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Service de néonatologie... le cauchemar des accouchées

Témoignages

Hajar, 31 ans
«Durant ma grossesse, j’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait. Je n’aurais jamais cru que j’allais perdre mon bébé. Dès sa naissance, ma fille a souffert d’une insuffisance respiratoire et a été mise dans une couveuse pendant deux jours. Peu de temps après sa sortie, nous étions obligés de la ramener à la clinique pour une séance de photothérapie, car elle souffrait d’ictère. Et au moment où nous croyions que la vie allait enfin reprendre son cours normal, ma petite a chopé le virus de la grippe H1N1, ce qui a nécessité son hospitalisation de nouveau. Cette hospitalisation a été la plus longue et la plus douloureuse pour nous tous. Le virus a complètement détruit ses poumons. Son cas s’est aggravé par une malformation cardiaque congénitale que les médecins ont découverte lors de son séjour à la clinique. Après deux opérations à cœur ouvert en l’espace de deux mois et demi, ma petite n’en pouvait plus et nous a quittés à l’âge de trois mois. Durant la période que j’ai passée avec elle à la clinique, j’ai pu me rendre compte que les cas de bébés prématurés et malades sont bien plus fréquents que ce que j’imaginais et que les soins sont extrêmement chers. Même si moi et mon mari sommes tous les deux couverts par une assurance maladie, nous avons continué à payer les frais de la clinique, des mois après le décès de notre fille.»  


Karima, 26 ans
«Ma première grossesse et l’unique d’ailleurs a été très difficile. Certes, j’étais très contente lorsque j’ai appris que j’allais devenir maman de jumeaux, mais la grossesse était tellement compliquée que j’étais obligée d’accoucher plus tôt que prévu. Mes deux garçons prématurés sont nés avec le faible poids de 1 kg 270 g et 970 g. Leur séjour à la clinique était très difficile et c’était pour moi les pires deux mois de toute ma vie. Nous avons failli en perdre un. 
Nous n’étions pas préparés à vivre cette situation : réanimation, soins intensifs, tubes, cathéters, machine qui nous indique la saturation et la respiration. En voyant d’autres bébés qui décédaient, je vivais la douleur de leurs parents comme si ces enfants étaient les miens. Et c’était encore plus dur lorsqu’il s’agissait de jumeaux. 
C’était un véritable cauchemar, surtout quand on tombe sur du personnel incompétent, insouciant et inhumain. On ne nous donne jamais assez d’informations ni des explications claires, sans parler des tarifs exorbitants qu’ils pratiquent. C’est une situation que je ne souhaite à personne, même pas à mes pires ennemis.» 


La grossesse, l’un des événements les plus heureux dans la vie d’une famille peut des fois se transformer en véritable cauchemar quand l’enfant naît avec des complications. Prématurité, malformation congénitale, infection… tant de raisons qui peuvent nécessiter une hospitalisation urgente au service de néonatologie. Or ces services ne sont disponibles que dans quelques hôpitaux publics et cliniques privées, dans certaines régions du Royaume. Du coup, en plus de la souffrance et du choc de découvrir la pathologie de son enfant, les parents se retrouvent également dans le tourment de trouver au plus vite un établissement à même de le prendre en charge. Il s’agit d’un véritable enfer pour les parents et des situations difficiles à gérer pour les professionnels de santé qui travaillent dans ce domaine. Pourquoi est-il compliqué de trouver une place dans les services de néonatologie ? Pourquoi ces services ne sont-ils pas disponibles dans tous les établissements de santé ? Pourquoi la prise en charge de ces soins coûte-t-elle très cher ?… «Le Matin» a réalisé une enquête pour tenter de répondre à ces questions et vous plonger dans l’intimité des services de néonatologie au Maroc.

