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L'entrepreneuriat féminin toujours à la traîne

Le 8 mars, Journée internationale de la femme, est un moment de célébration. Mais il s’agit avant tout d’une occasion pour mesurer les avancées réalisées en matière d’égalité homme-femme. Un challenge de taille, qui passe par le renforcement des capacités des femmes afin de leur permettre d’assurer leur rôle en tant qu’actrices dans la dynamique entrepreneuriale et contribuer au développement du pays.

L'entrepreneuriat féminin toujours à la traîne

Seuls 10% des entrepreneurs marocains sont des femmes. Tel est le constat établi par l’Association des femmes-chefs d'entreprises du Maroc (AFEM), dans une étude menée en 2015. Ces entrepreneures opèrent essentiellement dans les secteurs du commerce et des services, sur l’axe Casablanca-Rabat. Près des deux tiers de ces entreprises ne Ce taux de création d'entreprises particulièrement faible se confirme à travers l’étude réalisée l’année dernière par le cabinet Roland Berger pour l’initiative «Woman in Africa», sur l’entrepreneuriat des femmes africaines à travers les 54 pays du continent. Intitulée «Women Entrepreneurship in Africa : a path to empowerment», l’étude souligne que l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Soudan) connaît un taux de création faible (8%), en comparaison avec le reste des pays anglophones et francophones où on enregistre des taux respectifs de 27 et 26% de femmes entrepreneuses. Une situation qui s’explique par un «facteur culturel», d’après le document. Pour mieux comprendre les raisons de ce décalage, nous avons interrogé des entrepreneures marocaines sur les difficultés auxquelles elles font face.

Des freins culturels
«Le premier obstacle est la femme elle-même», estime Niama El Bassunie, CEO de la startup WaystoCap. Ce manque de confiance en soi peut s'expliquer par des facteurs sociaux et culturels qui n’encouragent pas les femmes à entreprendre, voire envisager cette voie. Selon elle, les femmes doivent se battre pour pouvoir faire face à la société dans son ensemble. «Au Maroc, nous n’avons pas de réglementation discriminatoire directe qui donne aux hommes plus de pouvoir ou de droits qu'aux femmes pour accéder à certaines facilités permettant de créer une entreprise, mais la société n’offre pas les mêmes privilèges», affirme l’entrepreneure.
Même son de cloche chez Chaimaa Elghani, qui affirme que «la différence entre les deux sexes se ressent plutôt au niveau du secteur puisque quelques milieux restent encore très masculins où la femme doit faire preuve de flexibilité et d’adaptation», souligne la CEO & fondatrice de l’espace de coworking GO4Work. Et de noter que l’entrepreneuriat est avant tout une affaire de persévérance, le fait d’être une femme n’est en aucun cas un frein !
Au cours de ces dernières années, le Maroc a connu un boom entrepreneurial favorisé par l’émergence d’un écosystème composé d’acteurs socioéconomiques conscients de l’ampleur de cet enjeu. 

