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Le diagnostic sans complaisance de l’Académie Hassan II des sciences et techniques

Comme elle l’avait déjà fait en 2012, l’Académie Hassan II des sciences et techniques alerte à nouveau la communauté scientifique et tous les responsables du secteur sur l’état de la recherche scientifique et technique au Maroc ainsi que sur l’urgence de sa relance par des mesures fortes, durables et concrètes. Dans un rapport intitulé « Politique scientifique, technologique et innovation pour accompagner le développement au Maroc », l’Académie Hassan II établit un diagnostic sans complaisance de l’état de la recherche scientifique et technique au Maroc. Le document décortique les carences du secteur, ses ressources humaines et financières, sa gouvernance et explore les pistes envisageables pour en faire un levier de développement et un facteur de croissance économique. Ce faisant l’Académie entend contribuer à la réflexion en cours sur le nouveau modèle de développement dans sa dimension lié à la recherche et innovation. Le Matin propose en exclusivité à ses lecteurs les principaux enseignements ainsi que les recommandations phares de ce rapport qui a été présenté au Chef du gouvernement, le 17 mai dernier.

Le diagnostic sans complaisance de l’Académie Hassan II  des sciences et techniques
Le Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, recevant le secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des sciences et techniques, Omar Fassi Fehri, qui lui a remis le rapport sur l’évolution de la recherche scientifique au Maroc.

Retard par rapport aux pays comparables
Il convient de rappeler de prime abord que l’Académie Hassan II des sciences et techniques avait produit deux rapports (2009 et 2012) consacrés à l’état de la recherche scientifique au Maroc. Mais six ans après et en dépit de l’accueil favorable qui leur a été réservé, les propositions et recommandations formulées n’ont pas connu d’application concrète et peu d’avancées ont été enregistrées depuis lors pour la relance du secteur.
De prime abord, le rapport annonce la couleur, précisant que la production scientifique marocaine «si elle n’a pas reculé, n’a pas non plus progressé suffisamment, elle connaît une stagnation et même un certain retard par rapport aux pays comparables». Le document indique ainsi que sur le plan de l’Indice mondial de l’innovation, le Maroc a reculé de 4 places passant du 72e rang en 2017 au 76e rang en 2018 (sur 127 pays).
Autre constat alarmant : l’Académie Hassan II des sciences et techniques affirme que la recherche scientifique et l’innovation technique participent peu au développement du pays. «Il y a une forte préoccupation quant au retard que connaît notre recherche scientifique et technique et qui freine le développement du pays dans un monde globalisé caractérisé par une compétition exacerbée», souligne le rapport.

Ressources financières limitées
Prenant en compte les critères adoptés par les pays de l’OCDE, le rapport indique que la dépense intérieure brute de la Recherche & Développement du Maroc (DIRD : la dépense totale intramuros afférente aux travaux de la R&D exécutés sur le territoire national sur une année) place le Royaume au 51e rang sur 128 pays avec un montant de 1,5 milliard en dollars de parité de pouvoir d’achat (en 2018).
Après avoir rappelé que la DIRD du Maroc est composée de la DIRD publique, de la DIRD des entreprises privées et de celle provenant de la coopération internationale, le rapport souligne qu’entre 2001 et 2016 la DIRD nationale a augmenté de façon soutenue passant de 2,36 milliards de DH en 2001 à près de 7,1 milliards 2016, soit une augmentation de plus de 233%. Le rapport relève aussi une progression significative de la contribution du secteur privé, dont le pourcentage en volume est passé de 19% en 2001 à près de 30% en 2016.
En 2016, la part du PIB consacrée à la R&D au Maroc est de 0,75%, ce qui le situait encore parmi les pays qui consacrent entre 0,5% et 1% du PIB à la R&D. Partant de ces chiffres, l’Académie Hassan II des sciences et techniques conclut que Maroc reste encore loin de l’objectif fixé par la Charte de l’éducation et de la formation élaborée par la Cosef (Commission spéciale éducation-formation), soit 1% du PIB en 2010. Elle déplore également une stagnation depuis 2010 de la part de la DIRD dans le PIB.