Il est 8 h 30, dans une clinique à Casablanca où Sarah, 28 ans, est sur le point d’accoucher de son deuxième enfant. Allongée dans le bloc opératoire, elle attend l’arrivée de son médecin qui lui fera sa deuxième césarienne. Bien que stressée, elle reste souriante et attend impatiemment de découvrir le visage de sa petite fille. Malheureusement, le destin en a décidé autrement. Dès la naissance de la petite, on l’informe que cette dernière souffre d’une gêne respiratoire et qu’elle doit être mise immédiatement dans une couveuse. Gros coup de massue pour la maman qui avant même de pouvoir prendre sa fille dans ses bras est déjà séparée d’elle. Cette journée fut très dure, mais ce n’était malheureusement que le début d’un long combat de deux mois dans lequel elle finira par perdre sa fille qui avait une malformation au niveau du cerveau. Tout comme cette famille, de nombreux parents vivent cette triste situation. Les centres de néonatologie reçoivent quotidiennement de nombreux cas de bébés prématurés ou malades. Les places dans ces centres sont souvent insuffisantes face au grand nombre de bébés. D’après les dernières statistiques du ministère de la Santé, le Maroc compte uniquement 127 lits réservés à la néonatalogie dans le secteur public et à peu près 123 places dans le secteur privé.
«L’offre hospitalière publique couvre toutes les provinces et préfectures avec 118 structures hospitalières générales (hors CHU) à vocation régionale, provinciale ou de proximité avec une capacité litière fonctionnelle de 22.075 lits dont 3.149 lits réservés à la maternité hospitalière, 2.029 lits réservés à la pédiatrie et 127 lits pour la néonatalogie», affirme Anass Doukkali, ministre de la Santé. De son côté, Hassan Afilal, vice-président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP), indique que : «Nous avons à peu près 250 places de néonatologie dans tout le Maroc (la moitié est dans le privé, l’autre moitié dans le public), ce qui est largement insuffisant pour les 700.000 naissances qu’il y a chaque année, surtout quand on sait qu’environ 10% de ces enfants peuvent nécessiter une réanimation à la naissance soit 70.000. Cela aboutit malheureusement à un taux de mortalité néonatale très triste au Maroc. Nous avons de grandes insuffisances en réanimation néonatale, en nombre de places. Il y a aussi une disparité très importante sur tout le territoire marocain, avec tant dans le public que le privé, des pôles d’excellence, et parfois malheureusement des services très moyens».
Les bébés sont admis au niveau des centres de néonatologie pour différentes raisons. Selon le ministère de la Santé, les données provisoires du système d’information de routine pour l’année 2018 sans celles des CHU montrent que les prématurés représentent 2%, les enfants à faible poids à la naissance 2,9% et plus de 50% ont présenté une souffrance fœtale. «Au Maroc, les trois pathologies qui sont toujours malheureusement meurtrières chez les bébés sont la prématurité, l’asphyxie périnatale et l’infection. Et si on travaille sur ces trois pathologies, on pourra réduire considérablement la mortalité et la morbidité néonatale», déclare Amina Barkat, chef de service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat, le plus ancien en néonatologie dans le secteur public au Maroc.
Ce service est aussi celui qui a la plus grande capacité litière à l’échelle nationale avec 55 lits. Dans le détail, ce centre dispose d’une réanimation néonatale médico-chirurgicale de 12 lits, une unité de soins intensifs de 23 lits ainsi que 20 lits d’élevage simple mis à la disposition des bébés qui ont un état de santé stable, mais qui ne peuvent toujours pas sortir vu leur poids qui est généralement trop petit. «Le service reçoit des bébés prématurés ainsi que des bébés malades de toute la région de Rabat-Salé-Kénitra, mais aussi provenant de la région du Nord. Malgré l’ouverture d’une nouvelle faculté de médecine à Tanger, le CHU n’est toujours pas fonctionnel. De ce fait, le service de médecine et réanimation néonatale du CHU Ibn Sina continue de drainer les cas qui nécessitent un niveau de soin plus complexe», explique Amina Barakat. 
Sachant que le CHU est lié à deux maternités, celle de Souissi et celle des Orangers, avec une moyenne de 29.000 accouchements par an, ce qui fait de lui, selon la chef de service, «le chantier de naissances le plus important à l’échelle nationale. Le centre fait chaque année dans les 3.500 hospitalisations et plus de 10.000 consultations», précise-t-elle. 

