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La fonction RH au Maroc entre avancées et incertitudes

La fonction ressources humaines au Maroc est en train de se transformer lentement mais sûrement, impactée par les tendances mondiales et challengée par la multitude de défis qu’elle doit relever, notamment les changements qui arrivent à un rythme de plus en plus effréné dans le sillage de la digitalisation, mais aussi le souci majeur que représente désormais la rétention des talents pour les entreprises.

Même avec toute la bonne volonté que les entreprises ont pu déployer afin de permettre à la fonction RH de se développer et d’occuper la place qui lui échoit en tant que fonction stratégique créatrice de valeur pour l’entreprise, celle-ci est encore loin d’avoir atteint le niveau de développement souhaité lui permettrait de suivre les tendances mondiales et d’être à la hauteur des défis qui impactent le monde du travail et la compétitivité des entreprises.
«Aujourd’hui, la prise de conscience est là, mais c’est la façon dont elle est exécutée qui n’est pas assez rapide», regrette Omar Lahbabi, associé Deloitte Conseil Maroc. «Ce que l’on voudrait, c’est que la RH devienne un Business Partner, c’est-à-dire qu’elle soit en alignement avec la stratégie de l’entreprise pour pouvoir accompagner son développement en allant chercher les meilleurs talents», a-t-il ajouté.
Le sujet a été au centre des débats lors du «Sommet RH by SuccessFactors», organisé récemment à Casablanca par SAP Afrique francophone sur le thème de «La transformation de la gestion des ressources humaines».
Interpellés sur la question, les professionnels des ressources humaines ont reconnu les grandes avancées accomplies par la fonction au Maroc, mais ont toutefois confirmé qu’il lui reste un long chemin à parcourir pour pouvoir faire face aux incertitudes qui guettent en permanence les milieux de travail.
«Il nous reste beaucoup de travail à faire sur nous-mêmes en tant que fonction RH pour passer d’une fonction très classique et très régalienne axée sur l’administration du personnel, à une fonction beaucoup plus proche du business et surtout acquérir une culture interne de services aux collaborateurs. Et c’est dans ce changement-là que réside la plus grande difficulté», a souligné Saad Berrada, DRH chez Intelcia.
«La fonction RH se développe très rapidement face à la globalisation et il y a des trends globaux qui, naturellement, impactent le Maroc», a indiqué pour sa part Gregory Strasser, vice-président, Chief Operating Officer chez SAP pour l’Afrique francophone.
Dans une déclaration au «Matin», ce dernier a expliqué que la force de travail est devenue plus mobile et, de par l’accélération de la mobilité et de la globalisation, une pression de plus en plus forte s’exerce désormais sur les entreprises au Maroc en termes d’acquisition, de développement et de maintien des ressources humaines.
En effet, la déperdition des talents trône en tête des préoccupations des entreprises et des professionnels de la fonction RH. Les chiffres avancés lors de ce Sommet RH ont donné la mesure de l’ampleur du phénomène. «Sur l’ensemble des cerveaux maghrébins qui partent en Europe, 46% sont des compétences marocaines et rien qu’en 2018, plus de 10.000 cadres hautement qualifiés ont quitté le Maroc pour d’autres pays», a fait savoir Gregory Strasser, notant au passage que cette déperdition des talents fragilise les entreprises et l’ensemble du tissu économique du pays.
«Si les entreprises veulent s’assurer de rester compétitives et de pouvoir attirer les talents, les garder et les développer, il est extrêmement important d’effectuer une transformation de la fonction RH», a-t-il insisté.
Pour Omar Lahbabi, ces talents sont surtout à la recherche de sens au travail. «Malheureusement, cette culture-là n’est pas complètement intégrée dans les entreprises marocaines au niveau de leur gestion des ressources humaines et de leur stratégie de recrutement», a-t-il déploré.
D’ailleurs, fait remarquer Ahmed El Alami, senior manager Transformation organisationnelle et Changement à Deloitte Conseil Maroc, le développement de la technologie qui continuera à transformer profondément les organisations et la manière dont elles fonctionnent rendra la mobilité plus simple pour cette génération qui ne veut plus faire la même chose toute sa vie.
En effet, d’après les données présentées lors de la rencontre par Marie Trojani, HR Value Advisor, EMEA MEE à SAP, la durée moyenne qu’un employé passe dans une entreprise est passée en quelques années de 15 à 4 ans (2,8 pour les millennials). Autres chiffres intéressants : 70% des millennials estiment qu’ils pourraient quitter leur entreprise à cause d’une expérience technologique médiocre et 2.000 employés quittent leur emploi chaque mois à cause d’une mauvaise expérience de travail.
L’experte a également révélé le large gap qui existe entre ce que pensent les chefs d’entreprises et ce que vivent réellement les employés. En effet, 69% des CEO interrogés pensent que leurs employés sont engagés alors que seuls 34% d’entre eux déclarent l’être !
Pour faire face à ces menaces, la conseillère recommande aux directions des ressources humaines d’aider les collaborateurs à trouver du sens dans leur travail par le dialogue continu sur la performance, mais aussi de leur faire sentir qu’ils font partie d’une communauté par le biais de groupes de collaboration, d’apprentissage social et de mentorat. 
Elle préconise également de leur créer des environnements inclusifs et favorables sans biais ni discrimination et de s’assurer qu’ils se sentent entendus.
«La DRH doit veiller au bien-être des collaborateurs en développant leurs compétences», estime Saad Berrada. Le professionnel explique que la «souffrance» des employés au travail n’est pas toujours liée à des facteurs externes. «Elle peut être causée par le fait que le collaborateur ne possède pas les compétences nécessaires pour affronter certaines situations compliquées qu’il rencontre tous les jours», a-t-il précisé.

