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« L’église au Maroc a une vie très riche et la liberté de culte est une règle gravée dans la Constitution»

Pour le représentant de l’Ordre Souverain militaire de Malte au Maroc, Julien-Vincent Brunie, l’exercice du culte chrétien au Maroc est totalement libre et le Roi, en tant que Commandeur des croyants, veille à la protection des religions. Dans un entretien accordé au «Matin», à l’occasion de la visite dans le Royaume du Pape François, cet ambassadeur plénipotentiaire et extraordinaire revient sur les enjeux et la portée du voyage papal ainsi que sur les relations entre chrétiens et musulmans au Maroc.

« L’église au Maroc a une vie très riche et la liberté  de culte est une règle gravée dans la Constitution»
Le Matin : Vous êtes le représentant de l’Ordre Souverain militaire de Malte au Maroc. Quelle relation entretenez-vous avec l’Église catholique au Maroc ? Quel genre de rapport avez-vous avec le Saint-Siège ?

Julien-Vincent Brunie : L’Ordre de Malte est un sujet de droit international public, donc souverain depuis 1113. Cette souveraineté est le fait d’une bulle du Pape qui donne la pleine souveraineté et la pleine fonctionnalité à l’Ordre de Malte. L’Ordre a régné sur différents lieux, dont l’île de Malte qui est aujourd’hui la République de Malte. Il est depuis le début du XIXe siècle établi à Rome, où siègent le Chef d’État et le gouvernement. Les rapports avec le Saint-Siège et l’Église catholique sont étroits, que ce soit internationalement ou au Maroc. Le Pape est le premier informé de l’élection d’un nouveau Grand Maître. Il dépêche auprès de l’Ordre un cardinal protecteur, alors que l’Ordre nomme auprès du Pape un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Au Maroc, les relations sont excellentes, le Saint-Siège est représenté par un Nonce apostolique très intelligent, vif et chaleureux et l’Ordre par un ambassadeur que j’ai l’honneur d’être depuis 2016. À part une réelle amitié entretenue par le même message de paix, nous sommes bien distincts. L’Église au Maroc a une vie très riche et la liberté de culte est une règle gravée dans la Constitution. Comme ambassadeur d’un Ordre qui est à la foi catholique et laïc, je fréquente évidemment les paroisses du Maroc et je m’émerveille toujours de la grande charité qui est faite par des religieuses et des religieux pour les plus démunis. C’est aussi la devise de l’ordre de Malte que de servir les malades et les pauvres sans distinction de race et de religion évidemment, et ce depuis le XIe siècle. Ce qui paraît évident aujourd’hui l’était peut-être moins à l’époque !

 

Quel regard portez-vous sur l’exercice du culte chrétien au Maroc ?

L’exercice du culte chrétien au Maroc est totalement libre et le Roi, en tant que Commandeur des croyants, veille à la protection des religions. Au Maroc, les catholiques peuvent fréquenter les églises et les chrétiens peuvent fréquenter tous leurs lieux de culte. C’est une chance extraordinaire et il faut rendre hommage à la Commanderie des croyants qui attache une importance particulière, une importance à la hauteur de la richesse de l’histoire du Maroc, à cette liberté de culte. Les Souverains ont toujours joué au Maroc un rôle particulier. Il faut se souvenir que le Sultan a offert le terrain pour la cathédrale de Tanger, que Feu Sa Majesté le Roi Hassan II a reçu le Pape Jean-Paul II avec à ses côtés un peuple en liesse qui venait écouter le message de paix et d’amour du Souverain pontife. L’exercice du culte ici est non seulement libre, mais il est protégé. Nous pouvons vraiment rendre hommage à cette liberté, mais aussi au bien vivre ensemble qui, au Maroc plus qu’ailleurs, à un sens dans la vie de tous les jours.

 

Il s’agit de la première visite du Pape au Maroc depuis plus de 30 ans. Que représente aujourd’hui ce voyage ?