Production scientifique faible
Pour apprécier la production scientifique du Maroc, l’Académie Hassan II des sciences et techniques s’est basée sur la banque de données utilisée, Web of science (WOS). Les résultats de 2010 à 2016 montrent que dans la base WOS, la production marocaine (mesurée à l’aune du nombre de publications parues dans les revues scientifiques internationales indexées et à comité de lecture) a progressé de plus de 50%, passant de 1.217 en 2010 à 1.859 publications en 2016. Mais malgré cette progression, la production des publications scientifiques marocaines se classe derrière celles de l’Égypte (10.091), l’Afrique du Sud (9.777) et la Malaisie (9.093), qui sont en croissance continue et soutenue depuis 2010. Viennent ensuite la Tunisie (3.893) et l’Algérie (3.188), puis les résultats du Maroc (1.859) dont la production est supérieure sur la période considérée à celle du Kenya (1.291).
S’agissant du rapport entre le nombre de publications nationales et le nombre de publications mondiales (la part mondiale), le document indique qu’en 2016, la production scientifique du Maroc représentait une contribution de 1,51‰ à la production mondiale avec une progression notable depuis 2010. Pour l’Académie Hassan II des sciences et techniques, le Maroc est largement dépassé par les contributions algérienne et tunisienne. Pis, rapportée à l’effectif des enseignants chercheurs (12.515 en Tunisie contre 18.139 au Maroc), la production scientifique marocaine équivaut en 2016 à environ la moitié de celle de la Tunisie.

Comment relancer le système de la recherche scientifique et technique
Pour ce faire, l’Académie Hassan II des sciences et techniques propose plusieurs pistes à explorer. La première consiste à identifier les domaines scientifiques prioritaires. Elle souligne ainsi l’importance de mettre en place une politique identifiant les domaines scientifiques prioritaires et utiles au développement du Maroc sur le court, moyen et long termes.

1. identifier les domaines scientifiques prioritaires
Sur le court terme, les domaines prioritaires portent sur la valorisation des ressources naturelles en procédant à un inventaire de ces ressources, à la cartographie géologique et minière, à l’extraction et à la valorisation des produits du sol, des ressources marines et de la biodiversité. Dans le domaine de l’eau, il est recommandé de focaliser sur les technologies de rationalisation et d’exploitation des ressources hydriques et sur la recherche agricole. Le Rapport de l’Académie Hassan II préconise d’encourager la recherche scientifique dans le domaine de la mécanique, de l’électronique de l’aéronautique et de l’automobile, l’objectif étant de pouvoir «passer des activités purement manufacturières et d’assemblage à une participation à la conception et la fabrication des composants».
Sur le moyen et le long terme, le rapport identifie un deuxième groupe de domaines scientifiques «conditionnant l’avenir de l’humanité et pour lesquels le Maroc se doit de se préparer, en y encourageant selon une programmation réaliste et efficace la recherche. Il s’agit notamment des sciences fondamentales, mathématiques, la chimie physique, la géologie, les sciences de la vie et les sciences de l’univers». Le rapport met par ailleurs l’accent sur l’importance de développer la recherche dans les domaines de l’intelligence artificielle, le big data, la robotique et la cobotique (interaction homme-machine), mais sans omettre les sciences humaines, les sciences de l’éducation, les sciences de la culture et les langues étrangères.

2. Développer l’industrie via  l’innovation technologique
Autre piste à explorer, la nécessité de développer l’industrie via l’innovation technologique. À cet égard, l’Académie Hassan II recommande la création de pôles d’innovation, unissant universités et entreprises autour de projets d’innovation sous forme de groupement d’intérêt public, en application de la loi 08.00 relative aux groupements d’intérêt public. Ces groupements seront destinés à rapprocher les universités du monde de l’entreprise, à encourager leur coopération autour d’objectifs communs, notamment pour promouvoir la conception et la réalisation de projets de R&D ainsi que la mise en place de programmes d’innovation et la création de pépinières et de start-ups.

