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«Il faut adapter la procédure judiciaire aux engagements internationaux du Maroc en matière de protection de l’enfance et simplifier les procédures de prise en charge des victimes d’abus sexuels»

L’association Anir d’aide aux enfants en situation difficile vient de lancer une campagne de sensibilisation aux violences et à l’exploitation sexuelle des enfants. Meriam Erraoui, sa présidente, revient sur les objectifs de cette campagne et sur l’importance de la sensibilisation pour vaincre ce fléau.

«Il faut adapter la procédure judiciaire aux engagements internationaux  du Maroc en matière de protection de l’enfance et simplifier les procédures  de prise en charge des victimes d’abus sexuels»
Meriam Erraoui.

Le matin : Quel est l’objectif de cette campagne ?
Meriam Erraoui
: La campagne se base sur deux types de supports, et s’adresse à plusieurs cibles, le premier support est d’abord un recueil de témoignages et le deuxième est un ensemble de vidéos et d’illustrations. À travers ces livrables, nous recherchons un double objectif à savoir la sensibilisation pour la prévention et la sensibilisation pour le plaidoyer afin d’aboutir à un changement.
Pour la sensibilisation, nous désirons approcher le grand public, car la problématique des violences et de l’exploitation sexuelle à l’égard des enfants nous concerne tous, et nous croyons que le poids des normes sociales peu protectrices est lourd. Nous cherchons à nourrir des réflexes de vigilances et de protection chez les familles et les professionnels à travers la diffusion de capsules vidéo et de messages de sensibilisation et l’impulsion de débats autour sur les réseaux sociaux. 
La particularité des supports de cette campagne est qu’ils sont disponibles en Arabe dialectal et en amazigh avec sous-titrage français, afin d’élargir le champ de sensibilisation. #Comprendre_Pour_Changer, est le nom de la campagne que nous voulons un mouvement qui portera d’autres messages autour de l’enfance et de la jeunesse dans l’avenir. 

Parlez-nous du livret «Exploitation sexuelle des enfants au Maroc : des témoignages pour comprendre et agir»...
Nous avons cherché à Anir à parler des violences et de l’exploitation sexuelle des enfants autrement, pas à travers des chiffres ou des concepts, mais en explorant les réalités des terrains dans le vécu des acteurs de protection de l’enfance et des familles de victimes. En parler en écoutant, en parler via la parole de l’autre, celle du professionnel et de la famille. 
Le livret s’adresse aux professionnels, aux parlementaires et aux décideurs concernés. L’objectif est de présenter un état des lieux via des témoignages fidèles à la situation sur le terrain, en présentant avec chaque témoignage une analyse objective des contraintes et des propositions concrètes qui apportent des éléments de travail et d’enrichissements des chantiers en cours, notamment celui de la mise en œuvre de la politique publique Intégrée pour la protection de l’Enfance au Maroc et celui de l’amendement du Code pénal et du code de la procédure pénale. La publication de ce recueil coïncide aussi avec le trentième anniversaire de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), ratifiée par le Maroc en 1993, un contexte qui nous pousse à questionner nos pratiques et l’effectivité de la protection des enfants dans notre pays.

