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«La différence au niveau des primes entre les athlètes olympiques et paralympiques est incompréhensible»

Athlète hors pair malgré son handicap, Abdennour El Fedayni mérite respect et reconnaissance pour les exploits qu’il a réalisés. C’est grâce à son équipe d’exhibition que le para taekwondo sera un sport olympique dès 2020 à Tokyo. Lauréat du Prix Mohammed Bin Rashid Al Maktoum de créativité sportive 2019, El Fedayni revient avec «Le Matin» sur sa carrière, ses ambitions et les défis qu’il a pu relever.

«La différence au niveau des primes entre  les athlètes olympiques et paralympiques  est incompréhensible»
Ph. Saouri

Le Matin : Quel est votre sentiment en remportant le Prix Mohammed Bin Rashid Al Maktoum de créativité sportive ?
Abdennour El Fedayni :
C’était un sentiment indescriptible, d'autant plus qu’on a été reçu au palais Zaabil par Cheikh Mohamed Rashid Al Maktoum. C’était un privilège pour moi. Je suis hyper content de représenter mon pays, le Maroc. Je suis fier d'avoir été honoré aux Émirats arabes unis.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas assez, on veut que vous nous rapprochiez un peu de la personnalité de Abdennour El Fedayni, symbole du défi et de la persévérance ?
Je suis né sans les deux bras le 18 janvier 1985 à l’hôpital Mohammed V à Meknès. Je ne peux pas décrire le moment de ma naissance, mais d’après mes parents, ma naissance sans les deux bras a été un choc pour eux, pour le personnel médical de l’hôpital, pour les amis de la famille et pour les voisins. C’était un cas rare qu’un enfant naisse sans les deux bras. Malgré cette naissance et grâce à Dieu, j’ai vécu une enfance normale. Je jouais avec des pierres et je courais avec des enfants de mon âge, même si j’ai commencé à marcher un peu tardivement à l’âge de 3 ans. C’était normal, du fait que je n’avais pas de bras, il était difficile pour moi d’être en équilibre. Ensuite, j’ai été scolarisé à l’Institution Ibnou Al Baytar, dans la ville de Khémisset. Cette institution pour qui j’ai beaucoup de respect et de reconnaissance. C’est l’unique institution au Maroc qui s’occupe des personnes en situation de handicap. C’était difficile pour moi de quitter mes parents à l’âge de six ans pour partir à l’école. La première année a été très difficile. Je pleurais souvent. Mais après, j’ai pris l’habitude de vivre loin d’eux. Je les rencontrais uniquement pendant les vacances scolaires. Cette période a aussi été trop difficile pour ma mère, qui se faisait trop de soucis pour moi, sachant bien sûr que je n’avais pas de bras. Elle se demandait comment j’allais m’en sortir (manger, m’habiller…). Mais je peux dire que c’est durant cette période que j’ai forgé ma personnalité.

Quelles sont les personnes qui vous ont aidé à forger votre personnalité ?
Plusieurs facteurs ont contribué au développement de ma personnalité. D’abord, l’éloignement de ma famille quand j’étais à école au primaire. Cet éloignement a été un facteur déterminant qui m'a aidé à forger ma personnalité. Je me souviens de Aziz El Boudiri, éducateur à Ibnou Al Baytar, qui n’avait pas non plus les deux mains. À l’époque, il me faisait tomber et me criait de me relever seul. Étant petit, j’avais le sentiment qu’il m’agressait. Mais ce n’est qu’après que j’ai compris qu’il voulait juste m’apprendre à me relever seul quand j'étais à terre. C’était ma première leçon dans la vie. Ensuite, j’ai été interne au collège, toujours dans la ville de Khémisset, avec des gens normaux. Ce n’est qu’une fois arrivé au lycée, que j’ai pu regagner ma ville natale, Meknès, pour le lycée Moulay Ismaïl.

Comment avez-vous découvert le para taekwondo ?
Au début, le sport pour moi, c’était uniquement le football et les échecs. Le taekwondo est arrivé dans ma vie par hasard. Cela a commencé quand j’ai rendu visite à des amis à un club de taekwondo. J’ai alors décidé de tester ce sport. Et avec le temps, j’y ai pris goût. Je me suis retrouvé dans ce sport. J’ai défié mon handicap jusqu’à arriver au plus haut.