Néonatologie, un service qui coûte cher
Dénicher une couveuse n’est que le début du calvaire. Souvent un bébé admis en service de néonatologie est condamné à y rester plusieurs jours, voire des mois. Une situation dramatique sur le plan psychologique à laquelle s’ajoute la cherté des frais. «Cette discipline est extrêmement chère et la prise en charge des soins au niveau du CHU dépend du statut de la famille du patient. Un nouveau-né de 700 grammes peut coûter 300.000 DH au minimum à l’État. Si la famille est ramédiste, l’État s’occupe de la prise en charge totale, ce qui est le cas de 80% des patients. Les 20% restant soit ce sont des mutualistes, soit des personnes qui ne sont pas ramédistes, mais qui n’ont pas de mutuelles n’ont plus», révèle Amina Barakat. Et de développer : «L’État a mis en place des forfaits spécifiques. Pour une nuitée de réanimation, c’est 1.500 DH tout compris (médicaments, couveuses, oxygène, respirateurs…), une nuitée de soins intensifs coûte 1.000 DH et une nuitée de néonatologie simple est à 500 DH. Ces forfaits ont pour objectif de faciliter l’accès aux soins et répondre aux besoins de la population». Dans le secteur privé, les prix sont nettement plus élevés. Les tarifs d’une nuitée passée au service de réanimation varient entre 5.000 et 10.000 DH, selon les cliniques, tandis qu’une nuit aux soins intensifs coûte entre 2.500 et 4.500 DH. Des frais difficiles à supporter par la majorité des familles. Selon le vice-président de l’ANCP, ces difficultés peuvent être surmontées par un meilleur remboursement. «L’amélioration viendra par un meilleur remboursement pour pouvoir avoir plus de places de réanimation néonatale au Maroc. La réanimation au Maroc est remboursée par les organismes sur la base de 1.500 DH par jour (honoraires et consommables compris) alors que l’oxygène à lui seul vaut 1.200 DH. Un remboursement raisonnable entraînerait une ouverture de plusieurs places de réanimation sur tout le Maroc, avec une diminution des décès et des handicaps qui impactent durement les familles, et dont la prise en charge coûte extrêmement cher aux caisses d’assurance et à la société», affirme Hassan Afilal.
Ces prix exagérés dans les différents établissements hospitaliers sont justifiés par les coûts élevés des soins et du matériel utilisé. «Le matériel de réanimation, les médicaments et les analyses qui sont fréquentes rendent la réanimation très chère. Un million de DH par poste, pour s’équiper en toute sécurité pour les enfants», indique Dr Afilal. Ces explications ne convainquent pas forcément les familles. La majorité d’entre elles trouvent les exigences des cliniques aberrantes. «Quand on a appris que ma fille devait être hospitalisée, nous n’avions même pas eu le temps d’encaisser le choc de la nouvelle que nous nous sommes retrouvés confrontés aux pratiques sévères de la clinique qui nous a imposé de déposer des chèques “de garantie” pour s’assurer du remboursement. Nous avons assisté à des cas où les parents ont été sommés de reprendre leurs enfants en état difficile, parce qu’ils n’étaient pas en mesure de payer les frais exigés», témoigne Salma. 
Un fait que rejette le vice-président de l’Association nationale des cliniques privées : «Je ne connais pas de clinique qui refuse de prendre en charge un enfant en état d’urgence grave. Le chèque de garantie est interdit par la loi, mais généralement les personnes payent par chèque et demandent un délai de paiement, ce qui transforme le chèque de paiement en chèque de garantie illégal». Et d’ajouter : «Il faudrait trouver un moyen équitable qui garantisse aux cliniques le paiement sans recourir au chèque de garantie. Le législateur ne donne pas d’alternative à ce procédé qui est un problème extrêmement sérieux». Le ministère de la Santé est actuellement en train de discuter avec certains établissements de santé privés pour pouvoir mettre en place un système qui reçoit les patients ramédistes, notamment pour les soins en néonatologie. C’est le cas du groupe Akdital Holding qui a affirmé dernièrement qu’il allait faire de l’accessibilité aux soins une priorité de sa mission au Maroc. «Rien n’est officiel pour le moment, mais les discussions sont en cours pour essayer de trouver un terrain d’entente et pouvoir soulager les hôpitaux du grand nombre de patients qu’ils reçoivent, notamment pour les services de réanimation néonatale», a affirmé Rochdi Talib, président d’Akdital Holding. 


Entretien avec Anas Doukkali, ministre de la Santé

 

«Des défis persistent en ce qui concerne la couverture universelle  de soins de santé maternelle et néonatale, notamment en matière d’accès inéquitable et de disparités subsistantes»


 

Le Matin : Les services de santé maternelle et néonatale souffrent de nombreuses défaillances. D’après vous, que faut-il faire pour améliorer l’accès ainsi que la qualité des soins au sein de ces services ?

Anas Doukkali : Sur le plan organisationnel, il faudra remettre à niveau le département mère-enfant avec individualisation des services de néonatologie et développer la charte de fonctionnement pour le département mère-enfant en ciblant les lignes directrices organisationnelles, managériales et de prise en charge au niveau des services. Il faut également s’aligner sur des standards ou normes quand elles existent dans les services de maternité et de néonatologie en adoptant les démarches de progrès (Concours Qualité, Accréditation…), renforcer les mécanismes de collaboration et de coordination entre les services de soins maternels et néonatals et les structures d’appui avec un réseautage des unités de néonatologie et une complémentarité public/privé et renforcer les canaux de communication interne et externe pour offrir un service basé sur l’intégration et la multi-sectorialité.
Sur le plan managérial, il faut réglementer la périnatalogie et le réseau de prise en charge néonatale en conformité avec la loi n° 34-09 relative au système de santé et à l’offre de soins. En effet, il faut élaborer un texte réglementaire visant la régulation de la prise en charge du nouveau-né aux différents niveaux de soins de la pyramide sanitaire avec une complémentarité publique privé. Il faut également développer une culture de benchmarcking entre les différentes structures hospitalières de prise en charge de la mère et du nouveau-né et adopter la liste des médicaments essentiels et produits vitaux pour la santé maternelle et néonatale et la sécurisation de la disponibilité des produits sanguins labiles.