Mais il s’agit de plus d’une visite. Car depuis plus de 30 ans, le Pape Jean-Paul II – aujourd’hui Saint Jean-Paul II, car l’Église universelle a entendu la voix du peuple qui a crié lors de ses obsèques «Santo subito», Saint tout de suite –, dont nous gardons tous un souvenir ému et l’image d’un saint homme, est venu au Maroc de retour d’Afrique pour quelques heures seulement. Regardez à quel point il a marqué les esprits par des gestes et par des mots d’une force absolument extraordinaire et qui font l’histoire. L’image de Jean-Paul II embrassant la Terre marocaine est gravée dans les esprits. Cet échange au stade de Casablanca est gravé dans les mémoires. Ce voyage c’est le voyage du Chef de l’Église universelle, Souverain pontife, Chef de l’État du Vatican, qui rend visite au Roi du Maroc, Commandeur des croyants, descendant du Prophète. C’est aussi celle du berger qui vient visiter son troupeau à l’invitation de l’église locale. Ce voyage représente donc la rencontre entre deux chefs religieux qui sont aussi deux Chefs d’État et je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’autres pays dans lesquels de telles forces et de tels personnages puissent être réunis, probablement aucun d’ailleurs. Ce voyage a donc une force inédite dans le sens du dialogue entre les religions, dans le sens de l’amitié entre les peuples, dans le sens de l’accueil populaire qui est possible au Maroc et qui est un message pour l’Humanité tout entière selon lequevl vivre ensemble est possible et même une chose précieuse.

 

La rencontre entre S.M. le Roi Mohammed VI, Commandeur des croyants, et Sa Sainteté le Pape François est une première historique. Quel rôle pourra-t-elle jouer dans la promotion du vivre ensemble en Afrique et dans le monde en général ?

Le Roi et le Souverain Pontife se voient à Rabat, en terre d’islam, chez le Commandeur des croyants. C’est évidemment un message pour le monde. Que ce message universel soit envoyé depuis le Maroc, en Afrique, donnera un sens encore plus beau et encore plus appuyé pour ce continent riche d’une jeunesse dynamique et à l’écoute. Moi, qui voyage régulièrement en Afrique, et qui occupe aussi la fonction d’ambassadeur auprès de la République de Guinée équatoriale en résidence à Rabat, je sais combien Sa Majesté le Roi Mohammed VI est un leader qui est adoré aussi bien dans Son pays que dans toute l’Afrique, un leader aimé, un leader charismatique et incontesté, car incontestable.

Il est le protecteur et le Serviteur de l’Islam du juste milieu et le fondateur de l’Institut Mohammed VI pour la formation des imams que le Saint-Père visitera à Rabat, centre qui forme plus de 1.600 imams et prédicateurs. Le Pape est le Chef de l’Église catholique universelle, il est aussi une autorité pour le monde entier et son message est très écouté, en Afrique notamment. Relayer ne serait-ce que la photo de ces deux grands leaders ensemble et prônant la paix et le bien vivre ensemble est une chose tellement précieuse que seuls les gens de mauvaise foi ne peuvent pas comprendre.

Cette rencontre est inédite et inouïe, deux grands fervents défenseurs de la paix qui, chacun dans son rôle, ont démontré non seulement pendant leurs règnes, mais en digne héritier de Ses prédécesseurs pour le Pape et de Ses ancêtres pour le Roi que cette continuité est tellement précieuse qu’elle ne doit à aucun moment souffrir d’une quelconque hésitation.