Six tendances globales et autant d’enjeux
SAP a identifié six grandes tendances partagées par l’ensemble des entreprises dans le monde qui impactent le milieu du travail. Présentés par Marie Trojani lors du Sommet RH «Sommet RH by SuccessFactors», ces trends qui ne tarderont pas à arriver au Maroc représentent des enjeux majeurs pour la fonction RH.
La première tendance est relative à la composition de l’effectif de l’entreprise qui a évolué et qui comprend de plus en plus de travailleurs à l’externe. «Du point de vue compétences, l’entreprise n’a plus la possibilité de former toutes les compétences en interne et se voit obligée de se tourner vers les sociétés externes qui sont spécialisées dans certaines compétences particulières», commente l’experte. La deuxième tendance se rapporte à la rémunération qui est passée de «la taille unique» à la personnalisation. «Plusieurs études ont démontré que le salaire n’est pas un facteur d’engagement. C’est pourquoi les DRH doivent repenser ce genre de modèle et trouver une manière de pouvoir personnaliser et apporter à chaque collaborateur la reconnaissance attendue», a-t-elle précisé. La troisième tendance est liée aux technologies intelligentes qui, faut-il le souligner, chamboulent tout. Le développement des compétences est la quatrième tendance présentée comme étant un élément clé auquel vient s’ajouter le bien-être des collaborateurs devenu désormais un impératif. La dernière tendance citée concerne les attentes et les demandes des employés qui continuent également de changer.
Ahmed El Alami, qui se réfère aux conclusions d’une enquête récente de Deloitte, a de son côté cité deux tendances globales qui transforment le visage de l’entreprise marocaine et où la DRH a un rôle moteur à jouer. «Nous avons constaté à travers notre étude un besoin de mise en œuvre de l’entreprise sociale ou sociétale. Non pas dans le sens RSE et application des normes et standards, mais plus dans le sens où l’entreprise va au-delà de l’intérêt financier et se préoccupe aujourd’hui de l’impact qu’elle peut avoir d’abord en interne sur les humains qui la constituent», a-t-il indiqué.
L’autre tendance qui s’installe dans nos entreprises est l’effacement de la structure hiérarchique classique qui laisse désormais plus de place à un fonctionnement en réseau d’équipes. «Aujourd’hui, on va de plus en plus travailler en mode projets en choisissant parmi les différentes fonctions les ressources nécessaires à la réalisation d’un projet d’une durée déterminée. Et c’est de cette agilité que l’entreprise a aujourd’hui besoin pour réagir face à toutes les transformations», a-t-il relevé.