L’entrepreneuriat féminin en marche 
Les entrepreneures interrogées se sont accordées à dire que la situation a énormément changé ces dernières années, grâce à des initiatives spécifiquement dédiées à encourager l’entrepreneuriat féminin, tels que les réseaux d’accompagnement et de mentorat. Mais ces avancées restent insuffisantes face aux besoins grandissants des femmes qui décident de se lancer.
«Les femmes ont sans doute le pouvoir de conduire le changement. Cependant, la société civile devrait déployer davantage d'efforts dans la mesure où les femmes jouent un rôle essentiel dans la promotion de l'entrepreneuriat féminin, non seulement dans les zones rurales, mais également dans l'écosystème des startups», indique Niama El Bassunie. Et de souligner le rôle des femmes-chefs d’entreprise dans le mentorat d’autres entrepreneures : «Plus de success-stories des femmes-chefs d’entreprise encourageront davantage de femmes à entrer dans le monde de l’entrepreneuriat,  que ce soit à l’échelle régionale ou nationale».
Même son de cloche chez Maha El Bchiri, Strategic Projects Manager & Communication Officer à l’Association pour la promotion de l’éducation et de la formation à l’étranger (APEFE) – Wallonie Bruxelles, qui est aujourd’hui derrière la création du programme d’accompagnement «Min Ajliki». 
«Il existe une réelle volonté d’encouragement à la création d’entreprise féminine grâce aux mesures d’accompagnement mises en place, mais il faut lier tout cela à l’enseignement. Il faut créer des passerelles entre notre système éducatif et l’entrepreneuriat. Nos jeunes et spécialement la gent féminine disposent de potentiel indubitable et doivent être rassurés, accompagnés et encadrés», affirme la responsable.
Pour ce faire, «Min Ajliki», dans sa version 2.0 (2017-2021), vise à accompagner encore plus d’entrepreneures en fédérant plus de partenaires, notamment le ministère du Travail et de l’insertion professionnelle, l’Anapec, Maroc PME, l’AFEM, le Réseau Entre Elles, Al Amana microfinance, Attawfiq microfinance et le Centre Mohammed VI de soutien à la microfinance solidaire. Le programme compte, en plus de ces partenaires directs, plus de 70 partenaires indirects. Abstraction faite sur les inégalités du genre, l'entrepreneuriat au Maroc doit relever un certain nombre de défis. Les porteurs de projets doivent faire face aux attitudes bureaucratiques au niveau des services publics, à l'inefficacité de certaines mesures d'accompagnement, aux difficultés d'accès au financement, ou encore du recouvrement avec les clients.
Toutefois, avec les réformes menées au sein des institutions (Charte de l’investissement, centres régionaux d’investissement…), ainsi que les efforts déployés par les différents acteurs de l’écosystème, le rendez-vous est donné pour ces femmes qui choisissent de sortir des sentiers battus afin de donner l’exemple de réussite et inspirer leurs pairs à envisager cette voie et contribuer au développement de notre pays.


 Maha El Bchiri, Strategic Projects Manager & Communication Officer à l’APEFE - Wallonie Bruxelles

Plusieurs contraintes sont vécues par les femmes qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat. En plus des contraintes rencontrées par tous, femme et homme, comme le financement, le manque d’informations ou d’orientation, les femmes font face à des contraintes spécifiques, en grande partie, d’ordre culturel et social. D’où l’importance de la sensibilisation de tous. Une femme peut mieux réussir (ou plus rapidement réussir) si son entourage l’encourage, la soutient dans les moments de réussite mais aussi pendant les “turbulences”. La femme marocaine a toujours fait preuve de qualités entrepreneuriales incontestables, il suffit de croire en elle et lui tendre la main. Une autre problématique rencontrée par les femmes entrepreneures, et particulièrement les femmes micro-entrepreneures, est la commercialisation de leurs produits ou services. Cette problématique est encore plus prononcée en milieu rural où l’éloignement géographique devient un obstacle majeur pour accéder à d’autres marchés. Dans le cadre du programme Min Ajliki 2.0, nous misons sur le digital, pour répondre à plusieurs de ces problématiques. Aussi, nous nous appuyons sur la synergie et la complémentarité entre les partenaires pour mieux servir les femmes entrepreneures actives et potentielles. Et grâce aux partenaires du programme Min Ajliki, entre 2017 et 2018, plus de 2.500 femmes ont bénéficié de formations de renforcement des capacités pré et post création, plus de 500 entreprises féminines ont été créées et plus de 2.000 emplois féminins ont été générés.


Entretien avec Aicha Laasri Amrani, présidente de l’Association des femmes chefs d'entreprises du Maroc (AFEM)

«Si les femmes ne participent pas pleinement à des activités économiques, à travers la création d’entreprises, le Maroc perd la moitié de son potentiel entrepreneurial»

Management & Carrière : Quelle est la situation de l'entrepreneuriat des femmes au Maroc ?
Aicha Laasri Amran
i : Selon une étude que nous avions menée en 2015, la femme marocaine entrepreneure aurait de 35 à 45 ans, mariée, avec des enfants (2,5 en moyenne), et travaille principalement au niveau des services et du commerce. Elle est peu présente dans l'industrie, dans les BTP. 
Les femmes représentent 10% des entrepreneurs et sont surtout présentes dans les secteurs à faible valeur ajoutée comme le textile ou les services sociaux.
• Les ¾ des entreprises dirigées par les femmes interrogées se situent dans les régions de Casablanca (63%) et Rabat (12%).
• 59% des entreprises dirigées par les femmes sondées ne dépassent pas 10 employés
• 41% des employés des entreprises dirigées par les femmes sont des femmes.
• 56% des cadres des entreprises dirigées par les femmes sont des femmes.
• 92% des femmes chefs d'entreprises ont effectué des études supérieures, le plus souvent elles ont une licence (30%) ou un master (23%).
• Le plus souvent, les femmes-chefs d’entreprises sont âgées de 35 à 54 ans (65%). L’âge moyen des femmes sondées est de 43 ans.
• 76% des femmes dirigeantes d’entreprises sont mariées.