3. Mobiliser les ressources humaines dédiées à la R&D et à l’innovation
Pour l’Académie Hassan II des sciences et techniques, si l’essoufflement constaté du système national de recherche est dû, jusqu’à un certain point, à l’insuffisance des moyens financiers, sa relance et son développement sont plus tributaires des ressources humaines, des chercheurs et des cadres de recherches susceptibles d’être mobilisées. Cette pénurie est aggravée par un déficit de la reconnaissance de la fonction de la recherche et de sa contribution au développement. Pour remédier à cette situation, l’Académie Hassan II des sciences et techniques estime dans son rapport que l’université doit jouer un rôle moteur dans ce processus et devenir une structure productive de science d’innovation. D’où l’urgence de former les chercheurs en nombre suffisant dans les domaines prioritaires pour le Maroc.
Selon le rapport, les besoins futurs en chercheurs de très haut niveau de compétences se pose avec une acuité particulière, de par la nécessité de remplacer les départs à la retraite (800 par an environ) et de par les besoins inhérents à l’accroissement annuel des nouveaux étudiants, autour de 18 à 20%, alors que l’ensemble des doctorants diplômés annuellement représente aujourd’hui moins de 2.000, toutes disciplines confondues. Une telle problématique ne peut être résolue que par l’élaboration d’une stratégie nationale de formation, définissant les besoins par domaine, sur les moyen et long termes, selon une programmation rigoureuse et la mise en place de moyens humains et budgétaires conséquents, avec un système de suivi et d’évaluation.

4. Assurer un financement adéquat de la R&D
Pour l’Académie Hassan II des sciences et techniques, un financement adéquat devrait être assuré durant la période 2019-2030 pour répondre à la montée en charge de la stratégie de formation et de recrutement, ainsi qu’aux activités de recherche et développement et d’innovation. Dans ce cadre, le rapport propose :
• Une augmentation progressive de la part du PIB consacrée à la recherche et à l’innovation pour atteindre au moins 1,5% à l’horizon 2025 et 2% à l’horizon 2030.
• L’incitation des secteurs de production à investir dans la recherche et l’innovation par des mesures d’incitation fiscale.
• L’élargissement des secteurs contributeurs au Fonds d’affectation spéciale créé en 2000 et dédié à la recherche scientifique et au développement technique, aujourd’hui regroupé avec le Fonds créé dans le cadre de la loi sur la libéralisation du secteur des télécommunications alimenté par 0,25% du CA des sociétés concessionnaires, le tout géré par un département de l’enseignement supérieur.
• Une participation plus active aux programmes internationaux en invitant les chercheurs marocains à y participer et en développant la coopération scientifique bilatérale et multilatérale et mettre en œuvre les possibilités offertes au Maroc dans le cadre du Statut avancé avec l’Union européenne.
• Une simplification des procédures de gestion des crédits alloués aux universités et aux autres centres et structures de recherche en instituant le contrôle a posteriori, au lieu de l’actuel contrôle a priori, rigide et bureaucratique.
• Améliorer la gouvernance du système. La gouvernance du système national de la R&D et de l’innovation revêt une importance capitale. C’est la clef de voûte de toute relance de la recherche scientifique. Si bien que l’Académie Hassan II des sciences et techniques estime vital de donner plus de cohérence et plus d’efficience aux programmes et projets de recherche. Il s’agit aussi de renforcer la complémentarité entre les diverses instances et structures de recherche et d’améliorer le suivi et l’évaluation des chercheurs et des programmes. Pour y parvenir, l’Académie Hassan II des sciences et techniques juge nécessaire de doter les universités et les établissements de recherche d’une véritable autonomie administrative, scientifique et financière, «facteur puissant de mobilisation, de responsabilisation et d’émulation et de créativité». Une telle autonomie peut contribuer à mettre en place une nouvelle gouvernance au sein des diverses composantes de ces instances et à libérer les énergies. 

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