Le Matin : Que pensez-vous des propos de l’ancien ministre de la Jeunesse et des sports qui avait déclaré qu’il ne fallait pas s’attendre à un miracle aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 et qu’il fallait attendre 2024 et 2028 pour vraiment avoir de grands sportifs marocains en mesure de lutter pour les médailles ? Ce discours, on l’avait déjà entendu auparavant et à chaque fois, l’échéance est repoussée. Pourquoi le sport marocain n’arriva-t-il toujours pas à décoller, malgré les gros moyens dont il bénéficie ?
Où réside donc le problème ?
Je constate qu’on lance des projets avec de grandes ambitions, avec un deadline à court, moyen et long terme. Mais on ne fait que rarement l’évaluation de ces programmes. C’est le cas du Message Royal aux participants aux Assises du sport. Normalement, au bout de trois ou quatre ans après ce message, on aurait pu s’arrêter pour faire le bilan et voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je dis et redis que le Maroc dispose de plusieurs atouts, qu’ils soient géographiques, climatiques ou humains qui lui permettent de briller sur la scène sportive internationale. Les chances pour que le Maroc brille sportivement au niveau continental et international sont grandes. On a le facteur humain. Le Marocain et la Marocaine sont capables de pratiquer le sport au plus haut niveau.Pourquoi alors ne brillent-ils pas sur la scène internationale ?
Parce que le modèle sportif avec lequel nous travaillons est obsolète. C’est un modèle que nous avons hérité du colonialisme. On a chassé le colonialisme, mais son modèle est toujours là. On ne l’a jamais revisité. Pour résumer, je dirais qu’on n’a pas réellement une politique sportive proprement dite. Le Maroc est un pays de sportifs, mais sans politique du sport. Normalement, les responsables devraient se concerter avec les pratiquants, les experts et les fans pour mettre en place un modèle de développement du sport sans faire appel à l’expertise étrangère. La politique sportive devra aborder les axes réglementaires et juridiques, les infrastructures, la formation, le financement, la gouvernance…Vous dites que nous n’avons pas encore de politique sportive et pourtant chaque fois qu’un ministre de la Jeunesse et des sports débarque, il vante le modèle sportif marocain ...
Quand je parle de l’absence de politique sportive au Maroc, je ne parle pas dans le vide. Il ne suffit pas de créer un petit comité qui va nous sortir quelques recommandations, comme cela a été le cas en 2008. À l’époque, le ministère de la Jeunesse et des sports a réuni quelques experts qui ont concocté ce qu’ils ont appelé une stratégie de développement du sport 2008-2020. On est déjà en 2020 et je n’ai pas vu de stratégie. Une stratégie ou une politique de sport nécessite l’intervention de l’ensemble des intervenants dans le sport (ministère de tutelle, collectivités locales, monde économique, sportifs et experts du sport…). Tout ce monde doit réfléchir au modèle de politique sportive à mettre en place, quitte à ce que cette réflexion dure deux ans à travers des séminaires et des conférences, pour qu’à la fin on aboutisse à une politique qui capitalise sur les sports dans lesquels le Maroc à un véritable potentiel. On ne peut pas dire que tout est noir. Il y a quelques éclaircies par ci et par là, mais les résultats auraient pu être meilleurs, vu le potentiel que nous avons.Est-ce que l’on peut avoir un sport de haut niveau, alors que des régions entières du Maroc sont marginalisées ?
Si on fait un inventaire des sportifs les plus connus au Maroc, on trouve qu’ils sont tous issus des régions rurales. Si on avait fait le schéma directeur des infrastructures sportives, on aurait logiquement réalisé des infrastructures sportives dans des régions à fort potentiel humain. Prenons le cas du football, Abdelilah Hafidi, l’une des stars du Raja, est issu de la région de Bejaâd. Il a eu la chance de s’échapper de cette région. Il doit sûrement y avoir beaucoup de Hafidi dans cette région et dans d’autres, mais qui n’ont pas eu cette chance. Khalid El Askry est issu de la ville de Missour. Si on avait installé des centres sportifs dans les différentes régions et si les clubs avaient des partenariats avec des petits clubs partout dans le Royaume, on aurait pu voir beaucoup joueurs émerger.Je répète ma question : peut-on avoir un véritable développement du sport sans associer toutes les régions du Maroc ?
Je vais revenir à la Lettre Royale de 2008. Le Souverain a pointé du doigt ce problème de marginalisation des régions. Le Souverain a appelé à s’occuper de toutes les régions du Maroc pour réussir un décollage sportif, mais rien ou presque n’a été fait. Je vous donne mon propre exemple, je ne suis né ni à Casablanca ni à Rabat. Je suis né dans un petit patelin situé entre Missour et Boulemane, qui s’appelle Njil. J’ai grandi à Rich, près d’Errachidia, et ensuite à Imilchil. J’ai fait ma scolarisation à Ksar Es-Souk, actuellement Errachidia. Je suis entré à l’école à l’âge de 10 ans et je suis devenu un joueur international de handball, alors que je n’avais jamais vu ce sport dans les régions où j’avais grandi. S’il y avait eu des infrastructures depuis l’indépendance jusqu’à maintenant, le Maroc aurait été l’un des leaders du sport international.Quelle est donc la solution à votre avis ?
Il faut mettre fin à la surenchère entre les dirigeants, mettre fin à la politique unilatérale de certains présidents, mettre fin à la marginalisation des compétences dont regorge tout le Maroc. Pour mettre fin à l’irrégularité dans les résultats, il faut mettre en place une politique sportive digne de ce nom.