Et concernant le volet de prise en charge de la mère et du nouveau-né, que faut-il faire ?
Il faut tout d’abord assurer le suivi de mise en œuvre des plans d’action régionaux déclinés de la stratégie nationale d’élimination des décès évitables des mères et des nouveau-nés dans le Plan Santé 2025 et pérenniser les taskforces régionales comme action concrète pour la promotion de la santé dans le cadre de la régionalisation avancée.
Il faut également réviser la consultation prénatale selon les nouvelles recommandations de l’OMS pour améliorer la prise en charge de la grossesse et le dépistage des grossesses à haut risque et qui prône 8 contacts durant la grossesse au lieu de 4 consultations prénatales. Aussi, il faut assurer un appui pour le renforcement des ressources nécessaires pour la mise en œuvre du plan d’amélioration notamment les ressources humaines, les équipements, les médicaments et la banque de sang et généraliser le dépistage néonatal de l’hypothyroïdie congénitale et extension à d’autres maladies congénitales tel que le lancement de la phase pilote du dépistage de la surdité. Enfin, il faut renforcer les acquis en matière de nutrition pour la mère et le nouveau-né.

Le Plan de santé 2025, relatif à la consolidation des acquis dans le domaine de la santé maternelle et néonatale, lancé il y a près d’une année par le ministère, vise à améliorer la qualité des services et des soins offerts aux mères et aux nouveau-nés au niveau des hôpitaux régionaux, comment cela va-t-il se passer concrètement ?
Le Maroc a connu des avancées indéniables en matière de la santé maternelle et néonatale, ces résultats positifs et tangibles ont été démontrés dans l’Enquête nationale sur la population et la santé familiale 2018. Le taux de mortalité néonatale a été réduit de 21,7 pour 1.000 naissances vivantes (NV) à 13,56 pour mille NV durant la période 2011-2018. Cependant, celle-ci continue à représenter près de 71% de la mortalité infanto-juvénile. La prématurité, le faible poids à la naissance, l’asphyxie néonatale et l’infection en constituent les principales causes et les progrès consentis restent disproportionnés entre milieux, entre régions et entre différentes catégories de population.
De ce fait, des défis persistent en ce qui concerne la couverture universelle de soins de santé maternelle et néonatale notamment en matière d’accès inéquitable et de disparités subsistantes intra et interrégionales. Aussi, la qualité des soins reste, malgré les efforts fournis, insuffisante face aux besoins des mères et des nouveau-nés.
Ciblant les Objectifs de développement durable (ODD), le ministère de la Santé a développé son Plan de Santé 2025 qui a pour objectif d’aboutir à un «système de santé homogène, avec une offre de soins organisée, de qualité, et accessible à tous, soutenu par des programmes de santé efficaces», et ce conformément à neuf principes qui sont : la qualité des services, l’égalité d’accès, la solidarité, la continuité, la proximité, la performance, l’efficacité, la responsabilité et la reddition des comptes. 


Le rôle important des bienfaiteurs

Les soins dans les services de néonatologie et de réanimation néonatale coûtent très cher. Les parents, en plus de la souffrance qu’ils ressentent à cause de la situation de leur bébé, sont constamment préoccupés par le moyen de payer ces frais qui peuvent rapidement atteindre des sommes astronomiques. Heureusement que dans de nombreux cas, ils peuvent compter sur l’aide des bienfaiteurs. Que ce soit au niveau des hôpitaux publics ou dans des cliniques privées, de nombreuses personnes font preuves de générosité et décident d’aider financièrement cette catégorie de patient en particulier. Le fait que ça soit très cher et aussi que ça concerne des tout petits bébés touche les cœurs de plusieurs donateurs.