Selon vous, comment peut-on mieux protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle et tout autre abus ?
La question de la protection de l’enfance généralement, et des abus et exploitation des enfants sont très complexes, car les réponses et solutions dépendent de diverses intervenantes et donc divers interlocuteurs (police, ministère public, Justice, Santé, Éducation nationale, associations, ministère du Développement social, ministère de la Jeunesse et sport...).
Centraliser et coordonner la prise en charge au niveau territorial est donc la clef du système de protection de l’enfance. À côté de cela, diverses actions peuvent être mises en œuvre à plusieurs niveaux.
Mettre en œuvre des campagnes de prévention et de sensibilisation en utilisant des messages clairs et un langage direct, et en ciblant en priorité les populations en situation précaire vivant dans le milieu rural et périurbain, afin de lutter contre les perceptions sociales stigmatisant les enfants victimes. Il faut également encourager la culture du signalement chez le grand public et encourager les parents des victimes à briser la loi du silence.
Aux niveaux juridique et législatif, il faut adapter la procédure judiciaire aux engagements internationaux du Maroc en matière de protection de l’enfance et simplifier les procédures de prise en charge des victimes d’abus sexuels. Il faut également penser à dédier un espace privé spécial pour les enfants victimes d’agressions sexuelles dans les tribunaux, les hôpitaux et les commissariats.
En outre, il faudra former des cadres spécialisés sur la violence et l’exploitation sexuelles contre les enfants pour travailler dans les associations, comme dans les écoles, les tribunaux, les hôpitaux et les commissariats, afin qu’ils puissent accompagner efficacement et professionnellement les victimes et pallier le manque de connaissances des procédures, ou leur absence, afin que les acteurs d’accueil des victimes et de leurs familles puissent répondre de manière efficace à la demande urgente des victimes.
Enfin, aux niveaux politique et institutionnel, nous pensons qu’il faut mettre en œuvre une politique de protection sociale pour lutter contre les facteurs de vulnérabilité et de fragilité, source majeure de violence sexuelle sur les enfants et adopter une approche globale, transversale et harmonieuse dans la gestion des violences sexuelles subies par les enfants, sans oublier d’accélérer la mise en œuvre de la PPIPEM. 

Croyez-vous que les Marocains sont suffisamment sensibilisés dans ce sens ?
Nous constatons que la société marocaine n’est pas encore suffisamment sensibilisée dans ce sens. Nous pouvons constater cela à partir de notre quotidien en tant que personnes avant d’être des professionnels de la protection de l’enfance, des comportements et des postures qui peuvent nous sembler anodins sont très révélateurs de ce manque de sensibilisation. Par exemple, il est encore accepté dans notre société que des petits garçons de 1 an à 6 ans prennent leurs bains dans le hammam public avec leurs mamans, ceci est un facteur de risque par rapport à la notion du corps et les limites de l’intimité chez l’enfant. 
Nous pouvons citer beaucoup d’autres exemples qui démontrent que dans l’esprit des Marocains les violences et l’exploitation sexuelle des enfants ne sont qu’un phénomène rare qui n’arrive qu’aux autres, il reste encore un tabou difficile à évoquer en famille ou à l’école. Cela n’encourage pas les enfants victimes à se confier en cas d’abus ou de risques. 
Pour une sensibilisation plus large, nous devons avoir déjà une conscience et une volonté publique. Une vraie politique de sensibilisation doit se traduire par des actions pérennes et institutionnelles à l’école, aux associations, aux hôpitaux, hôtels et dans les médias. 
La sensibilisation est un moyen de prévention très efficace. Aussi, il est primordial que tous les établissements qui accueillent des enfants ou qui peuvent les accueillir même ponctuellement disposent de procédures internes de protection de l’enfance. 

Outre le lancement de cette campagne, quelles sont les autres actions d’Anir pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants ?
D’abord, je tiens à préciser que le lancement de la campagne s’est tenue à la Faculté des sciences de l’éducation, Université Mohammed V, et cela dans le cadre d’une collaboration et un partenariat qui date de 2014 avec le master «Éducation et insertion des enfants et jeunes en situation difficile». Nous considérons que ceci fait partie de notre devoir en matière de rapprochement entre le milieu académique et la recherche universitaire et le terrain du travail et de l’action sociale. Parallèlement à la campagne, Anir met en œuvre plusieurs actions pour atteindre cet objectif, notamment le renforcement des capacités des acteurs associatifs et institutionnels de la région de Souss-Massa, via des formations sur les violences et l’exploitation sexuelles des enfants, la prise en charge médico-sociale et l’accompagnement juridique des enfants victimes de violences, en général, et de violences et d’exploitation sexuelle, en particulier, avec leurs familles et la sensibilisation des familles et des enfants aux outils de prévention contre ces violences. La mallette de prévention développée par l’association Amane représente un outil très utile qu’il faut diffuser davantage. 

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