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Le livre scolaire sauvera-t-il enfin les imprimeurs ?

Le livre scolaire, c’est 51,5 millions d’ouvrages en circulation et un marché de 1 à 1,5 milliard de dirhams par an. Il assure des milliers d’emplois chez les imprimeurs, éditeurs, importateurs de papier, libraires, papetiers et distributeurs. Une bonne partie de cette manne, entre 50 et 60%, échappe toutefois à l’industrie locale en raison de la sous-traitance à l’étranger, essentiellement en Espagne et Italie. Mais cette année, assure le ministère de l’Éducation nationale, les éditeurs n’auraient plus de raisons d’imprimer hors frontières : les délais accordés sont suffisamment longs. Une aubaine pour les imprimeurs de la place qui voient dans le livre scolaire un relais de croissance. Pourvu que les maisons d’édition jouent le jeu. Enquête.

Le livre scolaire sauvera-t-il enfin  les imprimeurs ?
Ph. Saouri

Entre 1 et 1,5 milliard de dirhams. C’est l’estimation du marché du livre scolaire au Maroc. Un potentiel énorme, qui croit d’année en année, mais qui ne profite pas pleinement à l’économie du pays. Si aujourd’hui plusieurs entreprises marocaines se sont spécialisées dans ce marché très lucratif, le secteur demeure très complexe, malgré son importance stratégique dans la réforme du secteur de l’éducation et l’enseignement. Il s’agit également d’un écosystème transversal où interviennent ministère de l’Éducation nationale, éditeurs, imprimeurs, distributeurs de papier et consommables, distributeurs de livres, libraires, établissements d’enseignement et enseignants eux-mêmes. Malgré leur complémentarité, chaque maillon de cette chaîne défend ardemment ses intérêts, les enjeux étant colossaux. Comment une grosse manne de ce marché échappe-t-elle donc à l’économie du pays ? Quelles sont les spécificités, contraintes et perspectives de cette filière ? «Et pourquoi jusqu’à aujourd’hui aucun ministre de l’Éducation nationale n’a pu aller jusqu’au bout de la réforme ?», chuchotent des opérateurs.

Fini le manuel «unique»
Flashback. Nous sommes en 2002. Deux ans après le lancement de la Charte nationale d’éducation et de formation, le Maroc décide de libéraliser le marché du livre scolaire. Avant cette date, les élèves disposaient de ce qu’on appelait un «manuel unique», élaboré de bout en bout par le ministère de l’Éducation nationale. Ce dernier disposait de ses propres concepteurs, graphistes... qui concevaient donc les manuels. Une fois la maquette finalisée et validée, le ministère lançait des appels d’offres pour le tirage et l’impression. Les manuels étaient par la suite distribués et vendus aux  libraires. 
La Charte a introduit deux principales nouveautés : la première consiste en la suppression du manuel unique. Désormais, pour chaque discipline et niveau donné, il existe une multiplicité de manuels (entre 3 et 4), soit au total 390, selon le ministère. «À partir du même programme, on conçoit plusieurs manuels avec des méthodes d’enseignement et d’apprentissage différentes. Ceci existe dans tous les pays développés et permet aux élèves d’apprendre de manière différente. En termes de conception des manuels scolaires, nous sommes pratiquement les étendards du pourtour méditerranéen», nous déclare Fouad Chafiqi, professeur de l’enseignement supérieur de Sciences de l’éducation et directeur des Curricula au ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. 
Dans le secteur privé, cette multiplicité n’est pas appréciée de tous. Omar Jabri, PDG des Éditions Maghrébines, préfère l’époque du manuel unique, dans un objectif d’uniformisation des méthodes d’apprentissage, l’examen de fin d’année étant «d’ailleurs unique et non multiple et le contenu non adapté aux spécificités régionales». 
La seconde nouveauté apportée par la Charte nationale de 2000, c’est l’ouverture du marché de la conception du livre scolaire. Le ministère ne joue désormais qu’un rôle de superviseur et régulateur. Plusieurs appels à concurrence ont ainsi été lancés pour l’édition ou la réédition des ouvrages. «Cette ouverture du marché a été décidée pour stimuler la concurrence et améliorer le contenu. Mais la qualité n’a malheureusement pas suivi. La maison d’édition qui dispose d’un livre homologué par le ministère le considère comme un agrément de taxi. Chaque année, l’éditeur imprime le livre sans véritable effort d’amélioration», déplore Chafiqi. 
Une grande opération de révision a été effectuée en 2011, avec changement des visuels des manuels et plusieurs mises à jour, notamment pour tenir compte de la Constitution de 2011 dans le contenu. Trois ans plus tard, une autre mise à jour s’imposait avec le nouveau recensement général de la population, qui supposait d’intégrer les nouvelles statistiques dans les manuels. De même en 2016, des révisions ont dû être opérées pour se conformer au nouveau découpage régional. 
«Malgré ces révisions, la qualité du contenu fait toujours défaut. Et le ministère ne semble pas faire grand-chose pour obliger les éditeurs à fournir davantage d’efforts. D’ailleurs, il travaille toujours avec les mêmes sans recourir à des appels à concurrence comme cela était préconisé par la Charte nationale», nous déclare un professionnel ayant requis l’anonymat. Le dernier appel à concurrence remonte en effet, à 2007, nous confirme Chafiqi. 