Œuvre de la goutte de lait, un centre exemplaire
Certaines associations font de l’accessibilité aux soins pour les prématurés et bébés malades leur cheval de bataille. C’est le cas de l’œuvre de la goutte de lait à Casablanca. Cette organisation qui existe depuis 105 ans, a été réactualisée depuis une vingtaine d’années et devenu désormais un centre de prématurité et de néonatologie, un des plus réputés de la métropole. D’après Abdellatif El Alami, pédiatre néonatologue et président de l’Œuvre de la goutte de lait, le centre enregistre à peu près 1.000 hospitalisations par an. Il reçoit des enfants de Casablanca et d’autres villes telles que Mohammedia, El Jadida, Safi, Béni Mellal… Avec 30 couveuses et 20 berceaux, le centre peut accueillir 50 bébés en même temps. «Nous sommes dans la plupart du temps au complet, surtout en hiver, la saison de bronchiolite. On reçoit ces enfants soit via les cliniques privées, soit les hôpitaux ou bien des sages-femmes. Lorsque le bébé nait prématuré ou avec des complications, le centre écrit une lettre pour décrire la situation médicale du bébé, les parents amènent l’ordonnance et une fois notre médecin donne son accord, notre ambulance équipée de couveuse et à son bord une infirmière vont chercher ledit bébé», affirme Dr Abdellatif El Alami. 
Le centre de la goutte de lait est géré par des médecins bénévoles. Ce sont cinq pédiatres qui se relaient pour assurer une permanence 24 h/24. «Le paiement des frais d’hospitalisation se fait selon plusieurs méthodes. On a deux conventions. L’une avec l’INDH et l’autre avec le ministère de la Santé. Par le biais de ces conventions, le patient, en général les ramédistes, doit payer 600 DH la journée pour 10 jours, soit 6.000 DH maximum quel que soit le montant réel de l’hospitalisation qui peut atteindre des dizaines de milliers de dirhams. Le ministère de la Santé a interrompu cette convention depuis une année, mais elle va probablement être reconduite. Nous avons également des conventions avec la majorité des compagnies d’assurances. Ainsi, lorsque le malade arrive, et qu’il a une mutuelle, il bénéficie d’une prise en charge à hauteur de 70 à 80% généralement et pour le reste, nous évaluons l’état social des parents et leur capacité à payer le montant restant. Et suite à cette évaluation, nous décidons du montant qu’ils devront payer», confie le président de la goutte de lait. Et d’ajouter : «Malheureusement, nous vivons parfois des situations dramatiques où les parents sont tellement désespérés et ont peur des frais qu’ils finissent par abandonner leurs enfants. Et dans ce cas, c’est l’œuvre de la goutte de lait qui prend en charge ces enfants, tout comme les bébés malades qui viennent de la Maison d’enfants Lalla Hasna. Heureusement que nous pouvons compter sur l’aide précieuse et la générosité des bienfaiteurs, dont certains sont des donateurs réguliers et qui nous aident à couvrir de nombreuses charges financières et pouvoir ainsi prendre en charge plus de bébés malades». 

Soror Biladi, une jeunesse au grand cœur 
L’association Soror Biladi, créée en 2016, compte déjà de nombreuses réalisations à son actif. Parmi les plus importantes figure celle d’avoir équipé le Service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants Ibn Sina à Rabat avec deux couveuses, quatre berceaux chauffants, quatre appareils de photothérapie à LED et cinq pousses seringues. «Notre association a commencé par aider financièrement des cas particuliers au niveau de l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat. Ensuite, nous avons décidé de nous focaliser sur le réaménagement du service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants. Et en discutant avec la chef du service, nous avons mieux compris les besoins, ce qui nous a poussés à faire une levée de fonds en 2017 dans le but de renforcer le service. Les fonds collectés, 500.000 DH nous ont permis d’acheter des couveuses et des berceaux chauffants… pour mieux équiper ce service. Et actuellement, nous sommes en train de travailler sur un nouveau projet ; celui d’importer un matériel innovant appelé “Embrace Nest Infant Warmer”. Il s’agit d’une sorte de couveuse transportable facilement, rechargeable et qui surtout coûte moins chère que les couveuses normales», a confié Zineb Chemao, présidente de l’association Soror Biladi. «Notre objectif est de distribuer ces “couveuses innovantes” au niveau national si cela marche. Car comme tout le monde le sait, de nombreuses régions du Maroc n’ont pas de centres de néonatologie, ce qui prive beaucoup d’enfants nés avec des complications d’accéder à des soins à proximité de chez eux. Ce serait donc très profitable de mettre ce type de matériels à l’extérieur des grandes villes, ne serait-ce que pour transporter ces bébés dans de bonnes conditions aux grands centres de néonatologie. Certes, ces couveuses ne remplacent pas à 100% les couveuses normales mais peuvent sauver un enfant qui a besoin de chaleur puisqu’elles permettent de les maintenir à la température de 37 °C. Elles peuvent aussi servir à libérer des places pour les enfants qui n’ont plus vraiment besoin de soins intensifs. Le service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants Ibn Sina est actuellement en train de tester ces machines pour les valider pour qu’on puisse par la suite importer une grande quantité et la distribuer au niveau national», poursuit-elle. 


