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Le Maroc est-il un pays d’entrepreneurs ?

Le Maroc est-il un pays où il fait bon entreprendre ? Les différents mécanismes déployés par les pouvoirs publics et autres acteurs de l’écosystème entrepreneurial ont-ils porté leurs fruits ? A-t-on réussi à diffuser la culture de l’entrepreneuriat auprès de nos jeunes ? Les freins souvent évoqués sont-ils toujours d’actualité ? Quand on évoque le sujet de l’entrepreneuriat au Maroc, il y a toujours plus de questions qui fusent que de réponses. La CGEM, dans le cadre de la deuxième édition de son Université d’été, a invité un panel diversifié d’acteurs directement concernés par ces questions et qui y ont apporté des éléments de réponse forts intéressants.

Le Maroc est-il un pays d’entrepreneurs ?
Ph. Shutterstock
Sommes-nous réellement un pays d’entrepreneurs ? La réponse est loin d’être évidente et surtout tranchée. Dans un Maroc où on présente l’entrepreneuriat comme une solution «miracle» à la problématique de création d’emplois, le pari est visiblement très difficile à gagner quand on sait que sur un tiers de la population active qui se dit désireux d’entreprendre, seuls 7% passent à l’acte, que beaucoup d’entrepreneurs exercent dans l’informel, que l’entrepreneuriat marocain est un entrepreneuriat de subsistance, élémentaire, essentiellement axé sur les services et peu créateur de valeur et qu’il est majoritairement masculin.

C’est cela, malheureusement, la réalité entrepreneuriale dans notre pays telle qu’elle a été dépeinte par Meriem Zairi, vice-présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Pourtant, on ne peut nier les multiples efforts consentis par l’État pour encourager ce mouvement et en faire un vecteur de croissance économique, que ce soit au niveau de la législation ou des mécanismes d’aide et de financement. On ne peut pas nier non plus toutes les possibilités qui s’offrent désormais aux jeunes entrepreneurs pour mener avec succès leurs projets notamment celles offertes par l’émergence de tout un écosystème d’accompagnement entrepreneurial, où l’éducation à l’entrepreneuriat a pris une place prépondérante. 

Cependant, et malgré tous ces moyens, le retour sur investissement laisse à désirer et notre pays présente le taux le plus bas de la région en terme d’entrepreneuriat. Qu’est-ce qui ne marche pas alors ? Tout simplement, l’entrepreneuriat marocain est de très mauvaise qualité !

«Aujourd’hui, l’entrepreneuriat a besoin d’être upgradé et renforcé pour être plus créateur de valeur», souligne Meriem Zairi lors d’une conférence organisée vendredi dernier dans le cadre de la deuxième édition de l’Université d’été de la CGEM, sur le thème «Le Maroc, pays d’entrepreneurs, voyons la réalité des faits». Pour elle, la réalité entrepreneuriale au Maroc ne correspond pas à l’image véhiculée. 

 

Le manque de financement, un argument désuet

La difficulté d’accès au financement est souvent présentée comme un frein majeur à la création d’entreprises. Sauf que pour Hicham Zanati Serghini, DG de la Caisse centrale de garantie (CCG), l’argument ne fait désormais plus le poids. «Si l’entrepreneuriat est une question de financement, je crois que le Maroc n’a pas de problèmes», a-t-il tranché. En témoigne la part des crédits alloués par les banques marocaines aux TPME qui est de 37% de l’ensemble des crédits octroyés aux entreprises. 

«Au niveau de toute la région MENA, la moyenne est de 18 à 20%. Dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), c’est 38%», a-t-il précisé. «Donc, il y a réellement de l’argent qui va à la TPME. Le système de garantie marocain est de 1,8% du PIB. En France, il est de 0,9% et en Espagne de 0,4%», a-t-il ajouté.

Revenant sur les réalisations de la CCG, Hicham Zanati Serghini a indiqué que la Caisse, qui totalise une production annuelle de 24 milliards de dirhams de crédits garantis et octroyés, est passée de près de 6.000 crédits TPME garantis en 2018 à 16.600 crédits entre janvier et août 2019, soit une hausse de près de 180%.