«Nous travaillons toujours avec les mêmes éditeurs et nous n’avons pas émis de nouveaux appels à concurrence, car ce serait tout simplement en contradiction avec la vision stratégique du secteur. Celle-ci prévoit en effet l’instauration d’une commission qui doit statuer sur la procédure adéquate pour le manuel scolaire. Nous ne pouvons attendre jusqu’à 2021 ou 2022 pour la mise en place de cette commission, la loi-cadre n’étant pas encore sortie», nous explique Chafiqi. Même si le marché est ouvert à la concurrence, avec un cahier des charges bien précis, il n’en demeure pas moins que des maisons d’édition feraient la pluie et le beau temps. Rappelons-nous, le Conseil de la concurrence avait révélé en 2009, des risques de pratiques d’entente et «l’existence de plusieurs liens juridiques et économiques, horizontaux et verticaux entre des maisons d’édition, imprimeries et librairies, ayant participé aux appels d’offres portant sur la conception et la production des manuels scolaires».

Il avait aussi indiqué que «la plupart des maisons d’édition, imprimeries et librairies sont gérées par les mêmes personnes ou appartiennent à des personnes liées par des relations commerciales et parfois familiales».
D’où un important niveau de concentration. Dix ans après, rien ne semble avoir changé. Interrogé par nos soins, Chafiqi précise que «le Conseil de la concurrence avait été saisi par les éditeurs qui avaient vu leurs manuels rejetés en 2008. Il avait alors diligenté une enquête et entendu les responsables du ministère. Ce que je peux dire, c’est qu’à notre niveau, nous ne sommes pas censés enquêter sur les propriétaires des maisons d’édition et leurs liens familiaux avec d’autres éditeurs. De toute manière, il n’y a pas eu nécessité de mettre en place des garde-fous, puisqu’aucun nouvel appel à candidature n’a été lancé depuis 2007».
Les guéguerres commerciales ne concernent pas seulement les éditeurs entre eux, mais également certains imprimeurs et éditeurs qui conçoivent les manuels scolaires. Ces derniers impriment une grande partie des livres à l’étranger (50 à 60% en fonction des interlocuteurs interrogés), particulièrement en Espagne et Italie, ce qui prive les imprimeurs nationaux d’une part du gâteau. Motifs invoqués : une meilleure technicité, des coûts plus bas et des délais plus courts.  «Faux ! rétorque Jabri. Je défie quiconque qui remet en cause la technicité des imprimeurs marocains. Il est inconcevable qu’un pays comme le Maroc, qui imprime sa monnaie, sa carte nationale, son passeport, ses timbres et le livret de famille, ne puisse imprimer son livre scolaire !» Selon lui, les éditeurs qui impriment à l’étranger mettent an avant un paragraphe du cahier des charges pour justifier leur décision et qui dispose : «toutes les opérations doivent être réalisées au Maroc, sauf complication technique». Ce paragraphe date, nous rappelle Jabri, du début des années 1980. Or, aujourd’hui, la technicité marocaine n’aurait rien à envier à celle d’opérateurs étrangers. «D’ailleurs, lorsqu’ils sont obligés d’imprimer à la dernière minute des manuels qui ont été corrigés, par exemple, ils ne peuvent le faire à l’étranger, car il s’agit de petites quantités, les imprimeurs européens exigeant de grandes quantités. Du coup, ils se rabattent sur les imprimeurs locaux, alors qu’ils disent que nous manquons de technicité…», s’indigne Jabri. 