Prévention et sensibilisation

Les accouchements prématurés peuvent survenir à cause d’un problème de santé chez la future maman comme une malformation utérine, l’existence d’un ou plusieurs fibromes, des anomalies au niveau du col de l’utérus, l’anémie, le diabète, l’hypertension artérielle, les hémorragies et les infections urinaires et cervico-vaginales. Un accouchement prématuré peut également être déclenché pour des raisons fœtales qui sont pratiquement dominées par toutes les causes qui peuvent entrainer une surdistension utérine, notamment un gros bébé, une grossesse gémellaire ou multiple, un liquide amniotique en grande quantité, et qui font que l’utérus commence à se contracter avant terme. Pour pouvoir maitriser tous ces problèmes et minimiser les dégâts, il est important de surveiller le bon déroulement de la grossesse. Un bon suivi de la grossesse permet de dépister toutes les causes qui peuvent déclencher un accouchement prématuré pour pouvoir les traiter au bon moment. «Afin de prévenir les pathologies les plus meurtrières chez les bébés, il faut absolument sensibiliser l’ensemble des citoyens à l’importance d’avoir un mode de vie sain, du respect des règles d’hygiène, de suivre la grossesse pour éviter les risques et prendre les précautions nécessaires en cas de problème de santé chez la mère ou le fœtus, de se rendre dans un milieu médicalisé dès les premiers signes de travail pour accoucher dans de bonnes conditions. Au Maroc, les femmes ne sont malheureusement pas assez sensibilisées à ces règles importantes d’où la multiplication des cas d’accouchements prématurés et d’infections liés à la naissance», déplore Amina Barkat, chef de service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat. Et d’ajouter : «Il faut aussi sensibiliser les populations au respect de la filière de soins pour éviter d’encombrer les centres d’hospitalisation tertiaire lorsqu’on a la possibilité de se faire prendre en charge dans un centre normal, pour laisser la place au cas qui sont vraiment compliqués. Car le fait de ne pas encombrer permettra au personnel médical d’offrir des soins de qualité». 


Entretien avec Maryam Bigdeli, représentante de l’OMS au Maroc

Le Matin : Que peut-on dire des services de néonatologie au Maroc en comparaison avec ceux des autres pays ?
Maryam Bigdeli
: En comparaison avec les autres pays de la région, le Maroc a fait des efforts importants en termes de réduction de la mortalité maternelle et des enfants de moins de 5 ans et particulièrement des nouveau-nés. En effet, l’Enquête nationale population et santé de famille (ENPSF) réalisée en 2017-2018 a révélé que le ratio de mortalité maternelle a baissé de 112 à 72,6 décès pour 100.000 naissances et que le taux de mortalité néonatale a connu une baisse de 38% entre 2011 et 2018. Ces résultats positifs montrent que les services à la mère et à l’enfant se sont globalement améliorés ces dernières années.
L’enquête quant à elle met en évidence de nombreux défis à relever, mais elle sert surtout de référence pour une amélioration constante de la qualité des services. En cela, elle démontre une réelle volonté de maintenir les efforts pour améliorer la santé de la mère et de l’enfant au Maroc

Quels sont selon vous les points sur lesquels il faut absolument travailler pour améliorer l’accès ainsi que la qualité des soins au sein des services de néonatologie au Maroc ?
Un plan d’action global pour les nouveau-nés a été développé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef. Ce plan d’action confirme que plus de 80% de tous les décès néonatals résultent de trois problèmes évitables et pouvant être traités – les complications dues à la prématurité, les décès lors de l’accouchement (y compris l’asphyxie à la naissance) et les infections néonatales. 
Des interventions efficaces et économiques, ayant fait leurs preuves, existent pour prévenir et traiter chacune de ces causes. Améliorer la qualité des soins dans la période qui entoure la naissance permettra de sauver la majorité des vies, mais pour cela il faut un personnel médical formé et équipé, y compris les agents de santé ayant des compétences obstétricales, et des produits essentiels disponibles. Ce plan d’action global appelle toutes les parties prenantes à prendre des mesures spécifiques pour améliorer l’accès aux soins de santé et la qualité de ces soins pour les femmes et les nouveau-nés, à toutes les étapes de la prestation de soins et ceci à travers le renforcement des soins fournis pendant la période cruciale de l’accouchement, ainsi que le premier jour et la première semaine de vie. Il faut aussi améliorer la qualité des soins maternels et néonatals (par exemple mise à niveau de l’infrastructure, formation médicale et paramédicale, protocoles et parcours de soins, etc.), ne laisser personne pour compte et atteindre chaque femme et chaque enfant avec les soins adéquats, recenser chaque nouveau-né à travers l’enregistrement des naissances et des décès et utiliser l’influence des parents, des femmes et des communautés pour faire évoluer les pratiques.