Par ailleurs, le Pape et le Roi ont en commun cette volonté d’être proches des plus démunis. Sa Majesté a toujours apporté une attention particulière aux plus pauvres et veillé à ce que son peuple grandisse et s’épanouisse. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux et voir à quel point le Maroc est premier de la classe. Voir à quel point le Maroc a changé en 20 ans de règne. Il suffit de se promener pour comprendre combien le pays s’est développé et enrichi. Le Pape François lui a toujours défendu les plus pauvres, les plus démunis, les migrants, qui au Maroc sont accueillis, sont intégrés et se sentent chez eux. Les migrants au Maroc vivent l’hospitalité marocaine qui s’ouvre devant eux. Il y a donc ici le message de deux hommes de bonne volonté, de deux grands leaders qui communiqueront cette bienveillance pour les autres, qu’ils ont au fond de leurs cœurs et de leurs vies, et qui en feront un Message universel. N’oubliez pas qu’il y a 1,3 milliard de catholiques dans le monde et voir deux autorités main dans la main est un Message particulièrement important dans le monde troublé d’aujourd’hui. Un message précieux. Les deux Souverains font un beau cadeau à l’humanité tout entière.

 

Alors que l’on assiste dans le monde entier à une montée du discours extrémiste et xénophobe, quel rôle peuvent jouer les autorités religieuses face à cela, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou juives ?

Il y a quelques années encore, l’Ordre de Malte et plus généralement les messages religieux n’avaient pas l’oreille des autres membres des Nations unies, comme c’est le cas aujourd’hui. Il est évident que le monde comprend tous les jours davantage que la religion fait partie de la solution et non pas du problème. En établissant un dialogue permanent entre les musulmans, les catholiques, les juifs et les autres religions structurées, nous prônons la paix et le bien vivre ensemble. Comment ne pas comprendre que tout ceci va dans l’intérêt de tous ? Pour vivre ensemble, pour s’apprécier, il faut se connaître. Si nous ne parlons pas, ne nous rencontrons pas, si nous laissons circuler des clichés parfois dévastateurs, comment pourrions-nous nous connaître. Tous ces phénomènes sont liés à l’incompréhension et au fait que les peuples ne se connaissent pas assez et ne s’écoutent pas. Tous les messages, toutes les initiatives de dialogue de gens de bonne volonté, qui par leur position peuvent envoyer un message fort qui peut être entendu, vont dans le sens d’une meilleure connaissance, qui contrera ces sentiments et ces mouvements extrémistes, qu’il faut combattre par l’éducation aussi.

 

Le Pape a récemment visité les Émirats arabes unis, les deux voyages sont-ils différents ?

La visite aux Émirats fut un moment de grande émotion et d’une grande fierté. Voir le successeur de l’apôtre Pierre fouler la péninsule arabique et le golfe était une grande émotion et encore une fois un grand message pour le monde. La tolérance de l’Émir d’Abou Dhabi, qui a reçu le Pape, et son ouverture d’esprit sont des messages de bonne volonté précieux dans ce monde tourmenté. La visite au Maroc est très différente. Il y a la rencontre entre deux Chefs religieux immenses et incontestables qui sont aussi deux Chefs d’État, deux Souverains ! Il y aura aussi un accueil populaire à la hauteur de l’hospitalité marocaine légendaire et la présence des trois religions du Livre. Le très Saint-Père sera en communion avec nos frères et sœurs musulmans. L’importance des acteurs fait la singularité et l’importance de ce voyage exceptionnel. 


Ordre Souverain de Malte et République de Malte, aucune confusion ?

Charles Quint, Roi d’Espagne et Empereur du Saint-Empire romain germanique, a offert l’île de Malte à l’Ordre de Malte en 1530. L’Ordre y est établi jusqu’en 1798, date à laquelle Bonaparte conquiert l’île. Jean de La Valette, grand Maître de l’Ordre, construit la ville capitale, la seule au monde qui porte le nom d’un français. C’est lui qui a construit les fortifications et même la ville. L’histoire est donc en commun, mais la République de Malte est un pays indépendant de l’Ordre, lequel est complètement distinct et souverain. Depuis 1834, le siège est à Rome, sur une parcelle extra territoriale en terre italienne. Aucun lien donc, mais une belle histoire en commun sur l’île de Malte, dont les plus belles constructions anciennes sont un héritage précieux, fierté de la République de Malte.

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