11.000 tonnes de papier pour le marché local du livre scolaire
En 2017, les éditeurs ont imprimé pour 11.178 tonnes de livres scolaires à l’étranger pour une valeur de 542 millions de dirhams, nous indique Jean-Luc Martinet, PDG d’Axior, une holding qui opère notamment dans la distribution de papier et l’impression. Une situation que déplore Mohammed Ali Alami Mechiche, PDG de Dicapa et président de l’Association marocaine des importateurs et distributeurs de papier et carton (ADPAC), qui affirme que ses parts de marché ont sérieusement baissé ces dernières années. «Sur les 11.000 tonnes de papier destiné au marché local du livre scolaire, Dicapa n’en vend plus que 2.200, alors que nous écoulions entre le double et le triple il y a 5 ans».

Cette année, tous les ingrédients sont réunis pour une impression exclusivement au Maroc, assure le ministère de l’Éducation nationale. En effet, les délais sont plus longs, ce qui donne la possibilité aux imprimeurs marocains d’honorer les commandes des éditeurs. Le ministère a ainsi validé l’édition de certains manuels de la rentrée 2019-2020 en décembre 2018, ce qui laisse largement le temps aux imprimeurs nationaux. «Lorsque le ministère émettait des ordres de tirage le mois de juillet, les éditeurs, étant pragmatiques, savaient qu’ils pouvaient imprimer à moindre coût et en un temps record en Italie ou en Espagne et peut-être avec une meilleure qualité. Sauf que cela nous fait perdre des journées de travail au Maroc. Aujourd’hui, je peux vous dire qu’il n’y aura plus cette contrainte. Cette année, nous allons réviser 23 manuels des première et deuxième années primaires dont les ordres de tirages seront émis fin mars, ainsi que 26 manuels des troisième et quatrième années du primaire et dont les ordres de tirages seront émis fin mai, soit au total 49 manuels. À part ceux-là, tous les autres ont déjà reçu l’avenant du tirage le mois de décembre dernier pour la rentrée 2019-2020, pour une mise sur le marché en juillet 2019. Les éditeurs n’ont donc aucune raison pour imprimer à l’étranger», détaille Chafiqi. 
Sauf que, pour des raisons de coûts, des éditeurs pourraient encore se tourner vers l’étranger, prévient Jabri. Pour obtenir de meilleurs tarifs d’impression en Europe, les éditeurs sont parfois amenés à commander des quantités supérieures aux besoins et d’en écouler qu’une partie, le reste devant l’être l’année suivante. Du coup, ils se retrouvent avec un stock de livres et c’est une autre paire de manches, car ce stockage impacte la qualité. Comment ? Par l’absence de révision régulière des contenus, les éditeurs ayant d’abord intérêt à écouler leurs stocks.

«Le ministère ne doit pas fermer les yeux sur ces pratiques, car ça impacte toute la chaîne, et surtout la qualité des manuels, ce qui est en contradiction avec la stratégie de refonte du système éducatif. Le ministère doit envoyer des commissions pour vérifier l’état des stocks et obliger les éditeurs à imprimer les livres qui ont été convenus», estime Jabri. Si les centaines de millions de dirhams qui échappent à la profession du fait de la sous-traitance à l’étranger étaient réinjectés dans le circuit d’impression local, c’est tout un écosystème qui verrait le jour. Les investissements reprendraient du poil de la bête, des métiers verraient le jour et le recrutement de techniciens, mécaniciens, conducteurs de machines, lauréats des arts graphiques, distributeurs... redémarreraient. Sans parler des importateurs de papier qui voient leurs parts de marché fondre comme neige au soleil. Mais pour cela, les imprimeurs ont besoin d’une garantie «politique» de la part de l’État qui devra faire en sorte que les éditeurs privilégient les industriels locaux. La bataille n’est toutefois pas gagnée d’avance surtout lorsque l’on sait que «certains établissements publics et ministères impriment aussi leurs manuels à l’étranger comme pour les programmes de lutte contre l’analphabétisme ou encore pour des manuels de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail», nous confie Jabri.