Pour les PME (environ 27.000 entreprises), poursuit-il, plus de 55% ont eu accès au financement à fin 2017, dont 43% ont été accompagnés par leurs banques à travers une garantie de la CCG. «Nous avons un taux de pénétration des plus importants», a-t-il déclaré non sans fierté.

Mais s’il y a un effort à faire en matière de financement, c’est en faveur de la TPE qu’il faut le concentrer. «La TPE n’est pas très bien servie en termes de financements», affirme le responsable en toute connaissance de cause. «Il faut le dire, nous sommes un pays non pas de TPME, mais de TPE. Nous avons peu de PME et encore moins de grandes entreprises».

C’est pour cela que des solutions de financements doivent être spécialement conçues pour cette catégorie d’entreprises. «Quand vous avez besoin aujourd’hui de 300.000 à 500.000 dirhams, la difficulté de financement se présente», déplore-t-il.

Il est vrai que le secteur bancaire s’intéresse aujourd’hui davantage à cette catégorie, mais il devra procéder à certains remodelages pour arriver à des résultats conséquents. «Les banques doivent impérativement changer leur process. Si elles conservent le même process actuellement adopté pour des crédits de 5 millions, 10 millions ou 20 millions de dirhams, la rentabilité ne sera pas au rendez-vous. C’est toute une révision du mode de fonctionnement du secteur bancaire qui doit se faire au profit de la catégorie TPE». 

Les startups sont également logées à la même enseigne. «Nous essayons aujourd’hui d’apporter une réponse à la problématique de financement des startups. Notre rôle est de jouer sur les failles du marché et d’impliquer des acteurs pour créer tout un écosystème pour le financement de cette catégorie», fait-il savoir.

De son côté, le PDG d’Intelcia, Karim Bernoussi, pense qu’avec toutes les possibilités qui existent aujourd’hui au Maroc, il n’y a pas de frein particulier à l’entrepreneuriat, c’est juste que le chemin est un peu plus dur qu’ailleurs. «Il ne faut pas s’inventer de prétexte de telle ou telle raison pour ne pas entreprendre. Il faut oser faire le pas et, chemin faisant, arranger ce qui doit l’être», a-t-il conseillé. Pour lui, rien ne s’oppose à ce que bon nombre de choses soient réalisées puisqu’on dispose au Maroc de ressources de qualité et d’un environnement législatif et institutionnel correct. «Il n’y a aucune raison pour que les jeunes entrepreneurs ne puissent pas se développer dans ce pays», a-t-il assuré.

 

L’entrepreneuriat et la région, là où le bât blesse

C’est bien connu, les territoires ont un rôle extrêmement important dans l’économie du pays. Mais bien que l’envie d’entreprendre n’est pas soumise aux spécificités régionales, les spécificités régionales, elles, ne facilitent pas toujours l’acte d’entreprendre.

«Le désir d’entreprendre n’est pas suffisant. Il faut passer à l’acte et réaliser son rêve. Et c’est là où la spécificité régionale intervient. Un jeune entrepreneur aura plus de chance de réussir s’il se trouve dans une région plus propice à l’entrepreneuriat tel que l’axe Tanger-Casablanca». Ces propos sont de Mohamed Berrada Rkhami, président de la CGEM – région Fès-Taza, qui déplore le fait qu’en plus d’être complexes, les programmes mis en place et en œuvre par les pouvoirs publics ne sont pas conçus dans une approche régionale. «J’appelle les pouvoirs publics à penser aux autres régions et à donner les moyens aux jeunes pour qu’ils passent à l’acte, mais aussi de rendre les programmes d’aide à l’investissement beaucoup moins complexes et à la portée des jeunes et de communiquer dessus pour que l’information leur parvienne», a-t-il lancé. 

Il souhaite également que cette démarche toujours portée par l’État soit déplacée vers les Conseils des régions qui sont les mieux placés pour trouver des solutions à leurs propres jeunes. «L’État, en collaboration avec les conseils de régions, devra élaborer des programmes spécifiques pour chaque région prenant en compte ses propres particularités», relève Mohamed Berrada.