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Déclaration de Saad Berrada, DRH de Intelcia

«Je pense que la fonction RH a beaucoup évolué au Maroc grâce notamment à une prise de conscience collective des DRH et des chefs d’entreprise sur la nécessité d’asseoir une véritable politique RH qui accorde un intérêt particulier aux talents, à leur développement et à leur bien-être au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, la RH n’est plus uniquement une fonction support, mais elle est devenue dans bon nombre de secteurs une vraie fonction stratégique qui apporte de la valeur ajoutée à l’entreprise. La fonction RH se retrouve aujourd’hui au carrefour d’un certain nombre de chantiers à savoir : attirer, recruter, développer et fidéliser les collaborateurs sur la base de programmes et d’engagements concrets pour qu’ils puissent vivre la meilleure expérience de travail au sein de l’entreprise, mais aussi leur donner du sens, des perspectives et leur faire aimer leur entreprise. Parce qu’aujourd’hui, le rôle de la DRH est surtout de faire en sorte que le collaborateur s’épanouisse et aime son entreprise. Il faut dire que la fonction n’a pas encore atteint le niveau souhaité. Il nous reste beaucoup de travail à faire sur nous-mêmes en tant que professionnels de la fonction RH pour passer d’une fonction très classique et très régalienne axée sur l’administration du personnel à une fonction beaucoup plus proche du business et surtout avoir une culture interne de services aux collaborateurs. Et c’est dans ce changement que réside la plus grande difficulté. Plusieurs DRH travaillent aujourd’hui sur cette expérience collaborateur et cette culture des services qui sont à mon avis indispensables pour que la RH joue son rôle au sein de l’entreprise. Car “charité bien ordonnée commence par soi-même” et la fonction RH doit être au service des collaborateurs. Elle doit donner l’exemple, bien se structurer, attirer pour elle-même les talents avant de s’occuper des autres. En tout cas, le sujet est sur la bonne voie bien qu’il reste des efforts à faire. En matière d’évolution de la fonction RH, il y a certes une disparité claire entre les entreprises, mais je pense qu’aujourd’hui, celles qui sont en avance tirent les autres vers le haut pour le bien du Maroc et de ses talents.»

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Entretien avec Omar Lahbabi, associé Deloitte Conseil Maroc

«Il y a aujourd’hui une véritable prise de conscience de l’expérience employé»

Le Matin : Deloitte Conseil a réalisé une enquête sur les tendances RH au Maroc en collaboration avec l’Association des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF). Dites-nous-en plus.

Omar Lahbabi : Deloitte est un cabinet leader dans la transformation RH qui lance, tous les ans, une étude internationale autour des tendances mondiales de la fonction ressources humaines. Ce que nous avons réalisé cette année, en collaboration avec l’AGEF, c’est une localisation de cette étude-là pour pouvoir prendre la température de la fonction RH au Maroc auprès des différents directeurs des ressources humaines au niveau local.

Quelles sont donc les principales conclusions de cette enquête et quelles sont les principales tendances RH qui en ressortent ?
Ce qui ressort le plus de cette étude, c’est qu’il y a, aujourd’hui, une réelle prise de conscience autour de l’expérience employé. C’est un sujet qui est en train d’arriver. Nous avons constaté que les fonctions RH qui étaient auparavant principalement dédiées à la gestion administrative se concentrent désormais sur l’humain et les DRH mettent de plus en plus le focus sur ce facteur dans leur stratégie d’évolution et dans leur stratégie d’entreprise au sens large qui est en lien avec la gestion des talents. Ainsi, l’usage du digital est un vrai accélérateur de la transformation RH au sein des entreprises.

Cette prise de conscience de l’importance du facteur humain n’est-elle pas l’apanage des grandes entreprises ?
Au contraire, cette prise de conscience est effective à tous les niveaux. Bien évidemment, les grandes entreprises sont plus en avance et sont en ligne avec ce qui se passe au niveau international alors que les PME restent un peu en retrait, car leur principal focus est de délivrer de la valeur ajoutée auprès des clients. Néanmoins, on sent aujourd’hui qu’il y a quand même une prise de conscience même si la fonction n’est pas bien outillée au sein des PME. Chose qui est en train de changer en commençant par certaines bases comme, par exemple, la mise en place de SIRH (systèmes de gestion des ressources humaines). Tout cela est en train de prendre actuellement de l’ampleur au niveau national.