Et ce n’est pas tout. Ce problème de sous-traitance à l’étranger vient plomber un secteur déjà en proie à d’innombrables problèmes structurels (www.lematin.ma) : hausse de la facture énergétique et du coût de la main-d’œuvre, baisse des revenus et hausse des prix des matières premières comme le papier qui connait des augmentations à deux chiffres ces dernières années. Des hausses de charges qui ne peuvent d’ailleurs pas être répercutées sur le prix de vente public du livre scolaire puisque ce dernier est fixe depuis 2002. «Il ne s’agit pas vraiment d’une libéralisation du secteur. Les prix sont les mêmes depuis 17 ans, face à un renchérissement des matières premières. Il faut que ça change urgemment, car il s’agit de la pérennité de plusieurs entreprises employant des milliers de personnes», se désole Jabri.
Face à ces multiples contraintes, les professionnels du secteur ne savent plus à quel saint se vouer. Les rencontres et réunions avec les ministres de l’Éducation nationale et de la Gouvernance se sont multipliées sans aboutir à une décision pour mieux réguler le marché.
Aujourd’hui, une réflexion approfondie doit être lancée pour la création d’une instance de régulation indépendante, dont la mission serait la conception d’un nouveau modèle économique et pédagogique du manuel scolaire. Qui osera franchir le pas ? 


Appel à concurrence : Comment ça marche

Chaque éditeur ou éditeur-imprimeur peut concevoir un livre scolaire au Maroc. Il doit répondre à un appel à concurrence que le ministère de l’Education nationale publie dans trois journaux nationaux sous forme d’invitation à «la participation pour la contribution à l’édition de livres scolaires» d’un niveau concerné. L’éditeur en question récupère le cahier des charges et une annexe qui n’est autre que le curriculum du niveau scolaire concerné. Dans le cahier des prescriptions spéciales, le ministère détaille les spécificités techniques et pédagogiques. Dans le détail, il existe deux dossiers que l’éditeur doit remplir : l'un pour démontrer que l’éditeur dispose de la capacité à produire un livre, l’imprimer et le distribuer. L'autre dossier pour détailler les moyens techniques et humains. Par la suite, le ministère examine, en coordination avec le département des marchés de la Direction des affaires générales du ministère, les dossiers techniques et l’éligibilité des candidats. Une fois les dossiers techniques validés, le département de l’Education nationale procède par élimination. Sont rejetés du marché les éditeurs qui ne répondent pas à des exigences légales notamment en ce qui concerne les cotisations à la CNSS ou l'acquittement des impôts. Les éditeurs en règle légalisent le cahier des charges et s’engagent qu’ils fourniront, dans les délais prescrits dans les cahiers des charges, des projets de manuel. Lors de la remise des projets, les éditeurs livrent 5 exemplaires anonymes sans mentionner la provenance. Ils fournissent également, sous plis fermé, un exemplaire où est mentionnée la maison d’édition. Cet exemplaire est conservé au ministère. Le ministre nomme ensuite, par lettre ministérielle, une commission d’évaluation des manuels. Cette dernière analyse si ces manuels sont conformes au cahier des charges et exclut ceux qui ne le respectent pas. Après, elle sélectionne 3 à 5 manuels selon leur qualité. Une fois le choix arrêté, les éditeurs sont invités au ministère pour ouvrir, devant eux, les plis fermés et prendre connaissance des maisons d’édition sélectionnées. Le ministère adresse des rapports à ceux qui ont été exclus pour leur en expliquer les raisons. Pour les projets retenus, le département de tutelle multiplie les correspondances avec les concepteurs des manuels en vue de l’amélioration de la qualité du manuel. Une fois le produit fini validé, le ministère envoie un bon à tirer avec un numéro d’enregistrement homologué par le ministère. Le manuel doit porter, au niveau de la couverture, un logo du ministère avec la mention «homologué par le ministère» et sur la 4e de couverture, la maison d’édition doit mentionner le numéro d’homologation et le prix fixé par la commission interministérielle.


Attribution des marchés : Conflit d’intérêt au ministère ?

Existe-t-il des conflits d’intérêts lors de l’attribution des marchés pour l’édition des livres scolaires ? Selon des professionnels, ayant requis l'anonymat, des inspecteurs seraient juge et partie. Ils rédigeraient les manuels pour des maisons d’édition et seraient en même temps membres de la commission d’évaluation des dossiers. Le ministère de l’Education nationale dément en bloc. «C’est impossible. Je défie quiconque de me donner un seul nom prouvant un conflit d’intérêt entre la validation des manuels et leur conception, depuis 2002. Nous sommes à cheval sur ce genre de questions», nous répond fermement Fouad Chafiqi, professeur de l’enseignement supérieur des Sciences de l’éducation et directeur des Curricula au ministère de l'Education nationale.