Pourquoi insistez-vous pour qu’on parle de «sportifs ayant des capacités spéciales» et non pas de «sportifs ayant des besoins spécifiques» ?
Depuis 2012, date de création de notre association «Attahadi wa Al Israr» des personnes ayant des capacités spécifiques, on a compris que cette frange de la population méritait le meilleur et méritait la reconnaissance, parce que c’est elle qui remporte des médailles aux Jeux olympiques. C’est elle qui fait retentir l’hymne national dans de grandes manifestations sportives internationales. Quand on les appelle des handicapés, on les considère comme un fardeau pour la société. Quand on les appelle des personnes à besoin spécifique, on les range dans la catégorie de ceux qui ont besoin d’aide. Alors qu’en réalité, ils ont de grandes capacités et il faut juste pendre soin d’eux. C’est pourquoi j’insiste sur l’appellation «les sportifs ayant des capacités spécifiques».

Quel est votre programme pour l’année 2019 ?
L’année 2019 comporte un calendrier trop chargé. J'entamerai l’année par la participation au Championnat du monde de para taekwondo, début février, à Antalya en Turquie. Il y aura ensuite le championnat d’Afrique fin février. Mon programme comprend également une participation à un championnat aux États-Unis, en Europe et en Asie. Les compétitions du para taekwondo sont ouvertes à l’ensemble des athlètes du monde. Les athlètes africains peuvent participer aux compétitions européennes, américaines et asiatiques et vice-versa. Il nous faut juste l’aide de la Fédération Royale marocaine de taekwondo.

Existe-t-il au Maroc un organisme qui s’occupe du para taekwondo, sachant que ce sport est devenu, grâce à vos efforts, un sport olympique dès 2020 à Tokyo ?
Il a été décidé en 2015 que le para taekwondo serait un sport olympique en 2020. On a une lettre de reconnaissance de la Fédération internationale qui reconnaît que l’équipe de gala de l’association «Tahadi wa Al Israr» des personnes ayant des capacités spécifiques a joué un grand rôle dans la décision de rendre le para taekwondo un sport olympique. Pour revenir à votre question, je dis qu’il existe une Fédération Royale marocaine des sports pour personnes handicapées. En fait, la question qui se pose est : une seule fédération peut encadrer 21 sports paralympiques ? Est-ce qu’elle peut, à elle seule, préparer les sportifs de haut niveau dans les 21 disciplines olympiques ? Il y a aussi la Fédération Royale marocaine de sport des non-voyants et des malvoyants, créée récemment. C’est une fédération qui fait du bon travail et prépare les non-voyants et les malvoyants. Elle n’est plus sous la tutelle de la Fédération Royale marocaine des sports pour personnes handicapées. En ce qui concerne le para taekwondo, on ne sait pas s’il existe une commission pour s’occuper de cette discipline. Selon les dires du président de la Fédération Royale marocaine de taekwondo, les activités des sportifs de para taekwondo sont financées par l’argent destiné aux taekwondoïstes. En d’autres termes, il n’y a pas de subvention du ministère de tutelle destinée spécifiquement aux para taekwondoïstes.

Avez-vous reçu les primes pour les exploits que vous avez réalisés à l’international ?
Non, pas encore. Je ne sais pas jusqu’à quand on va attendre nos primes du ministère de la Jeunesse et des sports. Je me demande même s'il a réservé une subvention pour les sportifs paralympiques. Pourtant, ces athlètes réalisent des exploits à l’international. Je me demande si le ministère reconnaît nos exploits, car jusqu'à présent on n’a rien reçu. Comme le ministère n’a pas prévu du budget spécial pour le para taekwondo, nos exploits sont peut-être partis en fumée.

Que pensez des écarts entre les primes accordées aux paralympiques et celles attribuées aux sportifs dits normaux ?
Ce problème était un problème mondial. Mais en 2012, avant les JO de Londres, les athlètes paralympiques ont manifesté pour avoir les mêmes primes et ont obtenu gain de cause. En 2016 à Rio, la Tunisie a décidé d’octroyer les mêmes primes pour ses sportifs «normaux» et paralympiques. La semaine dernière l’Égypte en a décidé de même, sachant que tous ces pays ont une commission paralympique, contrairement au Maroc, qui n'en possède pas encore. Cette différence au niveau des primes est incompréhensible, sachant que les athlètes paralympiques brillent mieux que les olympiques. Je pense même que les athlètes paralympiques méritent d’obtenir le double des primes des olympiques, parce qu’ils défient leur handicap pour réaliser des exploits. Entretien réalisé par Abderrahman Ichi & Amine Raad

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