Ce dernier déplore également un autre élément lié à la formation des talents. 

«À travers nos écoles, universités et centres de formation, nous ne faisons que former pour les autres régions. Les jeunes talents souhaitant entreprendre iront vers des zones plus favorables à l’entrepreneuriat où ils auront plus de chances de réussir. Il faut trouver le moyen de retenir ces jeunes  !», explique le chef du patronat régional.

 

 

L’entrepreneuriat, ça s’enseigne !

La culture entrepreneuriale manquerait également à l’appel en dépit des actions menées ces dernières années pour inculquer aux jeunes l’esprit d’entreprendre au niveau de l’enseignement fondamental et universitaire, aussi bien public que privé.

«L’enseignement est un acteur majeur de l’écosystème entrepreneurial. C’est à lui que revient le rôle de convaincre les jeunes que l’entrepreneuriat peut être un choix de carrière, voire une référence sociale», confirme Selma Bennis, la chef de l’éducation et de la formation en entrepreneuriat à l’Université Mohammed VI Polytechnique. Celle-ci assure en outre que plusieurs leviers interviennent pour qu’un écosystème soit mature dans un pays. «Si on veut devenir une “Entrepreneurship Nation”, il y a bien sûr le financement, mais il y a surtout l’accompagnement des jeunes : les doter des compétences nécessaires à l’entrepreneuriat, du mindset qu’il faut, des connexions aux marchés…», a-t-elle noté.

Pour elle, «l’entrepreneuriat s’enseigne, mais non pas de façon théorique. Il ne s’agit pas classes classiques, mais plus d’une mise en pratique permettant à l’étudiant de se mettre dans les chaussures de l’entrepreneur et d’expérimenter son parcours», explique Selma Bennis. «Cela commence par les sensibiliser à l’entrepreneuriat, leur apprendre à ne pas avoir peur de l’échec et à prendre l’initiative et le risque», a-t-elle ajouté. Car, souligne-t-elle, les jeunes ne passent pas à l’acte, c’est parce qu’ils ne veulent pas prendre de risques et ont peur d’échouer alors que «l’échec fait partie de la chaine de valeurs de la réussite».

Citant l’expérience de l’Université Mohammed VI Polytechnique, Selma Bennis a indiqué qu’il s’agit de mettre à la disposition des apprenants des outils leur permettant d’appréhender avec confiance l’acte d’entreprendre, à savoir :

 Leur apprendre à identifier les problématiques et les faire correspondre à un besoin marché.

 Les rendre aptes à prototyper dans des Fablab, ou des digital Factory.

 Leur apprendre à tester leurs solutions face à des clients, obtenir leur feed-back et rectifier le tir si nécessaire.

 Leur montrer l’outil Business model canevas et leur apprendre à transformer leur idée de business en réel business en utilisant le Business model.

 Les doter de compétences de communication pour qu’ils sachent pitcher devant des clients ou des investisseurs.

 Leur apprendre à travailler en équipe, le leadership… 

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Déclarations :

Aude de Thuin, fondatrice de Woman in Africa Initiative

«Il y a avant tout un état d’esprit à changer»

«J’aurais aimé dire que le Maroc est un pays d’entrepreneurs, mais malheureusement non, les chiffres ne vont pas du tout dans ce sens, et il est encore moins favorable aux femmes. De tous les pays d’Afrique, le Maroc est le pays qui a le moins de femmes entrepreneurs, et ce, pour des raisons culturelles. Il y a urgence à redresser cette situation dans le monde nouveau qui s’offre à nous, dans le monde numérique. Aujourd’hui, c’est plus facile de créer, donc il faut savoir dépasser ces mentalités, faire confiance aux femmes et que les femmes aient aussi confiance en elles et qu’elles osent plus, le pays a tout à y gagner. La formation et l’éducation sont des outils indispensables, mais il y a avant tout un état d’esprit à changer, il faut sentir que le pays est dans un mouvement entrepreneurial, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Donc, si le pays se met dans ce mouvement, et en cela le thème choisi par la CGEM est formidable, ça peut aider les choses.»

Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin, fondateur et Managing Partner de SouthBridge

 

«Dans toute l’Afrique, nous avons du mal à faire accéder les jeunes au marché du travail. Les entreprises établies ont tellement de capital à mobiliser et moins de moyens pour le travail et donc elles ne pourront pas créer assez d’emplois pour les nouvelles générations. Donc, il va falloir créer son propre emploi ou bien développer de petites entreprises. Car, paradoxalement, plus l’entreprise est petite, plus elle est en capacité de créer des emplois. Plus elle est grande, plus elle fait des gains de productivité et plus elle a tendance à réduire les emplois. C’est une problématique commune à toute l’Afrique, y compris le Maroc. La question est donc comment financer la jeunesse, comment l’inciter à créer ses propres emplois, comment lui consacrer des places dans les appels d’offres et les marchés, comment sortir les gens de l’informel pour qu’ils aient plus de droits… ? Pour toutes ces problématiques, vous êtes un peu le laboratoire de l’Afrique.» 

 

 

«Je suis ravie d’avoir un panel d’innovation sociale, qui pour nous est un panel fondamental, parce que nous partons du principe que l’innovation sociale est l’un des éléments de réponse, pour pouvoir construire un nouveau modèle de développement redistributif et équitable. Évidemment que le Maroc est un pays d’entrepreneurs, jeunes et moins jeunes, parce que l’entrepreneuriat c’est aussi de l’intergénérationnel. Par contre la question de fond, c’est comment on construit ensemble un écosystème propice pour permettre à ces entrepreneurs de grandir, de changer d’échelle et surtout de rester ancré dans leur territoire ! Voilà l’enjeu : savoir comment on peut, aujourd’hui, décider ensemble que l’innovation sociale est le sujet central, qu’on s’y attelle tous et qu’on agit surtout sur la problématique du temps lent parce qu’il y a une urgence sociale qui fait que nous devons apporter aujourd’hui des réponses concrètes. Aussi, il s’agit de les rendre plus visibles, de les cartographier, de les référencer et de leur donner accès à de nouveaux modes de financement, étant donné que l’entrepreneuriat social est un processus lent avec une lucrativité limitée, et surtout nous en tant que confédération de leur donner l’accès au réseau parce qu’un entrepreneur social, c’est avant tout un entrepreneur il a besoin d’avoir accès à des commandes. Donc, voilà comment en construisant un écosystème global, on peut permettre à ces entrepreneurs le changement d’échelle, autrement nous produirons, hélas, des entrepreneurs chômeurs.» 

Selma Bennis, Head of Education and Training in Entrepreneurship, Université Mohammed VI Polytechnique

«Nous avons plusieurs programmes qui accompagnent les entrepreneurs»

«L’Université Mohammed VI Polytechnique est un établissement d’enseignement supérieur scientifique à vocation internationale orienté vers la recherche appliquée, l’innovation et l’entrepreneuriat. Nous avons plusieurs programmes qui accompagnent les entrepreneurs. Le dernier en date qui a été lancé est l’accélérateur “Impulse”, en Agritech, Mining Tech et Biotech. Nous avons aussi pris le pari que l’entrepreneuriat peut s’enseigner, non pas de façon classique, mais plutôt via un apprentissage par l’action où on va sensibiliser les étudiants à l’entrepreneuriat : on va leur apprendre à travailler en équipe, à ne pas avoir peur d’échouer, à prendre l’initiative et à prendre du risque, mais on va aussi les doter d’outils pour qu’ils puissent entreprendre par la suite. Il s’agit, par exemple, d’apprendre à identifier des problématiques et des besoins du marché, à tester et à expérimenter leurs solutions auprès de clients potentiels, à revenir avec du feedback, à prototyper, mais aussi à transformer leurs idées en business models. C’est un ensemble d’outils qu’on essaye de donner aux étudiants pour leur montrer que l’entrepreneuriat peut être un choix de carrière pour eux et que c’est aussi une référence sociale dont ils peuvent être fiers.» 

Propos recueillis par Mohammed Sellam

 

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