Entretien avec Jean-Luc Martinet, PDG d’Aixor

«Seuls l’emballage, le livre et le cahier scolaires peuvent sauver l’emploi dans le secteur»

Le Matin-Éco : Le marché du livre scolaire fait face à plusieurs contraintes notamment chez les imprimeurs qui subissent l’augmentation des prix du papier, de l’énergie et du coût de la main-d’œuvre. Quel est, aujourd’hui, l’état de santé du secteur ?

Jean-Luc Martinet : Le secteur de l’imprimerie au Maroc traverse une grave crise d’adaptation provoquée par le digital et le numérique qui, par leur émergence, provoquent la disparition de pans entiers de l’activité. En parallèle, la presse papier est en grave récession et le marché des flyers, plaquettes et de la publicité s’effondre. Trois segments peuvent sauver les emplois dans ce secteur, en l’occurrence l’emballage, le livre scolaire et le cahier scolaire. Pour l’emballage, il n’y a que peu de concurrence étrangère. Par contre, pour le livre scolaire et le cahier scolaire, ce sont de gros volumes qui échappent au Maroc. Le secteur a subi en 2018 des hausses de prix du papier qui, pour certaines qualités, atteignaient 50%. Une politique de protection douanière, dont les conséquences ont été mal évaluées, a conduit à protéger une papeterie non productive et peu utilisatrice de main-d’œuvre, au détriment du secteur de l’imprimerie et de la transformation, réputés les plus créateurs de valeur ajoutée et d’emplois.
 
Les prix des livres scolaires n’ont pas changé depuis 2002. Sont-ils économiquement viables pour les éditeurs et imprimeurs ?
Vouloir fixer des prix pour une longue période est un non-sens économique. Le coût des intrants varie de mois en mois. Il se pourrait que des prix puissent être stables un an, mais pas au-delà.
 
Quelle est la part du livre scolaire imprimé à l’étranger dans le total des livres distribués au Maroc ? Pourquoi recourir à cette sous-traitance alors que le Maroc dispose d’imprimeurs techniquement compétents ?
La pratique qui consiste à attribuer les marchés au dernier moment, sans vision industrielle structurante de la part du ministère donneur d’ordre, a conduit les imprimeurs à ne pas s’équiper suffisamment. Il faut donc, avant toute chose, en concertation entre les ministères de l’Education nationale, de l’Industrie et des imprimeurs transformateurs, concevoir le plan de développement d’un écosystème. Celui-ci aura pour but de rapatrier la totalité de la production de livres scolaires au Maroc, en allant même jusqu’à interdire l’impression à l’étranger, freiner l’importation des cahiers scolaires et mettre en place une pratique de la récupération de la TVA identique à celle des pays concurrents. Avec ces seuls points, c’est plus ou moins 18 à 20.000 tonnes qui seront transformées au Maroc, permettant la création d’emplois. Dès lors que nous aurons une industrie moderne et bien équipée, pourquoi ne pas envisager l’exportation en nous appuyant sur les accords de libre-échange et nos avantages comparatifs ?
  
Quelles sont vos recommandations pour améliorer ce secteur ?
La plus importante est, qu’en concertation avec les imprimeurs nationaux, le quota de livres imprimés à l’étranger soit progressivement réduit sur 3 ans de façon à arriver à une totale interdiction dans 36 mois. Ce clair signal à donner par l’administration doit s’inscrire dans une réflexion globale sur l’écosystème. C’est quand même surprenant comment les modes actuels de fonctionnement aboutissent à financer l’industrie étrangère par des deniers publics marocains et ce, au détriment de l’industrie nationale. Ceci provoque la perte de nombreux emplois dont nous avons cruellement besoin.
 
Quelles sont, selon vous, les perspectives du marché du livre scolaire ?
Le Maroc dispose d’une incroyable opportunité, à savoir remplacer la Chine pour ce qui est de la production de livres destinés à l’Europe et à l’Afrique. Notre proximité euro-africaine, notre savoir-faire et notre main-d’œuvre de qualité sont autant d’atouts à promouvoir. Il nous faut donc arrêter de subir, et, par des politiques économiques adaptées, devenir exportateurs là où aujourd’hui nous perdons de précieuses devises. 

