionale des filles mineures mariées par rapport à l’ensemble des filles mineures montre une prévalence élevée dans 5 grandes régions, à savoir Marrakech-Safi, Casablanca Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Fès-Meknès et Béni Mellal-Khénifra.

Par ailleurs, ce rapport, qui a nécessité une revue des textes juridiques en vigueur, l’organisation de plusieurs auditions avec les acteurs concernés ainsi que des débats entre les différentes catégories composant le Conseil, montre que le dispositif aménagé par le Code de la famille n’a manifestement pas eu l’effet escompté sur la réduction des mariages des personnes de moins de 18 ans. «L’application des dispositions “dérogatoires” dudit Code, supposées répondre à des cas exceptionnels, est devenue pratiquement la norme». En effet, 85% des demandes de mariage se sont soldées par une autorisation (entre 2011 et 2018).

Afin de mieux lutter contre le mariage des mineurs, l’avis du CESE appelle à l’adoption d’une stratégie globale ayant pour objectif non seulement l’abolition de cette pratique, mais aussi le développement socio-économique du pays. La stratégie en question repose sur trois axes majeurs, auxquels sont associées une série de mesures opérationnelles. Le premier axe concerne «l’amélioration du cadre juridique et du système judiciaire». Le deuxième axe vise à lutter contre les pratiques préjudiciables aux enfants et aux femmes à travers la mise en œuvre soutenue et intégrée de différentes politiques et actions publiques à l’échelle nationale et territoriale. Quant au troisième axe, il vise à améliorer et assurer le suivi et l’évaluation de l’éradication de la pratique du mariage d’enfants. 


Entretien avec Jaouad Chouaïb, membre du CESE,représentant de la catégorie associative

«La permissivité du Code de la famille n’est pas de nature à dissuader les parents ni à changer les mentalités»​

Le Matin : Pourquoi le choix de cette thématique ?

Jaouad Chouaïb : D’après les chiffres du ministère de la Justice et des libertés, en 2018, le nombre de demandes de mariage d’enfants enregistrées, majoritairement des filles (99%) a atteint les 32.104 demandes, alors qu’en 2006 on a enregistré 30.312 demandes. Entre 2011 et 2018, quelque 85% des demandes de mariages se sont soldées par une autorisation. Et si l’on faisait le cumul des mariages sur dix ans, on arriverait à quelque 300.000 enfants officiellement mariés ! Je crois que c’est une bonne raison pour que le Conseil économique, social et environnemental s’intéresse à cette violation des droits de l’enfant et cette discrimination à l’égard des femmes, au moment où le Maroc essaie d’élaborer un nouveau modèle de développement et œuvre pour atteindre les Objectifs de développement durable d’ici 2030, dont l’un des objectifs est d’éradiquer le mariage des mineurs.

La fréquence de ce phénomène connaît une augmentation conséquente. Quelles en sont les raisons selon vous ?

Tout d’abord, il me semble important de préciser que seules les demandes et autorisations de mariages officielles font l’objet de statistiques annuelles. L’ampleur des mariages conclus par lecture d’Al Fatiha, autrement dit les mariages coutumiers, et les mariages par «contrats», qui s’apparentent au trafic d’êtres humains échappent totalement aux statistiques. Donc difficile de parler objectivement d’une augmentation conséquente. Cependant, il y a unanimité des personnes et institutions auditionnées, autour du fait que c’est trop et intolérable et qu’il faut faire quelque chose. Les raisons de ce phénomène sont multiples et toujours les mêmes : un moyen de protéger les filles, de les mettre à l’abri du besoin, un gage de sécurité et une garantie contre la pauvreté en quelque sorte. Pour les familles, il s’agit aussi d’un moyen de préserver l’honneur de la famille et de la communauté dans certaines situations et donc un moyen de contrôler la sexualité des filles et d’échapper aux «risques» de relations sexuelles et grossesses hors mariage. C’est également pour certains un moyen de préserver ou d’augmenter des biens familiaux et de créer des alliances tribales, familiales et claniques.

Le Maroc ne s’est pas encore attaqué sérieusement à ce phénomène et la permissivité du Code de la famille en la matière n’est pas de nature à dissuader les parents et à changer les mentalités. 

Que faut-il faire pour venir à bout de ce fléau ?

Vaste programme ! Il faudrait déjà le vouloir réellement. C’est la question récurrente de la volonté politique. Il faut être conscient qu’il s’agit de mener un ensemble d’actions dans la durée de manière coordonnée pour lutter contre toutes les pratiques préjudiciables aux enfants à travers la mise en œuvre de la Politique intégrée de protection de l’enfant à l’échelle nationale et territoriale, d’une Politique familiale qui prend en compte l’éducation à la parentalité, d’une politique d’éducation qui garantit par tous les moyens le respect effectif de l’obligation de scolarisation de tous les enfants, d’une politique ambitieuse d’égalité entre les hommes et les femmes, du développement et du renforcement des systèmes de protection et d’assistance sociale. Il s’agit aussi de lutter fermement et efficacement contre les mariages par contrats et les mariages arrangés dans le cadre des dispositions de la loi 27-14 et la sanction exemplaire des parents et des intermédiaires impliqués dans ces trafics. 

Par ailleurs, il faut harmoniser le cadre juridique avec les dispositions de la Constitution et notamment abroger les articles 20, 21 et 22 du Code la famille qui permettent les mariages d’enfants et harmoniser le droit de la filiation légitime et le droit de la filiation naturelle. Il faut également développer la médiation familiale et une justice adaptée aux mineurs qui prennent en compte réellement l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, tout cela doit être évalué et suivi rigoureusement par le gouvernement et le Parlement. C’est dans les grandes lignes ce que le CESE préconise, les rapports détaillés en arabe et français sont consultables sur son site web. n

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