Le Maroc a lancé il y a quelques mois le Plan de santé 2025, relatif à la consolidation des acquis dans le domaine de la santé maternelle et néonatale. Que pensez-vous de ce plan ? Et croyez-vous que le Maroc peut atteindre les ODD d’ici 2030 en matière de lutte contre la mortalité maternelle et infantile ?
Le plan de santé 2025 a été élaboré en concertation avec les partenaires institutionnels, les professionnels de santé, les partenaires sociaux et de la société civile. Il est structuré en 3 piliers et 25 axes d’intervention parmi lesquels un axe spécifique pour la consolidation des programmes de la santé de la mère et de l’enfant. Les objectifs de cet axe d’intervention visent à réduire le ratio de mortalité maternelle de 72,6 à 48 décès pour 100.000 naissances vivantes et de réduire le taux de mortalité néonatale de 13,5 à 10 décès pour 1.000 naissances vivantes à l’horizon 2025. Pour ce faire, les interventions programmées concernent le renforcement de la disponibilité et de l’accès aux soins, l’élargissement de la couverture et la réduction des iniquités d’accès, le développement des interventions communautaires et le renforcement de la gouvernance. Si le Maroc maintient ses efforts de réduction de la mortalité maternelle (avec un taux annuel de réduction supérieur à 5,5%), nous sommes confiants qu’il sera au rendez-vous des Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 en matière de lutte contre la mortalité maternelle et néonatale.  


Pics importants en hiver et en été

Selon les statistiques mondiales, les services de réanimation néonatale sont débordés en hiver et en été. En effet, on remarque qu’il y a des pics d’hospitalisation des nouveau-nés durant ces deux saisons dans le monde entier et le Maroc ne fait évidemment pas exception à la règle. En été, l’augmentation des cas de naissances prématurées s’explique justement par les températures très élevées durant cette saison, ce qui met mal à l’aise la femme enceinte et peut déclencher dans de nombreux cas un accouchement précoce. En hiver, cela est dû à certaines pathologies qui sévissent particulièrement durant la saison froide, telles que l’hypertension artérielle gravidique qui touche beaucoup de femmes enceintes durant cette période. «Cette maladie cause certainement des complications chez le bébé et des risques d’accouchement prématuré, ainsi que des risques d’asphyxie périnatale», souligne Amina Barkat, chef de service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat. «À cause de ces pics et de l’affluence des patients au service de réanimation néonatale durant ces périodes de l’année, nous pouvons rencontrer certains problèmes tels que l’usure rapide des machines, qui ne se reposent presque jamais. Ainsi, une machine d’une durée de vie de 5 ans est usée au bout d’une année, ce qui génère des besoins importants. Tout cela nécessite une dynamique de réflexion perpétuelle pour trouver des solutions et chercher les ressources possibles», poursuit Pr Barkat.
De son côté, le ministère de la Santé prend quelques mesures afin d’assurer un suivi rigoureux de la grossesse durant la saison hivernale dans le but de limiter les complications chez les nouveaux nés.
«Avant la saison hivernale et dans le cadre de la programmation de l’opération “Riaya”, les femmes enceintes nécessitant le suivi entre le mois de novembre et mars sont identifiées et prises en charge sans interruption des consultations. Ceci permet d’éviter toute souffrance du nouveau-né issue de la grossesse et les souffrances périnatales sont prévenues lors de l’accouchement puisque ces femmes sont orientées vers les maisons d’accouchements et les maternités pour un accouchement en milieu surveillé. D’autres souffrances issues non évitables (comme les malformations) sont diagnostiquées dans la salle d’accouchement et orientées vers les hôpitaux de référence pour une prise en charge adéquate», indique Anas Doukkali, ministre de la Santé. 


Pourquoi les soins néonataux sont-ils aussi chers ?