Les grandes tendances RH au Maroc sont-elles identiques aux tendances internationales ?
Au fait, c’est assez intéressant, car c’est en fonction de la maturité de l’entreprise. Quand on prend les grandes entreprises, elles ont évolué et suivent ce qui se passe au niveau international pour pouvoir garantir une expérience employé intéressante pour leurs salariés. Les PME et les TPE sont en train d’évoluer comme on le voit avec le recrutement de directeurs des ressources humaines alors que la fonction RH était toujours rattachée à un directeur administratif. Ces entreprises sont globalement en ligne avec les tendances RH mondiales parce que les priorités des directions sont en train de changer notamment sur le sujet de la formation ou encore l’utilisation massive du Cloud pour la fonction RH qui est une tendance mondiale qui permet une meilleure expérience client et surtout d’être itératif et adaptable. C’est une tendance qui est en train d’évoluer au Maroc, mais qui se heurte à certains freins, dont le manque d’acteurs capables de proposer des solutions sur le Cloud souverain. Globalement, nous avons des locomotives qui tirent vers les tendances au niveau international qui poussent les PME à réfléchir et à se réinventer sur la question de la fonction RH.

Cette évolution va-t-elle au rythme que nécessite le développement des entreprises et de l’économie marocaine ?
Malheureusement non. On voudrait avoir un rythme plus rapide et ce n’est pas le cas aujourd’hui. 
Même certaines grandes institutions restent assez focalisées sur certains sujets comme la gestion de la paie et la fonction RH est ainsi prise par son côté opérationnel. Ce que l’on voudrait, c’est que la RH devienne un Business Partner, c’est-à-dire qu’elle soit en alignement avec la stratégie de l’entreprise pour pouvoir accompagner son développement en allant chercher les meilleurs talents. Et pour cela, il est important de mettre en place une stratégie digitale orientée «employé» au sein des entreprises.

La rémunération est-elle toujours un facteur déterminant dans la rétention des talents au Maroc ?
Aujourd’hui, ce n’est malheureusement plus le cas. Le salaire reste bien évidemment une composante du package de rétention du talent, mais il n’est pas le seul. Ce que la nouvelle génération de talents recherche, c’est du sens au travail. Et il faut que les entreprises soient en mesure de leur donner ce sens-là et de leur permettre de voir l’impact de ce qu’ils sont en train de réaliser sur la société. Nous avons une génération qui est beaucoup plus consciente de ce qu’elle va laisser aux générations futures et de son impact sociétal sur son environnement. Et cette culture-là n’est pas complètement intégrée dans les entreprises marocaines au niveau de leur gestion des ressources humaines et de leur stratégie de recrutement.

La rétention des talents est un souci majeur pour toute entreprise. Sachant que la nouvelle génération ne reste pas dans la même entreprise au-delà de 4 ou 5 ans, retenir un talent reviendrait-il à le maintenir durant cette courte période ou bien se faire le plus longtemps que possible ?
Toute entreprise a forcément vocation à retenir les meilleurs talents le plus longtemps possible pour pouvoir bénéficier de leurs productivité, efficacité et apport de valeur. Je pense honnêtement que l’existence de ce «turn over» dans les entreprises permet de générer de la variété et de la mixité en matière de talents et d’instaurer une dynamique par la recherche perpétuelle de nouveaux talents et par ceux qui iront apporter de la valeur à d’autres entreprises, ce qui permet de créer de la richesse. 
La génération de nos parents travaillait au sein de la même entreprise pendant 30 ou 40 ans et aujourd’hui la nouvelle génération est prête également à le faire si elle trouve du sens à le faire. Mais ils sont aussi constamment à la recherche de nouvelles opportunités, de nouveaux engagements et de nouveaux challenges qui vont les faire rêver et les stimuler dans leur travail. On connait la réalité de nos entreprises, on peut avoir une période stimulante quand l’entreprise est en croissance, mais dès qu’on rentre dans une phase plus «industrielle», cette stimulation peut à un moment donné diminuer, ce qui pousse les talents à partir à la recherche de nouveaux défis. 
Donc, la rétention des talents passe d’abord par l’identification des potentiels au sein de l’entreprise afin de pouvoir faire une gestion de carrière adéquate en fonction des attentes, certaines entreprises sont même allées plus loin en mettant en place des modèles d’analyse d’un ensemble de données et l’usage de l’IA pour anticiper les risques de départ et ainsi prendre les actions en amont.

Entretien réalisé par M.Se.

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