Attribuer les marchés au dernier moment, sans vision industrielle structurante de la part du ministère donneur d’ordre, a conduit les imprimeurs à ne pas s’équiper suffisamment.


Témoignages

Mohammed Ali Mechiche Alami PDG de Dicapa et président de l’ADPAC
«Les imprimeurs du livre scolaire sont victimes de dumping»

«Nous traversons des moments difficiles. Le secteur a énormément changé. Les prix du papier ne cessent d’augmenter et nos revenus baissent d’année en année. Pour les livres scolaires, même si le papier utilisé est exonéré de frais de douane, il faut savoir que le cautionnement bancaire a considérablement augmenté. Les livres scolaires, importés, eux, ne supportent aucune charge ni de cautionnement bancaire, ni de contrôle. 
Nous subissons du dumping et une concurrence déloyale sans recevoir de subvention sur le livre scolaire ni pour l’investissement, ni pour le papier qui constitue jusqu’à 65% du coût. Les pouvoirs publics devraient revoir cette question de maintien des prix du livre scolaire. 
Comment peut-on résister à l’augmentation des prix à tous les niveaux si les prix de vente ne bougent pas? Les pouvoirs publics doivent se pencher sérieusement sur ces problématiques ainsi que sur l’obligation d’imprimer le livre scolaire localement. Cela créera de l’emploi et boostera les investissements dans cette filière. Nous pouvons par la suite exporter notre savoir-faire notamment en Afrique qui est demandeuse de ce type de produits.»


Omar Jabri 
PDG des Editions Maghrébines 

«Notre principal relais de croissance, c’est le livre scolaire»
«Notre principal relais de croissance n’est autre que le livre scolaire. Il s’agit d’un marché de plus d’un milliard de dirhams qui peut sauver les imprimeurs de leur marasme et de s’exporter même en Afrique. L’Etat doit nous donner des garanties pour investir davantage dans des machines et des rotatives plus performantes. 
Le marché marocain du livre scolaire intéresse même les étrangers. Des Espagnols m’ont contacté récemment pour s’allier et s’installer au Maroc. Il faut créer des alliances et des groupements et se spécialiser dans des segments spécifiques. Mais avant tout, il faut avoir du courage politique pour s’attaquer à ce marché qui subit une véritable concurrence déloyale. Souvenez-vous de l’affaire du dumping du cahier scolaire tunisien. Après une étude anti-dumping, des droits compensatoires ont été instaurés. Aujourd’hui, les investissements ont repris dans le cahier scolaire et des emplois ont été créés.»


Les auteurs des livres scolaires 10 fois plus nombreux

Avec la libéralisation du marché, les maisons d'édition se sont multipliées.Ph. Saouri​


Les prix n'ont pas bougé depuis 2002 ! «aucune réclamation formelle»

Si le marché du manuel scolaire a été libéralisé en 2002, son prix, lui, est resté fixe. Les 390 manuels sont vendus entre 7 et 98 dirhams. Un prix qui est réglementé par la loi des prix et la concurrence. Une loi qui fixe les prix d’une vingtaine de produits par l’intermédiaire d’une commission interministérielle, comprenant les représentants des départements de l’Intérieur et des Affaires générales de la Gouvernance ainsi que les parties concernées par le produit en question. Face à la hausse de leurs charges fixes, les professionnels du livre scolaire ne cessent de demander une révision des prix depuis des années. Réponse du ministère de l’Education nationale : «Je reconnais que le prix du papier a été multiplié par 4 ou 5 ces dernières années. S’ils ont des réclamations à émettre, ce n’est pas à nous de les traiter, car le prix est fixé par une commission interministérielle présidée par le ministère des Affaires générales et de la Gouvernance. Il faut qu’ils présentent leur demande à ce ministère et s’il juge utile de réviser les prix, une décision interministérielle s'impose et aboutira à une étude sur le coût de la page en fonction du nombre d'exemplaires vendus. Pour déclencher ce processus, il faut une demande formelle, or seule une réclamation verbale a été formulée ces deux dernières années, après la hausse des prix", nous confie Fouad Chafiqi, professeur de l’enseignement supérieur des Sciences de l’éducation et directeur des Curricula au ministère de l'Education .

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