Les soins en services de néonatologie sont réputés pour leur prix excessivement cher. La prise en charge d’un bébé prématuré qui pèse moins d’un kilo peut durer des mois et coûter plusieurs centaines de milliers de dirhams. Souvent, les parents se plaignent du manque de moyens, même ceux qui bénéficient d’une assurance maladie n’arrivent pas à s’en sortir, car les frais dépassent les plafonds fixés par les assurances. Que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, les tarifs sont très élevés. Dans le public, une nuitée de réanimation coûte 1.500 DH, une nuitée de soins intensifs est de 1.000 DH et une nuitée de néonatologie simple est à 500 DH. Dans une clinique privée, les tarifs au service de réanimation varient entre 5.000 et 10.000 DH par nuitée, tandis qu’une nuit aux soins intensifs coûte entre 2.500 et 4.500 DH. Les soins néonataux sont chers pour diverses raisons et ceci n’est pas spécifique au Maroc, c’est valable dans tous les pays du monde. «Il faut tout d’abord savoir que le matériel utilisé dans ces soins coûte très cher. Par exemple, une couveuse simple peut coûter dans les 80.000 DH, les couveuses de réanimations dépassent facilement les 140.000 DH, un respirateur, ça peut coûter les 250.000 DH, un appareil de ventilation non invasive néonatale coûte environ 150.000 DH. Donc tout est très cher. Et malheureusement, quand on utilise ce matériel sans arrêt, sa durée de vie diminue. Le lit simple de réanimation néonatale peut dépasser dans son coût les 600.000 DH», explique Dr Barakat. Et d’ajouter «Aussi, les médicaments utilisés en soins néonataux sont également très chers. Par exemple, un prématuré qui est né sans avoir terminé la maturité de son poumon aura besoin d’un médicament qu’on appelle le Surfactant qui coûte 5.000 DH/flacon. Et le bébé aura évidemment besoin de bien plus d’un seul flacon. L’oxygène aussi est cher». 
Outre la cherté du matériel et des médicaments, les tarifs élevés appliqués en service de néonatologie s’expliquent par la technicité de cette spécialité de médecine pédiatrique qui est très particulière et difficile. «À l’échelle nationale, nous n’avons pas beaucoup de néonatologistes et encore moins des néonatologistes réanimateurs. La technicité en néonatologie et surtout en réanimation néonatale nécessite beaucoup de compétences qui ne sont pas très disponibles», déplore Dr Amina Barakat.


Les soins kangourou... une solution à moindre coût

Les soins Kangourou sont des soins qui consistent à porter un enfant prématuré sur le ventre en contact peau contre peau. Cette méthode, recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est très efficace et facile à appliquer. Elle contribue à la bonne santé et au bien-être des prématurés et des nourrissons nés à terme et a prouvé son efficacité dans de nombreuses études menées dans ce domaine. L’OMS a même publié un guide qui fournit des conseils sur la façon d’organiser les services sanitaires spécialisés vers lesquels ces nouveau-nés sont orientés et sur ce qui est nécessaire pour mettre en place et dispenser les soins «kangourou», tout particulièrement dans des milieux où les ressources sont limitées.
Au Maroc, le centre de médecine et réanimation néonatale du CHU Ibn Sina à l’hôpital de l’enfant de Rabat l’unique centre au niveau national qui a mis en place une unité prodiguant des soins kangourou baptisée «unité arc en ciel». «Les résultats de nombreuses études mondiales ont montré que faire du peau-à-peau avec un bébé prématuré, ou ce qu’on appelle les soins kangourou, a de nombreux bienfaits. Cette technique consiste à positionner le plus longtemps possible bébé directement contre le corps de sa maman ou même son papa ou sa grand-mère, tout en enveloppant son corps dans une couverture. Les études ont prouvé que cela permet de mieux stabiliser le rythme cardiaque du bébé ainsi que sa respiration et sa température. Ces bébés prennent aussi du poids plus rapidement que ceux qui restent dans une couveuse, et leur cerveau se développer plus efficacement. Cela permet également aux parents d’entamer dès la naissance de leur enfant une relation privilégiée avec lui et d’être complètement intégrés dans son traitement», explique Amina Barkat, chef de service de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat. «Au niveau de notre centre nous avons mis en place une unité de soins kangourou, l’Unité arc-en-ciel, qui a été totalement aménagée pour accueillir les mamans qui restent avec leurs enfants 24 h/24 à l’hôpital. Elles ont une cuisine, une salle de bain avec toilettes et des lits pour dormir. Elles bénéficient d’une formation en soins kangourou hospitaliers, mais aussi de soins kangourou communautaires. De cette façon, même lorsque l’état de santé du bébé sera plus stable et qu’il devra rentrer chez lui, la maman peut continuer ses soins», poursuit Pr Barakat. Et face à la cherté des tarifs des soins de néonatologies, il est important de signaler que les soins Kangourou représentent LA solution qui permet de prodiguer un soin de santé de qualité aux prématurés à un coût très bas. Le centre de réanimation pédiatrique et de néonatologie à l’hôpital d’enfants du CHU Ibn Sina à Rabat discute, depuis quelques mois, avec le ministère de la Santé des moyens de démocratiser ce type de soins et multiplier les unités kangourou au niveau des hôpitaux du Royaume. 

Enquête réalisée par Hajjar  El Haiti avec la collaboration de Hafsa Sakhi

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