Quels sont les obstacles auxquels les entrepreneures sont confrontées ? En quoi sont-ils différents par rapport aux hommes ?
Les entreprises marocaines dirigées par les femmes rencontrent à quelques différences près les mêmes difficultés que celles rencontrées par les entreprises dirigées par les hommes. 
Quelques composantes culturelles et sociales viennent affaiblir l’entrepreneuriat féminin au Maroc tels que :
• Le manque de confiance en soi : Elles ont une mauvaise perception de leurs compétences. 
• La peur de l'échec avec un manque d'encouragements de son entourage familial et amical. 
• La gestion de la famille et de l’éducation des enfants puisqu'elles remplissent 3 rôles à la fois : le rôle social, le rôle de productrice de richesses et le rôle de procréatrice.
• L’accès au financement représenterait la contrainte principale (70%).
• La difficulté à oser prendre des risques et à s'engager dans des financements externes lourds. 
• La forte résistance au changement.
• Les problèmes avec les clients et accès au marché (33%). 
Aussi, les principales difficultés dans la gestion quotidienne de l’entreprise gérées par les femmes sont liées aux problèmes avec les 
clients et l’accès au marché (34%) et les problèmes de disponibilité des RH qualifiées (22%).
 

Quelles opportunités pour voir fleurir l'entrepreneuriat féminin ?
À l’AFEM, nous sommes persuadées que l’entreprise est la clé 
de la croissance, de l’emploi, du pouvoir d’achat, de la consommation, du progrès social et technique, bref du dynamisme économique et social de notre pays.
Si les femmes ne participent pas pleinement à des activités économiques, à travers la création d’entreprises, le Maroc perd la moitié de son potentiel entrepreneurial.
Or nous constatons que le flux de création d’entreprises reste cependant en deçà du potentiel réel de nos économies.
En cause, différents facteurs. Je vais me contenter d’en citer quelques-uns :
• La sous-capitalisation des PME : ce qui la pénalise et la rend vulnérable aux évolutions conjoncturelles.
• Le manque de profils adéquats au niveau des RH, le manque de formation à la gestion moderne
Et les difficultés pour l'accès au financement. Le financement de l’innovation reste la préoccupation majeure pour beaucoup d’entreprises : l’absence de financement (54% des cas), mais aussi le manque d'outils de financement adaptés (des critères d'éligibilité qui demeurent rigides, et qu’il faut assouplir et adapter). L’étude réalisée récemment par la BERD a d’ailleurs mis l’accent sur les disparités entre hommes et femmes dans l’accès au financement. Et c’est là où intervient l’AFEM, avec comme vocation essentielle d’encourager les initiatives entrepreneuriales féminines. L’association intervient avec un dispositif opérationnel d’accompagnement, qui aide d’abord la femme à sécuriser l’étape cruciale de passage à la création puis à soutenir la candidate tout au long de son parcours de consolidation de son projet.
Pour la réalisation de ces objectifs, l’AFEM a lancé des projets majeurs et qui ont donné des résultats concrets. J’en citerai quelques-uns à titre d'exemple :
1. Le premier projet est le Business Mentoring, qui vise à renforcer l’autonomie des femmes-chefs d’entreprises et les porteuses de projets.
2. Le deuxième projet phare est l’Incubateur. Il s’agit pour l’AFEM d’accompagner les créatrices d’entreprises dans le but de pérenniser leur activité. L’objectif est de contribuer à la maturation du projet, d’aider à sa mise en œuvre et à son développement dans la durée. Nous essayons aussi, à travers cette action, de combattre le taux de mortalité des entreprises et allonger leur durée de survie. À côté de ces projets, et d’autres, l’AFEM accompagne également l’entreprise féminine pour lui permettre de relever le défi de la compétitivité et tirer parti des opportunités offertes par le contexte national et international et par les ruptures technologiques qui se 
dessinent depuis quelques années. 

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